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Les syndicats font front commun face aux racismes
Réunie à la Bourse du Travail à Paris le 21 mars, l’intersyndicale, dont la CFE-CGC, lance une grande campagne de sensibilisation sur les discriminations racistes, antisémites et xénophobes.
Lors de la journée internationale pour l'élimination de la discrimination raciale, et face à une recrudescence des agressions et de la libération de la parole xénophobe en entreprise, huit organisations syndicales ont organisé une table ronde « Racisme, antisémitisme et xénophobie au travail : C'EST NON ! », menée par Claire Hédon, Défenseure des Droits.
Étaient présents Anne-Catherine Cudennec (CFE-CGC), Marylise Léon (CFDT), Sophie Binet (CGT), Patricia Drevon (FO), Cyril Chabanier (CFTC), Laurent Escure (UNSA), Caroline Chevé (FSU), ainsi que Murielle Guilbert et Julie Ferrua (Solidaires).
Leur but : sensibiliser les salariés aux discriminations racistes, antisémites et xénophobes, et alerter les pouvoirs publics sur un enjeu devenu crucial, en détaillant les actions menées et à accomplir pour réduire ces discriminations en milieu professionnel.
Une libération de la parole raciste
Claire Hédon a dressé un état des lieux des discriminations, en s'appuyant sur les données récentes du rapport annuel de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) sur le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie.
Selon une étude du ministère de l’intérieur1, les discriminations connaissent une progression alarmante : +52 % de victimes entre 2021 et 2022, +30 % de crimes et délits racistes en 2023, et +11 % en 2024. En 2020, 18 % des 18-49 ans déclaraient avoir été discriminés au moins une fois au cours des cinq dernières années, soit +5 points par rapport à 2015. Enfin, selon le rapport annuel d’activité du Défenseur des droits, l’emploi privé représente 27 % des réclamations en matière de discrimination, contre 20 % pour l’emploi public.
« Les discriminations engendrent des effets délétères chez les victimes tant sur leur vie professionnelle que personnelle : carrière heurtée, difficulté pour se loger, se soigner… autant de handicaps qui affectent durablement la santé mentale et physique. Mais elles fragilisent aussi toute la cohésion sociale du pays », explique Claire Hédon.
Des dispositifs législatifs qui ne sont pas à la hauteur
Pourtant, « le nombre de recours juridiques et de saisies pour discriminations sont en baisse de 15 % », alerte Claire Hédon. « Beaucoup estiment que faire une réclamation est inutile et les expose à des représailles. »
Ainsi, le système de recours collectif développé en 2024, censé permettre aux personnes discriminées d'agir ensemble contre une personne commune, se révèle inopérant en raison de conditions d'application trop restrictives. De surcroît, il manque encore des dispositifs efficaces de signalement des discriminations et d’enquête dans l’emploi.
« Nous assistons à un essoufflement des politiques publiques depuis 20 ans, avec des retards dans la mise en œuvre des mesures prévues », constate-t-elle. Un défaut d’engagement politique qui, fatalement, contribue à la banalisation des discriminations.
Quel rôle pour les syndicats ?
C’est pourquoi Claire Hédon appelle les syndicats à se mobiliser. « Les syndicats sont des acteurs clés dans la lutte contre les discriminations : ils peuvent accompagner les victimes, mettre en place des dispositifs, identifier et signaler les discriminations via leur droit d’alerte ou des cellules dédiées. Ils peuvent aussi intenter des actions en justice au nom des victimes, ou se constituer partie civile. Leur engagement est essentiel pour inciter les employeurs à réagir rapidement ».
Cet appel à l'action a été unanimement approuvé par les syndicats, qui ont adopté une démarche volontariste et, pour certains, réaffirmé leur opposition à l'extrême droite, jugée responsable de la montée des discriminations.
La CFE-CGC mobilisée
« Nos adhérents étant des cadres, des manageurs et des professionnels de l’encadrement, nous sommes les mieux placés pour détecter ces situations », a revendiqué Anne-Catherine Cudennec, secrétaire nationale CFE-CGC en charge du secteur Europe et International et Droits humains. « Mais c’est l’ensemble du collectif qui doit être sensibilisé à ces questions, et, en premier lieu, tout le personnel de l’encadrement. »
Cependant, rappelle-t-elle, « beaucoup de cas de racisme et de discrimination arrivent pendant le processus de recrutement, avant l’entrée dans l’entreprise, ce qui les rend difficilement détectables. En conséquence, il serait pertinent de renforcer la formation des RH. Pas seulement sur l’embauche, qui est l’objet de la loi Egalité et citoyenneté de 2017, mais aussi sur la partie du suivi des évolutions de carrière et des promotions ».
