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Publié le 22 - 12 - 2020

    Ikea France : les vraies raisons du malaise social

    Non-partage de la valeur, pression sur les effectifs et maladresses insignes de la direction : trois raisons qui expliquent les mouvements de grève dans la plupart des magasins Ikea en France au mois de décembre.

    Tout client sait que dans un magasin Ikea il y a un parcours à accomplir et qu’il n’est pas facile de revenir en arrière. En revanche, la société ne se gêne pas pour faire faire demi-tour aux avantages de ses quelque 10 000 salariés en France. Entre 2017 et 2019, leur participation a été divisée par deux, passant de 16 millions d’euros à 8,5 millions. Et en 2020, pour la première fois de son histoire, Ikea France l’a purement et simplement supprimée, tout comme elle a retiré l’intéressement (dont le groupe ne veut plus au niveau mondial) et laissé à zéro la prime collective liée aux NAO, le « Bonus program » et la Prime Macron. Néanmoins la direction a fait un geste : chaque salarié a eu droit à un sapin de Noel et à une carte cadeau de 15 euros.

    « C’est un peu la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, résume Sylviane Nguyen, déléguée syndicale centrale d’Ikea France. Beaucoup de salariés ont interprété cela comme du mépris de la part de la direction générale. Cela illustre à quel point nous sommes dans un contexte très rigide. Les dirigeants français sont régis par les exigences du groupe central, lequel s’éloigne de l’esprit du fondateur, Ingvar Kamprad, qui promouvait des valeurs humanistes ». Dans un tract récent, l’intersyndicale CFE-CGC-Unsa-FO, majoritaire dans l’entreprise (1), citait d’ailleurs une phrase du créateur d’Ikea, brutalement décédé en 2018 : « Avant de prendre ma retraite, mon rêve est de trouver un système de partage des bénéfices pour l’ensemble des co-workers ». On en est loin.

    15 encadrants ne pourront pas réaliser le travail de 200 employés, et vous êtes garant de leur santé. »

    Dans une lettre ouverte à Walter Kadnar, le pdg d’Ikea France, publiée le 9 décembre 2020, Sylviane Nguyen lui rappelait que « la participation est un pilier de la rémunération chez Ikea et (que) beaucoup de salariés toutes CSP confondues comptaient dessus pour finir correctement l’année. » Et elle tirait la sonnette d’alarme sur les conditions de travail : « Nous tenons à vous alerter sur le fait qu’il n’est pas question de presser l’encadrement pour pallier aux actions qui auront lieu ces prochains jours. 15 encadrants ne pourront pas réaliser le travail de 200 employés, et vous êtes garant de leur santé. »

    Les « actions qui auront lieu ces prochains jours » n’étaient autres que des grèves. Elles ont touché, pendant 15 jours de décembre, plus de la moitié des 34 magasins Ikea en France. L’énorme point de vente de Franconville (Val d’Oise) a dû fermer temporairement. Dans celui de La Maxe, au nord de Metz, 60 employés étaient en grève le samedi 12 décembre pour dénoncer la détérioration de leurs conditions de travail et la suppression de la participation et du bonus. Avec une implication de tous les instants d’Eric Brunelle, délégué syndical CFE-CGC et membre du conseil social et économique (CSE).

    Il se peut que la grève débouche sur une meilleure écoute de la part de la direction .»

    Le mouvement social a porté ses fruits. De nouvelles et futures négociations ont été programmées pour le début de l’année 2021. Elles vont porter sur l’optimisation et la sécurisation sur le long terme du versement d’une prime, sur des engagements de partage de la valeur ajoutée lors des NAO et sur l’adaptation des effectifs à la charge de travail. Avec, en outre, la mise sur le tapis d’un accord télétravail « plus avantageux qu’une simple charte unilatérale de l’employeur ». « Il se peut que la grève débouche sur une meilleure écoute de la part de la direction », espère Sylviane Nguyen.

    Gilles LOCKHART

    (1)  CFE-CGC : 15,47 % au global, 73,15 % pour les cadres et agents de maîtrise, UNSA : 19,37 %, FO : 16,82 %.