Covid-19 : ce qu’il faut savoir sur l’activité partielle
13 millions de travailleurs en France se sont retrouvés en activité partielle au plus fort de la crise. Si le dispositif est en décrue, il reste de mise dans bien des secteurs. Décryptage et perspectives.
L’HISTOIRE RÉCENTE
Le dispositif qui permet à une entreprise de mettre des salariés en activité partielle ou totale existait déjà avant le Covid-19. Il a été formalisé en 2014 par les partenaires sociaux qui ont fusionné deux dispositifs préexistants : l’APLD (Activité partielle longue durée créée par décret en 2009) et le chômage partiel. La résultante a donné l’activité partielle, conçue à l’époque comme un dispositif d’appoint pour venir en aide à des entreprises ou à un bassin d’emploi confrontés à des difficultés économiques conjoncturelles ou à des situations exceptionnelles (sinistre, intempéries…).
Pandémie oblige, un décret du 26 mars 2020 a modifié les grandes bases de ce dispositif pour permettre sa montée en charge rapide et massive. Dans les semaines qui ont suivi, l’Etat a élargi et affiné le fonctionnement de l’activité partielle par l’intermédiaire d’une douzaine de textes, essentiellement des décrets et des ordonnances.
Pour donner un ordre de grandeur du changement de braquet, l’Etat avait budgeté l’activité partielle à hauteur d’une centaine de millions d’euros en 2020 alors que le coût global du dispositif dans le contexte du Covid-19 est affiché à 25 milliards d’euros dans la deuxième Loi de finance rectificative. Au final, cela devrait avoisiner les 50 milliards d’euros soit 500 fois plus que prévu.
Mais celle-ci ne peut avoir, à mon sens, qu’une durée limitée et des motifs bien particuliers."
LE FONCTIONNEMENT DU DISPOSITIF
Depuis le début de la crise, une entreprise peut placer ses salariés en activité partielle si elle est concernée par des arrêtés de fermeture, confrontée à une baisse d’activité ou à des difficultés d’approvisionnement, ou si elle ne peut pas mettre en place les mesures de précaution sanitaire. Cette réduction de l’activité peut être totale (fermeture de l’entreprise) ou partielle (fermeture partielle, fermeture certains jours, simple réduction de l'horaire de travail).
Au départ, cette solution revêtait toujours une dimension collective : ce n’était pas un salarié qui était mis en activité partielle, mais obligatoirement toute l’entreprise ou une sous-partie : service, filiale, atelier… Une ordonnance du 22 avril a introduit la possibilité pour l’employeur de placer des salariés en activité partielle individuelle jusqu’à la fin 2020. Pour quelles raisons ? Principalement pour les besoins du redémarrage économique.
« Quand on arrête ou qu’on redémarre une entreprise, ce sont souvent des spécialistes qui s’en occupent, pour des raisons de sécurité notamment, explique Jean-François Foucard, secrétaire national CFE-CGC en charge des parcours professionnels, de l’emploi et de la formation. S’ils font partie d’un collectif, les autres ne peuvent pas travailler durant cette période. Il y a donc une rupture d’égalité du collectif. C’est pour cela qu’a été introduite cette notion d’activité partielle individuelle. Mais celle-ci ne peut avoir, à mon sens, qu’une durée limitée et des motifs bien particuliers. »
Et il existe aussi des accords de branche, comme celui de la métallurgie qui prévoit que les forfaits-jours sont indemnisés à 100 % du net."
LE SORT DU SALARIÉ
Sa marge de manœuvre est quasi nulle. Les salariés (à l’exception, dans certains cas, des salariés protégés) ne peuvent pas refuser la mise en activité partielle décidée par leur employeur à partir du moment où elle est validée par la Direccte.
Le salarié placé en activité partielle voit son contrat de travail suspendu mais non rompu durant la période. Il reçoit de son employeur une indemnité d’activité partielle en lieu et place de son salaire. En pratique, il touche 70 % de son salaire brut, soit environ 84 % du net. Il peut d’ailleurs percevoir salaire plus indemnité dans le cas par exemple où il ne travaille que le matin. Les heures travaillées le matin sont alors du salaire (payées à 100 %) et les heures chômées l’après-midi sont de l’indemnité (payées à 70 %).
L’employeur, de son côté, reçoit de l’Agence de services et de paiement (ASP) une allocation qui lui permet de payer l’indemnité accordée au salarié. A noter qu’avant le Covid-19, cette allocation (ce que l’Etat rembourse à l’entreprise) était un forfait à hauteur du SMIC. Le dispositif instauré fin mars 2020 est plus généreux puisqu’il rembourse l’intégralité de ce que verse l’employeur aux salariés, dans la limite de 4,5 SMIC. « En augmentant ainsi le montant du remboursement, l’idée du gouvernement était de couvrir environ 99 % des salariés », relève Jean-François Foucard. L’allocation se limitera, à partir du 1er juin, à 60 % du brut, toujours dans la limite de 4,5 SMIC horaire, ce qui correspond à près de 85 % de l’indemnité versée au salarié.