En outre, « la CFE-CGC a développé 3 modules de formation sur le harcèlement et les discriminations, afin d’aider les salariés à connaître l’arsenal juridique à leur disposition, et donc le rendre plus efficace. Nous avons également lancé une formation qui englobe toutes les problématiques des droits humains et des discriminations au sens large. À l’international, nous avons participé, au sein de la confédération européenne des cadres (CEC), à la production d’un guide destiné aux manageurs issu du projet européen BEYUNBI pour identifier et réduire les biais qui les amènent à prendre des décisions qui peuvent être discriminatoires ».
Anne-Catherine Cudennec regrette toutefois que le sujet ne soit pas pris autant au sérieux par les instances gouvernementales : « Il serait intéressant de mobiliser la recherche académique en France, afin de se pencher sur le coût économique des discriminations dans l’entreprise, ce qui permettrait, peut-être, de mobiliser davantage employeurs et pouvoirs publics ».
Des syndicats unanimes
Pour Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT, les syndicats ne peuvent se dérober : « Si nos organisations ne se mobilisent pas, nous raterons une grande partie de notre responsabilité dans le monde du travail. De plus, il ne faut pas sous-estimer l’impact de ces discriminations tant sur l’individu que l’entreprise. Ces personnes brimées et blessées, ce sont des talents contraints ou perdus, des équipes divisées, une baisse de la créativité et de l’efficacité dans le travail. »
Selon Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, « l’arsenal juridique actuel ne fait peur à personne car les moyens d’appliquer les sanctions manquent. En plus d’augmenter ces moyens, il faut rendre obligatoire la formation et sensibilisation des instances représentatives du personnel (IRP) et des salariés. Mais aussi interpeller le gouvernement sur ses responsabilités. Cette parole décomplexée ne vient pas de nulle part : elle vient des plateaux de télévision, mais aussi du plus haut de l’Etat ! ».
D’après Patricia Drevon, secrétaire confédérale FO, « la réponse n’est pas que sur le terrain législatif ou pénal, mais sur la prévention, la formation et la sensibilisation des salariés. Ils doivent lutter ensemble, pas les uns contre les autres. Car il y a parfois une volonté patronale d’opposer les employés. On le voit avec les prud’hommes, qui manquent d’ailleurs de moyens. Beaucoup de salariés, notamment en zone rurale, n’y vont pas pour ne pas être "fichés" comme problématiques par les employeurs locaux ».
« Au niveau de la loi, beaucoup de choses peuvent encore être faites », affirme Cyril Chabanier, président de la CFTC. « Nous avons récemment créé un référent harcèlement sexuel, quid d’un référent harcèlement racisme ? De même, n’oublions pas que le harcèlement n’est pas toujours interne à l’entreprise : une grande partie touche les personnels, que ce soit dans le commerce ou la santé, lors de leurs interactions avec des clients ou des patients ! Le travail doit se faire au niveau sociétal. »
Laurent Escure, secrétaire général de l’UNSA, met en garde contre toute leçon de morale. « Il faut faire appel à l’empathie des gens, pas les sermonner. Aujourd’hui, le couple démocratie-droits humains recule sur beaucoup de continents. L’explosion de la libération des actes racistes est portée par une offensive de haine, organisée par des partis politiques et régimes dictatoriaux à travers le monde. Dans cet effondrement démocratique, il en va de notre responsabilité de tenir le drapeau de ces valeurs. »
Caroline Chevé, secrétaire générale de la FSU, rappelle que ce débat concerne aussi les jeunes. « Les élèves en voie professionnelle, qui représentent un tiers des lycéens, sont très tôt confrontés au racisme du monde du travail dans toute sa brutalité ». Elle pointe aussi une dure réalité : « La moitié des victimes d’actes racistes ne s’adressent pas à nous spontanément. Nous avons des progrès à faire pour être identifiés comme des interlocuteurs de confiance ».
Enfin, Murielle Guilbert et Julie Ferrua, codéléguées générales de Solidaires préconisent de donner une dimension collective à la lutte : « Il faut travailler sur la représentation des personnes racisées dans nos syndicats, mais aussi sortir de cette posture morale du racisme et nous questionner sur son aspect systémique, comme l’attribution de métiers précaires et pénibles aux femmes et aux personnes racisées, dès le processus d’orientation à l’école ».
Le 3928, un numéro pour les victimes de discrimination
Le 3928 est un service d'accueil téléphonique destiné aux personnes victimes ou témoins de discriminations, quel qu’en soir le domaine. Il les met en relation avec des juristes du Défenseur des droits spécialement formés à la discrimination.
Une campagne globale
Lancée par les huit principales organisations de salariés (CFE-CGC, CFDT, CGT, FO, CFTC, l’UNSA, FSU et Solidaires), la campagne « racisme, antisémitisme, xénophobie au travail : c’est non ! » vise à inciter les militants à se saisir du sujet et à interpeller les directions d'entreprise et d'administration ainsi que le gouvernement.
1service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI)
Propos recueillis par François Tassain
Affiches « Racisme, antisémitisme, xénophobie au travail : c’est non ! »