Retour aux actualités précédentes
Publié le 10 - 04 - 2025

    Pratiques managériales : l'IGAS pointe les failles du système français

    Malgré les dispositifs légaux et réglementaires existants, la France accuserait un retard significatif en matière de pratiques managériales. En cause : une approche structurelle peu axée sur le dialogue social et une formation managériale trop théorique.

    L’étude comparative de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) porte sur quatre secteurs d'activité (automobile, digital, assurance et hôtellerie-restauration) dans cinq pays (Allemagne, Italie, Suède, Irlande et France) et dénonce des pratiques managériales françaises « très verticales et hiérarchiques ». Pourtant, la France dispose du « dispositif public le plus complet pour influencer les pratiques managériales », avec le droit d'expression des salariés et les obligations employeurs sur la QVCT1. En théorie, elle possède donc tous les outils pour des politiques managériales efficaces.

    Le dialogue social, faiblesse française


    En pratique, une différence fondamentale sépare la France des pays plus performants : la place accordée au dialogue social. En Allemagne, les représentants des salariés co-définissent avec l’employeur les règles en matière d’organisation du travail. En Suède, le fait que les accords collectifs ne profitent qu’aux syndiqués entraîne un taux de syndicalisation de 70 %. En Italie, ce dialogue s'exprime surtout au niveau des branches professionnelles, tandis qu'en Irlande, malgré l’absence de droit à la représentation collective, la très grande proximité entre les manageurs et leurs collaborateurs font d’eux le lien principal entre entreprises salariés.

    Mais en France, la gestion de l'action managériale passe par la réglementation. Or, utilisée comme « levier privilégié d'intervention des pouvoirs publics », elle tend à remplacer le dialogue social plutôt que le stimuler. Le rapport souligne ainsi que « dans les autres pays étudiés, les instruments légaux sont moins présents et ciblent des questions prioritaires », tels que la prise en charge des risques psycho-sociaux (Suède), la gestion du télétravail (Italie) ou l'intégration du numérique dans le management (Allemagne).

    En France, la gestion de l'action managériale passe par la réglementation. Or, utilisée comme « levier privilégié d'intervention des pouvoirs publics », elle tend à remplacer le dialogue social plutôt que le stimuler »

    Les trois clés du management : la participation des travailleurs, la reconnaissance du travail et l’autonomie

    L’IGAS identifie trois caractéristiques du « bon management » : participation des travailleurs, reconnaissance de leur travail et autonomie. Hélas, en France, les salariés ont peu d'influence sur les décisions stratégiques de l'entreprise ou même la façon d'accomplir leurs tâches. En outre, la reconnaissance de leur travail (encouragements, retours d'expérience, droit à l'erreur) est « beaucoup plus faible en France que dans les autres pays étudiés ». La faute à une formation  « très académique et peu tournée vers la coopération ». 

    Maxime Legrand, secrétaire national du syndicat CFE-CGC en charge du secteur de l'Organisation du travail et la Santé au travail et participant à l'élaboration du rapport, observe que « dans les écoles de management et de commerce, les cours portent beaucoup sur le business et peu sur les bienfaits d’un bon management. Or, ce dernier a des effets très concrets sur l’engagement des salariés, leur efficacité au sein de l’entreprise, mais aussi l’attraction et la conservation des talents. Être un bon manageur ce n’est pas inné. C’est quelque chose qui s’apprend ! ».

    Pour y pallier, l'IGAS suggère d’intégrer des matières comme le dialogue social à la formation des manageurs. Elle recommande également d'élargir les compétences des CSE concernant l'organisation professionnelle et de renforcer l'implication directe des employés dans les décisions.

    L’accompagnement des manageurs, un défi à relever par les syndicats
     

    L'IGAS souligne que la France accuse aussi un retard dans le développement de structures accompagnant les manageurs, par rapport à l'Italie (avec sa fédération dédiée aux manageurs au sein de la Confindustria), à l'Allemagne (INQA2) ou à la Suède (confédération syndicales SACO et l’association professionnelle Lenarda dédiées à leur défense). Ce vide pourrait et devrait être comblé par les syndicats français. 

    Ainsi, l’IGAS préconise d’étendre les missions de l’APEC au conseil aux cadres dans leurs pratiques managériales, de développer des dispositifs d’accompagnement des nouveaux manageurs et de mettre en place un programme national de soutien à l’innovation managériale et à la qualité de vie au travail. 

    « Sur ce point, la CFE-CGC est particulièrement active », rappelle Maxime Legrand.  « Nous avons créé un outil sur le télétravail "mieuxtélétravailler.fr" et via la Confédération Européenne des Cadres (CEC), des guides sur l’IA ou sur la digitalisation. Ces outils impactent les salariés, et les cadres manageurs doivent les maîtriser et en appréhender les conséquences ».
     

    Une évolution sociétale nécessaire ?


    Le contexte semble favorable à ces évolutions, avec « une demande sociale de changement des pratiques managériales », tant de la part des salariés que des directions. Les manageurs ne peuvent l’ignorer : « Les managés n’attendent plus les mêmes choses des manageurs qu’il y a 10 ans. Ces derniers doivent sans cesse évoluer et s’adapter aux évolutions de la société, tout au long de leur carrière », prédit Maxime Legrand.  
     

    Les syndicats devront susciter l’adhésion pour d’autres raisons, en fournissant une protection, des conseils, de la formation, tout en continuant de sensibiliser au fait que ces luttes sont collectives et non individualistes »

    « Cependant, nous sommes dans une société de plus en plus individualisée, mais paradoxalement, les syndicats négocient des accords qui bénéficient collectivement à tous les salariés. Dans d’autres pays européens, seuls les adhérents d’un syndicat bénéficient des accords signés par ce dernier, ce qui encourage les travailleurs à adhérer, et donc à contribuer au collectif ». 

    Si la France n’adopte pas ce modèle, alors les syndicats « devront susciter l’adhésion pour d’autres raisons, en fournissant une protection, des conseils, de la formation, tout en continuant de sensibiliser au fait que ces luttes sont collectives et non individualistes », constate Maxime Legrand. Une opinion partagée par l’IGAS, qui recommande aux syndicats de renforcer leur offre de services comme l’assistance juridique, sociale et fiscale, le calcul des retraites, l’accompagnement des transitions.

    François Tassain

    1Qualité de Vie et des Conditions de Travail
    2 Initiative pour une nouvelle qualité du travail (Initiative für eine neue Qualität der Arbeit)