Les organisations syndicales et patronales ont débuté le 5 septembre une négociation sur l’Agirc-Arrco, le régime de retraite complémentaire des salariés du privé. Comment se présente-t-elle ?
Le premier enjeu est celui de l’équilibre financier sachant que tous les feux sont au vert en la matière (ndlr : l’Agirc-Arrco disposait, au terme de l’exercice 2022, de 68 milliards d’euros de réserves). Le régime, géré par les partenaires sociaux, se porte bien et les projections confirment que cela va perdurer. Cela nous donne des marges de manœuvre. La réforme des retraites, qui s’applique depuis le 1er septembre, va amener des recettes supplémentaires à l’Agirc-Arrco. Ces ressources, issues du travail supplémentaire des salariés dû au report de l’âge de départ en retraite, doivent exclusivement bénéficier aux assurés actuels et futurs de la retraite complémentaire. Cette première séance de négociation a permis de faire un tour de table. En amont, la CFE-CGC avait fait réaliser cet été des simulations pour faire concilier nos positionnements avec une gestion responsable du régime paritaire.
« La mise en œuvre de la loi retraites crée de sérieuses difficultés »
Secrétaire nationale CFE-CGC à la protection sociale, Christelle Thieffinne fait le point sur les difficultés causées par l’entrée en vigueur de la réforme des retraites et sur la négociation entre partenaires sociaux pour la retraite complémentaire.
« Revaloriser les pensions de retraite complémentaire pour tenir compte de l’inflation et supprimer la décote »
Au nom de la CFE-CGC, vous pilotez la négociation avec Gérard Mardiné, ancien secrétaire général confédéral. Quels sont vos objectifs ?
Pour aboutir à un nouvel accord quadriennal après celui de 2019, il convient de fixer les orientations stratégiques de l’instance et les règles à appliquer pour la période 2023-2026 : la valeur d’achat du point (le niveau de cotisation) et la valeur de service du point (le montant de la pension complémentaire perçue). Notre revendication est de procéder à une revalorisation des pensions pour tenir compte du niveau de l’inflation.
Autre sujet important : le coefficient de solidarité mis en œuvre en 2019 pour préserver l’équilibre du régime. Aujourd’hui, avec la situation financière favorable de l’Agirc-Arrco et l’impact de la réforme des retraites, nous demandons la suppression de la décote de 10 % qui s’applique à la pension complémentaire dans le cas d’un départ en retraite à l’âge du taux plein. Le mécanisme n’a plus lieu d’être : si ce malus perdurait, ce serait une double peine pour les salariés qui subissent déjà un décalage de 62 à 64 ans de l’âge légal de départ à la retraite. Pour la CFE-CGC et l’ensemble des organisations syndicales, c’est une ligne rouge. Ce d’autant que la suppression du coefficient de solidarité ne coûterait qu’un tiers de ce que va rapporter la réforme des retraites aux ressources de l’Agirc-Arrco. J’ajoute qu’aujourd’hui, 53 % des personnels d’encadrement (techniciens, agents de maîtrise, cadres) font le choix de partir à la retraite à la date du taux plein, « subissant » le coefficient, quand 10 % optent pour faire une année de plus. Entre les deux, ce sont tous ceux et celles qui, selon les situations et les montants de salaires, ne subissent pas de décote.
La gouvernance de l’Agirc-Arrco va-t-elle rester du ressort des partenaires sociaux ?
Oui, je ne vois pas d’entaille possible sur le sujet venant des membres paritaires (organisations syndicales et patronales). Le gouvernement a bien tenté de procéder à un transfert du recouvrement des cotisations Agirc-Arrco vers les Urssaf mais a finalement reculé. Le sujet doit se retrouver dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2024, qui doit être présenté fin septembre. Nous verrons.
Toute cette impréparation de la mise en application de la réforme des retraites n’est pas acceptable »
Après une crise sociale historique, la loi réformant des retraites est entrée en vigueur au 1er septembre. Quel est l’état des lieux ?
