Comment se porte l’industrie, soumise à rude épreuve durant la crise ?
Si l’on revient quelque peu en arrière, il faut rappeler que l’année 2019, pour la première fois depuis plus de vingt ans, avait vu l’industrie ne pas perdre d’emplois en France. La dynamique était donc plutôt favorable jusqu’à la crise sanitaire, en mars 2020. La pandémie a évidemment créé un énorme choc. Tout s’est quasiment arrêté brutalement. Puis les entreprises ont travaillé sur des protocoles sanitaires pour favoriser le redémarrage progressif des activités industrielles. Globalement, certaines filières s’en sont bien sorties : agro-alimentaire, mode et luxe, chimie, matériaux… Il faut aussi noter que des petites unités ont su, avec agilité, transformer leurs outils de production afin, par exemple, de produire des masques.
A contrario, quelles sont les filières qui ont le plus souffert ?
Le secteur le plus touché est incontestablement l’aéronautique avec de nombreuses restructurations mises en œuvre dès le deuxième semestre 2020 dans les entreprises, en particulier Airbus et toute sa filière de sous-traitants. Aujourd’hui encore, les perspectives demeurent compliquées et les difficultés sont amplifiées par la progression des considérations écologiques et par le phénomène d’avion bashing qui émerge dans l’opinion publique.
L’automobile est un autre grand secteur en souffrance, sous l’effet de l’accélération des grandes mutations en lien avec le recul du diesel et du thermique. En témoignent les grosses difficultés rencontrées par la Fonderie du Poitou (fonte), productrice de carter cylindre pour moteurs diesel et essence, ou par Bosch, contraint de supprimer 750 emplois dans son usine de Rodez (Aveyron) où sont fabriqués des injecteurs et des bougies pour véhicules diesel. La filière automobile souffre qui plus est d’une pénurie de semi-conducteurs en provenance d’Asie. Enfin, n’oublions pas que la crise a fait exploser le prix du fret maritime, et créé de grosses tensions sur les prix de certaines matières premières (métaux) dont pâtissent plusieurs filières.
« L’industrie française, c’est 3 millions d’emplois directs ! »
Impact de la crise sanitaire, dépendance vis-à-vis de l’étranger, relocalisation de la production, évolution des compétences… Xavier Le Coq, délégué national CFE-CGC, dresse un état des lieux de l’industrie française.
Notre industrie est trop dépendante de l’Asie »
Combien d’emplois représente le secteur industriel ?
L’industrie française, c’est aujourd’hui 260 000 entreprises (dont 60 % de TPE et PME), un peu plus de 3 millions d’emplois directs et 4,5 millions d’emplois indirects. Au-delà des effets de la crise, la transition écologique et tous les enjeux afférents (neutralité carbone, énergies renouvelables, rénovation énergétique des bâtiments, économie circulaire, etc.) va faire évoluer significativement, à moyen et long terme, l’industrie française. Ce sont en effet des investissements colossaux pour tout un nombre de filières, par exemple le pétrole et la production de métaux. Les métiers vont se diversifier et il faudra accompagner toutes ces transitions, sachant que la France sait former des ingénieurs et des techniciens de haut niveau.
La pandémie de Covid-19 a crûment mis en lumière la dépendance industrielle de la France. Comment favoriser une relocalisation de la production ?
La problématique de notre dépendance aux composants électroniques se pose avec une grande acuité, en dépit d’un champion national dans le secteur (STMicroelectronics). Plus globalement, l’industrie française est aujourd’hui beaucoup trop dépendante de l’Asie. S’agissant des masques et des médicaments, le constat a été implacable. Quand Sanofi sabre dans ses investissements en R&D toutes ces dernières années, ce n’est pas un bon signal envoyé. Concernant les médicaments, on a délaissé la production des principes actifs. Le problème aujourd’hui, c’est qu’il est difficile de pouvoir relocaliser du jour au lendemain, même avec la meilleure volonté politique. L’État doit commencer par créer les conditions pour favoriser un écosystème national et inciter - par exemple fiscalement - des entreprises à investir en France.