L’indemnité est exonérée de cotisations et de contributions sociales (sauf CSG-CRDS) jusqu’à hauteur de 4,5 SMIC. Si l’entreprise souhaite compléter le salaire de son employé au-delà du plafond, ce delta est alors « chargé » de façon normale. « Il y a des accords d’entreprise, mais ils sont extrêmement peu nombreux, qui permettent d’augmenter le niveau d’indemnisation des salariés jusqu’à 92 % voire 100 % du net, constate Jean-François Foucard. Et il existe aussi des accords de branche, comme celui de la métallurgie qui prévoit que les forfaits-jours sont indemnisés à 100 % du net. »
La totalité des heures chômées par le salarié en activité partielle est prise en compte pour le calcul des congés payés, pour la répartition de la participation et de l'intéressement, pour le calcul de l’assiette servant au calcul de la prime de treizième mois et pour la détermination de ses droits aux différentes prestations de Sécurité sociale.
LES PRINCIPALES ÉVOLUTIONS DEPUIS LE DÉBUT DE LA CRISE
- Sous la pression des partenaires sociaux et de la CFE-CGC en particulier, une ordonnance du 7 mai dernier a instauré le maintien des garanties santé prévoyance pour les salariés en chômage partiel, ainsi que la validation et l’acquisition de trimestre pour les droits à la retraite, avec effet rétroactif au 12 mars dans les deux cas. Ces acquis ne figuraient pas dans le dispositif initial.
- Un décret du 25 mars a élargi l’activité partielle aux salariés en forfait heures ou jours sur l’année. Ils peuvent désormais en bénéficier même en cas de réduction de l'horaire de travail, ce qui n’était pas possible avant.
- Une ordonnance du 15 avril a ouvert le dispositif aux cadres dirigeants (uniquement en cas de fermeture de l’établissement), aux salariés des entreprises de travail temporaire (même en intermission) et aux salariés portés.
- L’ordonnance du 22 avril a permis d’individualiser la mise en activité partielle.
- Enfin, la deuxième Loi de finance rectificative pour 2020 a placé, à compter du 1er mai, tous les salariés en arrêt Covid-19 en situation d’activité partielle.
CE QUI POURRAIT CHANGER À PARTIR DU 1ER JUIN
Le gouvernement avait prévenu que l'Etat réduirait sa prise en charge du chômage partiel pour soutenir la reprise. Courant juin, les entreprises de certains secteurs d’activité seront remboursées d’environ 15 % de moins par l’Etat. Dans un entretien à 20 Minutes, François Hommeril, président de la CFE-CGC, a qualifié de « logique et cohérente » la position du gouvernement visant à réduire la couverture financière de l’activité partielle, tout en ajoutant qu’il « faudra toujours des moyens pour soutenir les entreprises en difficulté économique ».
Cette modification ne change rien pour le salarié qui continuera à percevoir 70 % de sa rémunération brute (et davantage si l’entreprise complète). Elle ne concerne pas non plus les secteurs « faisant l'objet de restrictions législatives ou réglementaires particulières en raison de la crise sanitaire », comme le tourisme, la culture ou la restauration qui continuent à bénéficier d'une prise en charge à 100 %.
LES IMPACTS SUR LES COMPTES SOCIAUX
Le coût de l’activité partielle pour les finances publiques est colossal. Concrètement, le financement du dispositif est pris en charge aux deux tiers par Etat, à un tiers par l’Unedic. Ce coût global a été évalué à 24 milliards d'euros sur trois mois, de mars à mai. Résultat : la dette de l’Unedic se creuse et devrait atteindre à 60 milliards d’euros à la fin de l’année. « D’une décroissance de cette dette, on va passer à une super croissance, observe Jean-François Foucard. Et ce n’est absolument pas financé puisqu’il n’y a pas de contributions supplémentaires en face de ces dépenses. Sans compter les impacts à court et long terme sur les finances de l’Unedic avec l’explosion du nombre de chômeurs. » La crise s'est en effet traduite très concrètement dans les chiffres du chômage en mars, avec une hausse record de 7,1 % des demandeurs d’emploi sur un mois (+ 246 100 personnes).
La même spirale négative touche l’ensemble des comptes sociaux. « Toutes les contributions et cotisations qui financent globalement les salaires de remplacement (maladie, chômage), les salaires différés (retraite) et le système de santé, sont asséchées durant la durée de l’activité partielle, analyse le Secrétaire national. À cela s’ajoutent les reports et les annulations de cotisations et de contributions accordés pour cause de Covid-19. Les effets de bord sur les systèmes sociaux français vont être énormes. D’une certaine manière, on leur coupe les vivres. En parallèle, ils sont sursollicités au niveau dépenses. C’est ce qu’on appelle un effet de ciseaux. »
À voir ainsi le recours récent de l'Agirc-Arrco auprès de Bercy pour se procurer de la trésorerie. L'institution, qui perçoit et reverse environ 7 milliards d'euros chaque mois, n'a reçu que 70 % des cotisations attendues en mars, a précisé à l’AFP son président, Jean-Claude Barboul, et se retrouve en manque de cash pour payer les pensions.
Gilles Lockhart