Cette date marque le début des impacts que l’on va mesurer au fur et à mesure de la mise en œuvre de la loi. D’ores et déjà, s’appliquent le recul, échelonné, de l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans, ainsi que la durée de cotisation (voir les fiches CFE-CGC disponibles sur le site Intranet). Sur les carrières longues, il y a la problématique de la clause de sauvegarde permettant à certains assurés, nés entre septembre 1961 et fin 1963, de continuer à bénéficier des anciennes règles pour les départs anticipés. Problème : la CNAV a donné des directives pour que ses services n’appliquent cette clause que pour les salariés qui en font expressément la demande au moment de faire valoir leur droit à la retraite. Il y a un déficit d’information manifeste, et de réponses aux questions posées. Ces difficultés nous ont été confirmées par des administrateurs CFE-CGC et nos adhérents concernés. J’invite ces derniers à remonter, auprès de leur syndicat d’appartenance, toutes ces problématiques terrain. Pour résumer, il se passe exactement ce que nous avions prévu en amont… Toute cette impréparation n’est pas acceptable.
Quelles sont les autres difficultés ?
Les décrets concernant toutes les modalités afférentes à la réforme ont été publiés pendant tout l’été au compte-goutte, la veille encore de l’application effective, et il y a encore des textes de précisions attendus. C’est difficile à suivre, même pour des juristes aguerris. Des éléments doivent être mis à jour dans les bases de données. Sur les carrières longues, on sait que ça ne sera pas effectif avant la fin de l’année. Il faut aussi souligner la difficulté des conditions de travail pour les salariés des administrations de la Sécurité sociale dont les CARSAT. Aux délais contraints et à l’impréparation s’ajoutent un déficit de formation, une souffrance au travail et un malaise généralisé. Tout est réuni pour générer des risques psychosociaux.
S’agissant des pensions minimales et des promesses gouvernementales dont nous avons démonté tout l’argumentaire, il faudra attendre 2024. Surtout, il y aura beaucoup de personnes qui seront déçues de ne pas la percevoir ou dont le montant ne sera pas à la hauteur espérée.
Les mères de famille paient le plus lourd tribut à cette réforme des retraites »
La CFE-CGC a souligné combien les femmes mères de famille étaient pénalisées par cette réforme. Pour quelle raison ?
La réforme leur impose de travailler 2 ans de plus avec une amélioration très limitée de leur future pension. Ce sont elles qui, économiquement, paient le plus lourd tribut à la réforme. Elles sont obligées de travailler plus longtemps, sans résoudre les problèmes d’inégalités hommes-femmes en matière de niveau de pension. La réforme impacte particulièrement les femmes ayant eu un ou plusieurs enfants. Chaque naissance permet d’obtenir 8 trimestres supplémentaires soit 2 ans. La mesure permettait à beaucoup de femmes de partir à la retraite à taux plein à 62 ans ou de s’en approcher. Avec la réforme, ces trimestres supplémentaires n’auront plus la même utilité, ils sont comme effacés. Même si elles atteignent le taux plein dès 62 ans en partie grâce à ces trimestres supplémentaires, elles ne pourront partir en retraite qu’à 64 ans.
Tout a été dit sur la nocivité de cette réforme. Y a-t-il des points positifs, tels l’élargissement de la retraite progressive ou le cumul emploi-retraites ?
Le dispositif de retraite progressive est désormais accessible à de nouvelles populations : artisans, commerçants, fonctionnaires, professionnels libéraux… Nous l’appelions de nos vœux et nous continuerons de militer en ce sens car la retraite progressive est un des leviers pour améliorer l’emploi des seniors en entreprise. Concernant le cumul emploi-retraites, le dispositif ouvre des droits et peut être intéressant en fin de carrière mais il ne doit pas être vu pour améliorer une faible pension de retraite. Sur ces sujets, de prochaines fiches seront éditées et mises à disposition sur l’intranet CFE-CGC.
Les partenaires sociaux mènent depuis le printemps dernier une négociation sur les groupes de protection sociale (GPS). Quel en est l’objet ?
Elle s’inscrit dans le cadre de l’agenda social autonome entre organisations syndicales et patronales. C’est une négociation au long cours et nous sommes dans la phase de diagnostics partagés quant au fonctionnement des GPS, c’est-à-dire les acteurs qui gèrent à la fois la retraite complémentaire (Agirc-Arrco) et le secteur concurrentiel santé/prévoyance. Il s’agira ensuite de mettre à jour l’accord national interprofessionnel (ANI) de 2009 à la lumière des changements législatifs, et de consolider la gouvernance paritaire de ces structures.
Propos recueillis par Mathieu Bahuet