Il faut par ailleurs continuer de lever les freins à la construction d’usines dans les friches industrielles. Comme l’a montrée la mission conduite en 2019 par le député Guillaume Kasbarian (LREM) pour accélérer l’implantation industrielle en France, le potentiel est là puisque l’on dénombre aujourd’hui sur le territoire national 80 sites industriels opérationnels clés en main : fouilles archéologiques et pré-travaux conformes, logistique effective, etc.
La France progresse en matière de robotisation, d’automatisation et de digitalisation »
35 des 100 milliards d’euros du plan de relance gouvernemental face à la crise ont été affectés à l’industrie. Qu’en pensez-vous ?
En premier lieu, il va falloir dépenser ces 35 milliards. Or tout l’argent mis sur la table ne l’a pas encore été. Ce montant englobe à la fois les plans de soutiens et toutes les aides pour les filières ; les appels à projets pour les aides à la relocalisation ; les investissements en faveur de l’industrie du futur : robotisation, déploiement de la 5G…
Ces sujets de l’usine du futur et de la modernisation de nos PME et ETI industrielles ont été lancés dès 2014 par Arnaud Montebourg, alors ministre du redressement productif. La France a longtemps accusé un retard en matière de robotisation, d’automatisation et de digitalisation. Aujourd’hui, dans le cadre du plan de relance, les choses vont dans le bon sens avec plusieurs appels à projet mobilisant des investissements très importants. Nous changeons de braquet et c’est tant mieux. Il convient d’ailleurs de saluer la création récente d’un 19e comité stratégique de filière (CSF) au sein du Conseil national de l’industrie (CNI), intitulé « Solutions Industrie du Futur ». Rappelons enfin que la France dispose, à l’image de Somfy et Staubli, de quelques fleurons industriels sur les solutions domotiques et l’automatisation.
L’apprentissage va-t-il enfin décoller en France ? Quid des compétences face aux nouveaux enjeux de l’industrie ?
La crise sanitaire a généré, en 2020, de grosses inquiétudes vis-à-vis de l’apprentissage. Fort heureusement, les entreprises industrielles, en particulier dans la métallurgie mais pas seulement, se sont fortement mobilisées pour maintenir le recours aux apprentis. L’image de l’apprentissage a qui plus est évolué très favorablement ces dernières années, séduisant de plus en plus les jeunes. Plus largement, les enjeux de formation vont être fondamentaux pour transformer les compétences des salariés selon l’évolution des besoins des filières dans les territoires. Ce n’est pas toujours simple car il faut composer avec divers freins : mobilité géographique, coût du logement, etc.
Quel rôle joue le Conseil national de l’industrie dont fait partie la CFE-CGC ?
Le CNI est une instance qui associe les pouvoirs publics, les représentants des industriels et les représentants des salariés de l’industrie. Il a pour vocation de conseiller les pouvoir publics sur l’état de l’industrie en France. Il est force de proposition pour soutenir la compétitivité des secteurs d’activité et participer au développement des industries, de leurs emplois et de leurs compétences. Sous l’égide du CNI, il existe 19 comités stratégiques de filière chargés d’établir des contrats de filière avec un cahier des charges pour identifier les enjeux clés.
Récemment, sous l’impulsion de son nouveau vice-président, Alexandre Saubot, le CNI a souhaité associer toutes les parties prenantes, dont les organisations syndicales, pour faire des propositions au gouvernement. Nous avons rapidement convergé pour la mise en place de trois groupes de travail ces prochains mois : la politique industrielle de l’énergie ; la relocalisation et l’autonomie stratégique de l’industrie française ; l’attractivité de notre industrie pour inciter davantage les entrepreneurs français et internationaux à investir dans des usines en France. La CFE-CGC y tiendra toute sa place et fera valoir ses positions.
Propos recueillis par Mathieu Bahuet
A lire aussi :
Le dossier sur l'industrie française paru dans le Magazine CFE-CGC n°11