Dans un contexte d’allongement de la vie au travail avec la mise en œuvre progressive de la réforme des retraites, comment favoriser le recrutement, le maintien dans l’emploi, et l’évolution professionnelle des seniors ? Dans le cadre de sa campagne « Élan Séniors, le temps de l’action » pour interpeller les entreprises sur l’emploi des seniors (712 800 cadres en emploi sont aujourd’hui âgés de 55 ans et plus), l’Association pour l’emploi des cadres (APEC) a organisé une matinée d’échanges le 26 septembre dans les locaux des Salons de l'Aveyron Paris.
Outre l’intervention de personnalités dont le sociologue Michel Wieviorka, Claudia Montero (directrice générale du cabinet Eurogroup Consulting), et Olivier Dussopt, ministre du Travail, les leaders syndicaux et patronaux ont pu discuter à l’occasion d’une table ronde animée par Philippe Mabille, directeur de la rédaction de La Tribune. Particulièrement sollicités en cette rentrée sociale avec des négociations en cours sur les retraites complémentaires et l’assurance chômage, et la conférence sociale sur les salaires programmée le 16 octobre par le président de la République, les organisations syndicales et patronales représentatives vont ouvrir une négociation nationale interprofessionnelle sur l’emploi des seniors. Ses modalités et son calendrier doivent faire l’objet, ces prochaines semaines, d’une lettre d’orientation gouvernementale.
Nous reproduisons ci-dessous un florilège des principales interventions et des réactions à la campagne publicitaire de choc lancée le 20 septembre par l’Apec pour interpeller sur l’emploi des séniors.
« Les seniors sont une précieuse ressource pour les entreprises »
Invité avec d’autres leaders syndicaux et patronaux d’une table ronde de l’Apec sur l’emploi des seniors, François Hommeril, président de la CFE-CGC, a fixé les enjeux avant l’ouverture d’une prochaine négociation sur le sujet.
FRANÇOIS HOMMERIL, PRÉSIDENT DE LA CFE-CGC
« Cette campagne de l’Apec est bienvenue, car on vit dans la société du lieu commun dont on nous abreuve depuis des années. Notamment le fait qu’il serait facile de retrouver un emploi quand on est cadre, alors qu’il est objectivé que les cadres de 55 ans sont davantage touchés par le chômage, notamment de longue durée (ndlr : 33 % des demandeurs d’emploi cadres seniors sont au chômage depuis au moins un an, souligne l’Apec dans son portrait statistique des cadres seniors). Il faut aussi battre en brèche les discours selon lesquels les cadres au chômage seraient bien indemnisés et pas pressés de retrouver du travail. Tout ceci n’est que fumisterie. »
« La vérité d’une entreprise dépend énormément de sa taille et de son secteur d’activité. Les organisations patronales doivent prendre en compte ces réalités fonctionnelles radicalement différentes dans les négociations que l’on mène. Il me semble intéressant de partir des trois paramètres personnels inhérents à un cadre : le désir/plaisir au travail ; la volonté de progresser dans sa carrière (responsabilités, rémunération…) ; et la crainte de perdre son emploi. Ces paramètres varient en intensité selon l’âge. À 25 ans, on a moins peur de perdre son emploi ou de solliciter une rupture conventionnelle pour aller chercher mieux ailleurs. À 50 ans, beaucoup craignent de faire partie du prochain plan social qui tombe invariablement tous les deux ans. Quand on est délégué syndical, on connaît cette réalité de terrain. Dès lors, la responsabilité qui nous incombe est de trouver des solutions et des dispositifs contraignants qui permettent aux salariés de plus de 55 ans de rester en emploi, et de faire bénéficier l’entreprise de toute leur valeur. Nous devons notamment travailler sur l’accompagnement médical renforcé, sur la formation et les compétences, et sur le temps disponible pour diminuer progressivement l’intensité du travail dans la dernière partie de carrière. »
« S’agissant de l’index sur l’emploi des seniors souhaité par le gouvernement, c’est vraiment prendre le sujet au ras des pâquerettes. Pour la CFE-CGC, il faut surtout mettre sur la table le sujet fondamental de la conditionnalité des aides publiques accordées aux entreprises, et le respect des engagements induits en termes d’emploi dont celui des séniors. »
« Pour finir, j’aimerais insister sur le mot clé de ressource. Avec la réforme des retraites, on échange deux ans de vie contre deux ans de travail supplémentaire. Cet échange n'est pas équilibré dans la mesure où, quand on est âgé de 63, 64 ou 65 ans, on est une ressource pour son environnement personnel, familial, associatif. En entreprise, il est donc temps que les services RH donnent du contenu à cette notion de ressources, et d’aller chercher chez les seniors toute la valeur qu’ils apportent. »
MARYLISE LÉON, SECRÉTAIRE GÉNÉRALE DE LA CFDT
« La campagne de l’Apec permet de sensibiliser à la lutte contre les stéréotypes. L’emploi des seniors est un sujet central sur lequel nous avons alerté le gouvernement dès le début du projet de réforme des retraites. Avec l’application de la loi, nous faisons face à des obligations pour trouver, par le dialogue social, des solutions concrètes en matière d’accompagnement, de formation, de valorisation des compétences, d’organisation du travail et de pénibilité. »
SOPHIE BINET, SECRÉTAIRE GÉNÉRALE DE LA CGT
« D’intérêt général, cette campagne appuie là où ça fait mal. Nous sommes confrontés à une réforme passée en force allongeant de 62 à 64 ans l'âge légal de départ à la retraite, alors que la France est un des pays européens où le taux d’emploi des seniors est parmi les plus faibles. Lors de la négociation, il sera nécessaire de réfléchir à des dispositifs contraignants. On ne peut pas se satisfaire d’un simple index des seniors, d’autant qu’il faut rappeler que les effectifs de l’Inspection du travail ont été réduits à l’os. »
CYRILLE CHABANIER, PRÉSIDENT DE LA CFTC
« L’emploi des seniors est un sujet crucial, à tous les niveaux. En tant que président d’une organisation syndicale, je tiens à dire qu’à chaque réunion ou interaction avec les représentants patronaux, ces derniers témoignent des précieux apports d’un senior à l’entreprise, par son expérience, par sa connaissance de la culture d’entreprise, par le tutorat, etc. À bien des égards, le sénior est le salarié idéal ! »
PATRICK MARTIN, PRÉSIDENT DU MEDEF
« Il est évident que nous nous avons un intérêt collectif à tous nous remettre en question sur les problématiques relatives à l’emploi des seniors. Des progrès ont déjà été enregistrés depuis 10 ans mais il faut encore faire mieux. Nous engagerons donc la prochaine négociation avec une grande détermination. »
FRANÇOIS ASSELIN, PRÉSIDENT DE LA CPME
« S je peux être là ce matin parmi vous, c’est parce que dans mon entreprise, j’ai des cadres qui font tourner la boutique. On a besoin des cadres et des seniors, de leur savoir-faire. Concernant la réforme des retraites, je veux aussi souligner que quand une entreprise embauche un cadre senior de 53 ou 54 ans, c’est un investissement sur 10 ans qu’elle fait. Cela change les perspectives. »
MICHEL PICON, VICE-PRÉSIDENT DE L’U2P
« Il convient d’apporter des réponses pour favoriser l’emploi des seniors, au niveau des entreprises comme des branches professionnelles. Dans les très petites entreprises que nous représentons, on a notamment besoin d’accompagnement car le recrutement d’un cadre est un processus difficile avec de forts enjeux selon les métiers et les secteurs d’activité. »
Mathieu Bahuet