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Publié le 29 - 09 - 2023

    Travail hybride et management : un premier état des lieux

    Dans le cadre d’un projet financé par l’ANACT, la CFE-CGC pilote plusieurs études sur les impacts du télétravail et les enjeux managériaux afférents. Inventaire des premiers constats.

    Syndicat de l’encadrement, la CFE-CGC poursuit ses travaux structurés au sein du projet Super(wo)man (Savoir, Unir, Promouvoir, Entraîner, Reconnaître dans le Management), visant à accompagner et à outiller les manageurs et leurs collaborateurs dans la transformation des organisations du travail.

    TRAVAIL HYBRIDE ET NOUVELLES ORGANISATIONS : QUE DIT LA LITTÉRATURE SCIENTIFIQUE ?

    Dans le cadre d’un projet financé par l’Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (ANACT), la CFE-CGC a piloté, avec l’appui des cabinets Okay Doc et Daventure, une revue de littérature, consistant à rassembler les contenus scientifiques sur le sujet étudié. Ci-dessous une synthèse des principales observations.

    Perception du télétravail
    Durant la crise sanitaire, la moitié des travailleurs ont expérimenté ce mode de travail, et une très forte majorité veut continuer à en bénéficier, y compris dans les TPE et PME. Manageurs et salariés en ont une opinion globalement favorable, tant pour la performance des entreprises que pour le bien-être individuel. Quand on parle télétravail, des mots-clés ressortent : responsabilité, environnement de travail, inégalités hommes-femmes, autonomie, évaluation du travail, relations au travail et valeurs d'entreprise.

    Modification du cadre spatio-temporel et sens du travail
    Le travail hybride libère du temps, qui peut être réinvesti sur d’autres activités. Il peut bousculer l’équilibre vie pro/vie perso, les espaces et le temps de travail, et diluer les collectifs physiques de travail. Il change les rapports humains et les couches de hiérarchies. Il rechallenge les priorités de chacun, la manière dont on veut exercer son métier, le sens donné à son travail.

    Autonomie
    Le travail hybride interroge l’autonomie et le contrôle professionnel, avec des risques de dysfonctionnements : manque de clarté dans les rôles et responsabilités de chacun ; déstabilisation du management intermédiaire ; résistance au changement dans un environnement de travail plus autonome ; faible engagement si les salariés ne sont pas impliqués dans les processus décisionnels de l'entreprise.

    Espaces de travail
    Les locaux d’entreprises ont perdu leur symbolique d’ancrage au profit d’un morcellement des lieux de travail et d’interactions virtualisées. Les salariés qui ont pu travailler à domicile dans de bonnes conditions portent parfois un regard sévère sur leurs bureaux en entreprise, du fait des espaces contraints et dégradés dont l’exposition aux nuisances sonores. Certains sont prêts à refuser un contrat d’embauche si le travail hybride ne leur est pas proposé.

    Transformation numérique
    La transformation numérique en entreprise conduit à revoir les modalités de collaboration. La vigilance doit être de mise quant aux inégalités d’accessibilité aux outils, aux ressources matérielles, et à la maîtrise des technologies par les individus.

    Localisation des emplois
    Le dispositif peut conduire à une délocalisation de l'emploi vers des pays où les coûts de la main-d'œuvre sont moins élevés. On observe ce phénomène pour certains métiers (services informatiques en Inde, centres d’appels au Maroc…).

    Travail hybride et vie perso : les femmes en première ligne   
    Le télétravail généralisé durant la crise sanitaire a confirmé que les femmes sont les principales responsables des tâches domestiques et familiales, une charge de travail supplémentaire pouvant renforcer une confusion de la vie privée avec la vie professionnelle.

    Rôle du manageur
    Les manageurs jouent un rôle fondamental dans la création d'une culture du travail hybride. Ils doivent communiquer clairement les attentes en matière de travail à distance, instaurer confiance et transparence. Le rôle des manageurs de proximité est aussi crucial dans la prévention et le traitement des risques psychosociaux (RPS).

    Télétravail et productivité
    Le dispositif améliore la productivité globale des entreprises à condition que les nouvelles organisations soient adaptées à leurs valeurs et à leurs cultures. Pour susciter l’adhésion et l’engagement, il importe, en amont, d’impliquer toutes les parties prenantes.

    TÉLÉTRAVAIL ET RÔLE DU MANAGEMENT : QUE PRÉVOIENT LES ACCORDS D’ENTREPRISE ?

    Avec l’appui de doctorants, la CFE-CGC a également passé au crible, sous l’angle managérial du télétravail, une quarantaine d’accords conclus entre 2020 et 2022, appliqués au niveau national interprofessionnel, d’une branche, et d’entreprises de toutes tailles. Ci-dessous les enseignements à retenir.

