Du temps que l’on passe chaque jour devant un écran au délai moyen d’entrée sur le marché du travail d’un jeune diplômé, tout est aujourd’hui mesuré et stocké. Et mouliné dans des serveurs dont on espère qu’ils ne rendent pas service qu’à eux-mêmes. Étant donné ces milliards de données, quel est le chemin qui mène d’une data à une personne ? Comment comprendre ce reset de l’espèce humaine par les chiffres ? Quelles sont les possibilités et les risques ? Et en particulier, pour les adhérents d’une organisation syndicale, où sont les petits cailloux du dialogue dans cette forêt de la data ?
DÉFINITION DE LA DATA
Pour y voir clair, Nicolas Blanc, délégué national au Numérique, avait invité des connaisseurs, le 28 septembre, lors de la première conférence du cycle « Restaurer la confiance » que va conduire la CFE-CGC durant les 15 mois qui viennent. Salle comble, donc, rue du Rocher, au siège de la Confédération, pour écouter d’abord Henri Isaac, maitre de conférences à Paris Dauphine et auteur du livre « Les Business Models des plateformes », disséquer ce qu’est une donnée et quelles en sont les caractéristiques. « Une donnée c’est quelque chose de construit, le fruit d’une intention, d’un dispositif, explique-t-il. C’est un produit, généralement la représentation abstraite d’un fait, identifié à l’aide de nombres et de symboles dans le monde numérique. » Ces données sont ensuite « organisées dans des bases de données (databases) pour être traitées et au final créer une information ».
Difficulté qui s’ensuit : comment décrire ces données pour leur permettre d’être échangées de manière standardisée ? Autrement dit, quels types de « métadonnées » choisir, puisque ce sont elles, ces descriptions, qui donnent du prix aux données, qui ont « autant de valeur elles-mêmes que la donnée », analyse Henri Isaac ? Et de prendre l’exemple des plateformes de streaming musical comme Spotify où c’est « le nom de l’artiste et le type de musique qui permettent le tri et créent de la valeur pour l’utilisateur ».
PROTECTION DE SA VALEUR
Avec le lieutenant-colonel Jacques Mérino, chef du service Sécurité économique et protection des entreprises de la Gendarmerie nationale, on passait à la question de la protection de cette valeur. Et ce, dans un contexte où l’Autorité nationale en matière de sécurité et de défense des systèmes d'information (ANSSI) vient d’indiquer que les cyber-attaques ont été multipliées par 4 en 2020. Et où l’assureur Axa, le jour-même de la table ronde, appelait l'État français à la rescousse pour assurer le risque cyber, pour qu’il développe des alliances avec le privé afin de mieux couvrir les risques systémiques, comme les méga-cyberattaques…
Un exemple valant mieux qu’un long discours, Jacques Mérino a indiqué qu’en 2020, 43 000 entreprises avaient bénéficié des conseils et bonnes pratiques des gendarmes et des policiers spécialisés dans la protection de la valeur de la data. « C’est une culture générale de la sécurité qu’il faut instaurer », recommande-t-il, qui passe par une « notion de sensibilisation intelligente ». Illustration à l’appui, il a cité le « Jeu des 8 familles d’atteintes à la sécurité économique » édité par la Gendarmerie (téléchargeable sur francenum.gouv.fr). « Cet outil pédagogique a trois vocations principales, énumère le lieutenant-colonel : ne pas laisser les acteurs économiques seuls devant les situations de risques ; les sensibiliser à l’existence de menaces diverses dans leur environnement ; partager l’information pour avoir un référentiel unique et améliorer la compréhension entre les gendarmes et les entreprises. »
UTILITÉ SOCIALE DE LA DATA
Exemples d’utilisation concrète de la data par le corps social, ceux avancés par Fabien Gainier, membre du bureau de la Fabrique des mobilités, association qui produit des données et ressources ouvertes pour accélérer la transition vers une mobilité durable. Il a d’abord parlé du Luxembourg, pays qui a mis en open data (accès libre) les images de ses caméras sur autoroute, permettant à des applications privées d’intelligence artificielle de les utiliser pour aider les automobilistes à anticiper les bouchons. L’expert a ensuite évoqué l’expérience « Partageons plus de vélos », en phase-pilote dans des villes françaises où le marché est trop petit pour des services de type Vélib. Elle consiste à récupérer et à retaper des vélos, à les équiper d’un cadenas qu’on peut ouvrir par SMS, et à les laisser en flotte libre via des associations locales qui ont accès aux données de ces cadenas en open source (programmation libre).
IMPLICATIONS MANAGÉRIALES
« Depuis six ans que je dirige la plateforme TeraLab, qui fait collaborer des entreprises et des chercheurs sur des projets d’intelligence artificielle et de Big Data, ajoutait pour sa part Anne-Sophie Taillandier, j’ai vu les choses se transformer en profondeur. Des filières et des start-up se créent constamment pour contextualiser les données, élargir les champs d’observation, savoir comment leur donner plus de valeur. Toutes ces questions sont au carrefour de l’associatif et de l’économie. Les entreprises arrivent avec leurs problématiques et poussent à la création de standards et d’écosystèmes de la donnée. »
Technocratique et impersonnel ? Ce n’était pas l’avis de François Hommeril, président de la CFE-CGC, qui dans son propos liminaire a rappelé les motivations du cycle « Restaurer la confiance » : « Il nous a semblé que la société manquait beaucoup de confiance et qu’il fallait aider les gens à y voir clair. Les données sont la clé de passage entre le territoire numérique et le territoire physique bien réel. Elles sont devenues une matière première du management et la CFE-CGC milite pour une culture-data de ses adhérents et de ses militants. »
Gilles Lockhart
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