Dans une déclaration à la presse, vous avez parlé d’un accord « a minima et transitoire ». Pour quelles raisons ?
Je crois qu’il faut revenir sur le contexte. Les négociations ont duré 10 mois et ont été assez difficiles. Elles suivaient la décision par le Groupe PSA, en mai 2020, d’enclencher un passage en télétravail massif de tous les salariés potentiellement concernés, soit 18 000 personnes sur 48 000 en France.
Alors que nous n’étions pas encore sortis du premier confinement et que les salariés subissaient toutes les contraintes du télétravail forcé, ils ont mal vécu cette annonce qu’ils ont perçue comme une sorte d’imposition. D’autant plus que la volonté de la direction était d’instaurer un rythme de télétravail d’en moyenne 3,5 jours par semaine, à terme, ce qui est énorme.
Que s’est-il passé ensuite ?
En tant qu’organisation leader dans le 2ème et le 3ème collèges, nous avons recueilli les avis des salariés. Il est apparu que la question était porteuse de divisions : entre les télétravailleurs éligibles (la majorité des ingénieurs, des cadres et des techniciens) et ceux qui ne le sont pas (les ouvriers par exemple ou un certain nombre d’ingénieurs et de techniciens liés aux bancs d’essais et aux appareils de production) ; entre ceux qui travaillent en province, qui se servent beaucoup de leur voiture et pour qui le télétravail représente une vraie économie financière, et ceux qui vivent en région parisienne, qui prennent davantage les transports en commun, pour qui l’économie est moins importante et qui souhaitent donc d’autres compensations ; entre le personnel des usines et les collaborateurs du secteur tertiaire… Des dichotomies d’intérêts, et donc de revendications, se sont fait jour, que ce soit en termes de compensations financières ou de durée de télétravail souhaitées.
Comment avez-vous géré la situation ?
Dans un premier temps, toutes les revendications ont été portées lors des négociations. Nous restions aussi en ligne avec les thèmes préconisés par Jean-François Foucard, secrétaire national Emploi-Formation de la CFE-CGC, que nous remercions de son aide tout au long de la négociation. En final, ce sont les sections qui se sont exprimées avec une faible majorité pour la signature, ce qui prouve que la convergence a été difficile. Cet accord a été signé par quatre syndicats (CFE-CGC, CFDT, CFTC et FO). Nous avons obtenu deux points importants : premièrement, le volontariat. Ce ne sera pas une obligation pour le salarié de faire plusieurs jours de télétravail par semaine. Le volontariat est la première condition écrite dans le texte, et obtenir cette concession n’était pas du tout évident au départ.
Deuxièmement, la signature a permis de débloquer la situation de 400 à 500 collaborateurs victimes de troubles musculo-squelettiques, du fait de positions assises trop prolongées ou inconfortables depuis presque un an. Il leur permet d’acheter du matériel (siège ergonomique, grand écran…) en étant remboursés à hauteur de 50 % d’une base de 300 euros. Et avec un effet rétroactif si l’achat a déjà été effectué. Une indemnité forfaitaire mensuelle a également été négociée pour les volontaires pour faire du télétravail. Comme la direction voulait très peu lâcher et que ces compensations financières ne sont pas aussi élevées qu’elles auraient pu l’être, il y a une clause de revoyure dans 6 mois.
C’est en ce sens que j’ai qualifié l’accord « d’a-minima ».
Et pourquoi avoir dit qu’il était « transitoire » ?
Eh bien, parce que la mise en place du télétravail — je parle bien sûr de la future période post-covid — entraîne un certain nombre de sujets à surveiller. A commencer par le respect du volontariat. Pourquoi l’entreprise a-t-elle voulu imposer que les salariés restent chez eux plusieurs jours par semaine ? Parce que cela lui permet de réduire les surfaces de travail avec des gains financiers à la clé. Donc, il faut surveiller que les gens ne subissent pas une pression psychologique pour prendre plus de jours de télétravail qu’ils ne le souhaitent. Il faut prendre garde à ce qu’il n’y ait pas de réduction massive des surfaces de locaux à moyen terme, que les collaborateurs qui retournent au bureau disposent de suffisamment de place. Idem pour le droit à la déconnexion.
Quand on travaille à la maison, on gagne le temps de transport, donc on a tendance à bosser plus, mais il faut savoir fermer l’ordinateur à un moment donné. Idem pour toutes les questions de cohésion d’équipes et de cohérence sociale. Tout cela nécessite des expérimentations managériales qui malheureusement n’ont pas pu se mettre en place pour le moment à cause du Covid. L’accord est aussi transitoire car une clause de revoyure dans 6 mois nous permet de rediscuter avec la direction de l’ensemble des thèmes en octobre 2021.
Sur le fond-même de la volonté de la direction de développer le télétravail, quelle est votre position ?
Nous sommes globalement pour, dans la mesure où c’est quand même une avancée sociale. Mais il faut que cela réponde aux besoins personnels, familiaux et professionnels des salariés. Il faut que tout le monde puisse s’y retrouver, que ce mode d’organisation de la vie en entreprise soit gagnant-gagnant. C’est pourquoi le volontariat est si important.
Nous avons d’ailleurs obtenu des souplesses de fonctionnement qui vont dans le bon sens, comme le fait qu’on ne sera pas obligé de prendre des jours fixes de télétravail chaque semaine, mais un nombre fixe entre 5 et 15 jours par mois. Ou encore qu’on pourra faire du télétravail partout en France, alors qu’avant il fallait se trouver dans sa résidence principale.
Propos recueillis par Gilles Lockhart