    Un sujet qui s’étoffe au niveau conventionnel
    L’accord national interprofessionnel (ANI) du 26 novembre 2020 conclu par les partenaires sociaux consacrent deux articles à « l’adaptation des pratiques managériales » et à « la formation des manageurs et des collaborateurs ». Enrichissant l’accord de 2005, le texte formalise les questions de l’isolement des salariés, du respect de la vie privé (droit à la déconnexion) et de la prise en compte, notamment par les manageurs, des publics particuliers : nouveaux salariés, personnes en situation de handicap, aidants familiaux…

    Clauses procédurales
    Les stipulations pouvant entrer dans le champ managérial sont surtout des clauses « procédurales » relatives à l’évaluation et l’acceptation par le manageur du bénéfice du principe du télétravail ; et au contrôle des salariés et de leurs déclarations (pose des jours, lieu de travail). Sur l’éligibilité des collaborateurs au dispositif, le manageur est contraint par les règles prévues dans l’accord. Les motifs de refus y sont parfois énumérés.

    Clauses sur l’étendue du pouvoir du manageur
    Systématiquement, le manageur a la charge d’accepter et/ou de refuser le placement des jours de télétravail au regard des nécessités de l’activité, et d’organiser le télétravail dans son service. Selon les politiques d’entreprise, les manageurs sont tantôt incités à prévoir une rotation pour maintenir une présence physique minimum dans les locaux, tantôt incités à prévoir un ou plusieurs jour(s) de présence commune pour réunir les équipes. Sur la charge de travail, une clause type est quasi systématiquement insérée aux accords, indiquant qu’elle est identique à celle des collaborateurs qui ne bénéficient pas du télétravail, et que le dispositif ne modifie pas les objectifs et les missions du salarié.

    Clauses relationnelles entre télétravailleurs et manageurs
    Les accords stipulent presque toujours la nécessaire relation de confiance entre le manageur et le salarié. Certains rappellent que l’usage des outils numériques ne doit pas devenir un mode exclusif d’animation managériale. Des accords prévoient la possibilité pour le salarié de demander un entretien spécifique avec son manageur ou le personnel RH pour évoquer la situation de télétravail. La majorité prévoient toutefois que le sujet sera traité lors des entretiens annuels.

    Clauses sur la formation du manageur au travail hybride
    De nombreuses entreprises ne prévoient pas de formations des manageurs dans leur accord. Quand c’est le cas, ils se distinguent par la forme des actions (formations, « actions de prévention », MOOC, « kit d’informations », « guides de bonnes pratiques », « ateliers collaboratifs »…) et par leur thématique : usage des outils numériques, RPS et isolement, cohésion d’équipe, management par la confiance, etc.

    L’ANALYSE DE MAXIME LEGRAND, SECRÉTAIRE NATIONAL CFE-CGC EN CHARGE DE L’ORGANISATION DU TRAVAIL ET DE LA SANTÉ AU TRAVAIL

    « Le développement du travail hybride agit comme un révélateur, un marqueur des tendances de fond préexistantes :
    - La multiplicité des outils de connexion.
    - La perte de repères managériales par des pilotages en mode projet qui entrechoquent les anciennes lignes managériales.
    - La difficulté du manageur qui doit être un technicien, un expert et à qui on demande de plus en plus de reporting et d’administratif.
    - Le besoin de formation : mener une équipe, compétences émotionnelles…
    - Le rôle des senior manageurs dans la confiance accordée au middle management.
    - La désaffection des plus jeunes pour les fonctions managériales, plus attirés par le management de projet, sans la partie administrative ou de gestion RH. »

    « Le télétravail n’est qu’une énième transformation qui renvoie aux enjeux du pilotage des transformations, dont les méthodes de management : fixer un cadre, impliquer les équipes, transparence dans les process, etc. Pour relever ces défis, le dialogue social est fondamental. Charge aux partenaires sociaux de bâtir des solutions adaptées. »

    UNE ENQUÊTE CFE-CGC AU PLUS PRÈS DU TERRAIN

    En parallèle des travaux avec l’ANACT, la confédération a réalisé, entre février et septembre 2023, avec l’appui de ses fédérations, une enquête en ligne et anonyme auprès de ses adhérents pour sonder les pratiques du travail hybride et les impacts managériaux. De quoi recueillir plusieurs milliers de réponses complétées par des dizaines d’entretiens individuels avec des manageurs. Une présentation des résultats sera prochainement mise en ligne sur le site internet confédéral.

    Mathieu Bahuet et Laurence Matthys