Nous sommes le 5 septembre 2023. Un couperet tombe : la direction d’Onclusive annonce qu’elle va supprimer, dans le cadre d’un PSE, 217 postes (sur 383) et en créer 23 nouveaux. Sa justification : la mise au point d’un outil d’intelligence artificielle (IA) permettra de réaliser les veilles médiatiques qu’elle vend à ses clients. C’est la première fois que l’IA se voit invoquée par une entreprise pour expliquer des licenciements conséquents (lire aussi l’analyse de Nicolas Blanc, secrétaire national CFE-CGC à la transition économique).
Depuis, le PSE a été reporté. La direction prévoit de ne plus s’appuyer sur l’argument de l’intelligence artificielle pour motiver les départs, arguant qu’elle a entendu les réserves émises à ce propos. Les partenaires sociaux, eux, attendent toujours une deuxième version du texte.
Comment expliquer un tel revirement ? « Je ne crois pas qu’ils nous aient entendus. Simplement, ils ont vu qu’ils iraient droit dans le mur, estime Sylvain Le Quéré, délégué syndical CFE-CGC. Et de plus, l’outil n’est pas prêt. Il est en bêtatest auprès d’une dizaine de personnes, on ne l’a toujours pas vu ! » Le militant poursuit : « Dès lors, pour licencier, ils s’appuieront sans doute sur la perte de compétitivité ou sur les difficultés économiques. »
Onclusive : l’IA avancée pour justifier des licenciements massifs
La société de veille médiatique a reporté le plan social lié à la mise en place d’un outil d’intelligence artificielle. Mais une question reste ouverte : l’IA va-t-elle supprimer des emplois ? Analyse avec Sylvain Le Quéré, délégué syndical CFE-CGC.
UN DIALOGUE SOCIAL CATASTROPHIQUE
Témoin direct de la situation, Sylvain Le Quéré est formel : « Le dialogue social dans cette entreprise, c’est une catastrophe ! Particulièrement depuis notre rachat il y a un an et demi par le fonds d'investissement Symphony Technology Group (STG). » Aussi s’attend-il à des négociations difficiles : « L’ancienneté moyenne dans la société est importante. Aussi essaierons-nous d’obtenir le maximum en matière d’indemnités extralégales. Pas question de négocier le fait de rester dans une société qui nous dénigre à ce point. »
Il poursuit : « L’intelligence artificielle doit intervenir pour l’homme, et non à sa place ! » Le syndicaliste reconnaît avoir envisagé des départs, mais en moins grand nombre.
LE PSE, UN ÉLECTROCHOC
Aujourd’hui, Sylvain Le Quéré s’interroge. Le cas d’Onclusive est-il le premier d’une longue série ? Et d’évoquer Accenture. Pour la première fois, en octobre dernier, notamment à l’appel de la CFE-CGC, une grève a été organisée au sein de la filiale française du cabinet de conseil (11 000 salariés). Il s’agissait de protester contre le refus de la direction d’accorder des augmentations de salaires pour 2024 dans le cadre de négociations annuelles obligatoires (NAO). Et en 2023, 2 % des effectifs ont été poussés vers la sortie. Si cette fois l’IA n’est pas directement évoquée, Sylvain Le Quéré la devine en embuscade. « On commence par refuser des augmentations de salaires, par parler de difficultés économiques, et puis on remplace des interventions humaines. »
Il reste difficile, pour l’heure, d’évaluer le nombre d’emplois que supprimerait l’intelligence artificielle. Il apparaît évident en revanche que nombre de métiers s’en trouveront modifiés, y compris ceux de cadres, ce qui n’a peut-être pas été envisagé immédiatement. « Ce plan social a causé une sorte d’électrochoc, conclut Sylvain Le Quéré. On a pris conscience que toutes les catégories socio-professionnelles étaient concernées. Même les managers "directeurs" sont touchés. Ce n’était pas un service unique qui était visé, mais les équipes en général. »
Sophie Massieu