Retour aux actualités précédentes
Publié le 07 - 12 - 2020

    Vigilance envers le « dialogue social connecté »

    Dans une tribune, Gilles Lécuelle, secrétaire national CFE-CGC en charge du dialogue social, évoque les enjeux du numérique sur les pratiques syndicales sous l’effet de la crise.

    Depuis plusieurs mois, les militants et les militantes, les négociateurs et les négociatrices de tout niveau ont vu leur quotidien envahi par des écrans. Pratiquement plus un jour ou une semaine ne se passe sans qu’une réunion se déroule via une plateforme de visioconférence. Cette évolution technologique de la pratique du dialogue social pose un certain nombre de questions et de problèmes sur lesquels il faut se positionner.

    Membre du groupe de réflexion « Impact du numérique sur le dialogue social » créé par l’association Réalités du dialogue social (RDS), j’ai pu faire auditionner des élus CFE-CGC parmi les 24 personnes interrogées. Le thème des entretiens était le suivant : « Réunions à distance entre les représentants du personnel et les directions d’entreprises : ce que la Covid-19 a changé ». Il s’est agi d’un vrai travail collégial auquel la CFE-CGC a pris une part très active. Nous avons essayé de débriefer un sujet auquel les militants syndicaux sont confrontés quotidiennement dans leur pratique de terrain. Inutile de dire que je me retrouve dans les principaux points de conclusions (ndlr : l’étude est consultable sur le site Intranet de la CFE-CGC).

    Tout le monde est d’accord pour dire qu’il faut exclure le tout digital : effectuer toutes les négociations en visio est une lubie qui ne correspond pas à la réalité du monde du travail et qui conduit à un affaiblissement du rôle des partenaires sociaux. Pourquoi ? Parce que même si les enjeux sont tout sauf fictifs, le dialogue social relève un peu du jeu théâtral. Il y a une part visuelle dans les négociations : on avance un argument, on voit les réactions de l’ensemble des autres protagonistes, ce qui est rarement possible à l’écran. Il existe tout un jeu d’attitudes qui, au final, a son importance. Le digital supprime aussi la valeur ajoutée de ce que l’on appelle les discussions de couloir : se faire confirmer une position en tête-à-tête, essayer de convaincre un collègue en aparté…

    LA MIXITÉ DU PRÉSENTIEL ET DU DISTANCIEL VA S’IMPOSER DURABLEMENT DANS LE PAYSAGE

    Dans un atelier, un entrepôt ou un open space, la perte du contact physique enlève au militant une possibilité de détecter les « signaux faibles » de l’entreprise. On retrouve d’ailleurs cette reconnaissance de l’importance du dialogue social en présentiel dans les récents documents du ministère du Travail. Ils permettent aux syndicats de s’opposer à la tenue de plus de trois réunions par an sous forme numérique du comité social et économique (CSE) s’ils estiment que les sujets de l’ordre du jour le méritent.

    Il faut toutefois considérer des éléments positifs dans le digital. Les réunions à distance peuvent être utiles pour faire intervenir, par exemple, un haut responsable d’une entreprise dans des débats auxquels il n’aurait pas assisté s’il lui avait fallu se déplacer. Le fait de devoir respecter une certaine discipline de prise de parole peut entraîner de concentrer ses interventions sur l’essentiel. Néanmoins, l’évolution vers le digital s’apparente indiscutablement à un recul si elle est mal encadrée. À la CFE-CGC, nous soutenons que le sujet doit être discuté au sein des entreprises et des branches, et faire l’objet de la signature d’accords sur l’utilisation du numérique.

    Comme le remarque l’étude de Réalités du dialogue social, « il existe sur la forme quelques velléités de retour en arrière ». Mais globalement, on peut penser que la mixité du présentiel et du distanciel va s’imposer durablement dans le paysage. D’autant plus si le télétravail se pérennise comme une des formes de l’organisation du travail. La vigilance en matière de dialogue social connecté ne fait que commencer.

    Gilles Lécuelle, secrétaire national CFE-CGC en charge du dialogue social