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« Les salariés doivent avoir les moyens de vivre de leur travail »
Conseil national de la refondation, transition écologique, retraite, assurance chômage, pouvoir d’achat, santé au travail, fonction publique : président de la CFE-CGC, François Hommeril dresse un large tour d’horizon de l’actualité sociale.
Le Conseil national de la refondation (CNR) a été inauguré le 8 septembre dernier. La CFE-CGC ne s’y est pas rendue. Emmanuel Macron a dit que les absents « avaient toujours tort ». Des regrets ?
Aucun regret. La décision de ne pas y aller, mûrie et argumentée, a été prise par notre bureau national. Au fond, nous ne croyons pas à la réalité d’une soi-disant nouvelle méthode. En effet, la semaine précédente était paru le projet de loi sur l’assurance-chômage dans lequel nous avons eu une nouvelle confirmation de la permanence des méthodes habituelles de l’exécutif. Le gouvernement fait semblant d’écouter les syndicats et, finalement, fait ce qu’il veut. Nous souhaitions marquer notre désapprobation envers une communication qui sert d’écran de fumée pour masquer la réalité des faits.
La CFE-CGC participe aux négociations paritaires sur la transition écologique en entreprise qui se sont ouvertes le 13 septembre et se concluront fin décembre. Qu’en attendez-vous ?
La négociation porte sur les efforts qui peuvent être faits en entreprise sur la sobriété énergétique pour passer l’hiver et, au-delà, mettre en place une culture pérenne de la sobriété. Prenons deux exemples. Dans la période à très court terme, il est probable que les difficultés d’approvisionnement en énergie et le coût de celle-ci fassent qu’il y ait des périodes où l’électricité, où l’énergie utilisées par les entreprises, notamment industrielles, soient cantonnées à certaines heures du jour ou de la nuit. Lorsqu’on aura connaissance de ces créneaux, comment organiser avec les partenaires sociaux la continuité d’activité et le travail ? Comment s’adapter à ces nouvelles conditions de travail ?
Comment aussi mettre en place de nouvelles pratiques permettant de faire des économies qui ne soient pas de bout de chandelle ? Ce qui est le plus énergivore dans une entreprise et qui ne concerne pas sa production, c’est le chauffage et le matériel numérique (PC, etc.). Dans cette négociation, nous allons être très vigilants à ce que les économies en termes de chauffage ne reviennent pas à baisser tellement la température sur le lieu de travail que, finalement, les salariés préfèrent rester chez eux et prendre sur leur propre budget le surcoût de consommation pour se chauffer. Il y a là un réel danger avec l’avènement du télétravail. Voilà deux des enjeux de cette négociation qui touchent tout le monde.
La transition écologique est donc un sujet mis en tête de liste par la CFE-CGC ?
Tout à fait. J’en veux pour preuve que dans notre document de réflexions et de propositions « Restaurer la confiance », nous abordons les différentes thématiques dans un ordre qui n’est pas anodin. Et que nous mettons la question économique et la priorité du partage de la valeur au même niveau que celle de la transition écologique, du développement durable et de la biodiversité. La jeune génération se distingue par un très haut niveau d’exigence sur ces questions. Si des entreprises et des secteurs n’ont pas la capacité de répondre à leurs attentes, ils ne parviendront pas à les embaucher, il n’y aura pas d’économie durable et ces secteurs risquent de disparaître.
« Il n’y a pas de réel problème budgétaire concernant notre système de retraites »
La réforme des retraites voulue par l’exécutif revient sur le tapis. Est-ce que le nouveau rapport du Conseil d'orientation des retraites (COR), qui dit que le système de retraites verra son solde se dégrader « sensiblement » dès 2023 et resterait dans le rouge au moins jusqu'au milieu des années 2030, vous fait changer de position ?
Absolument pas. Pour en avoir lu la synthèse, je constate que ce rapport change assez peu la donne par rapport au précédent, ce qui me permet de rappeler rapidement l’analyse que nous faisons depuis plusieurs années : il n’y a pas de réel problème budgétaire concernant le système de retraites par répartition en France parce que la question démographique, qui en est le paramètre central, a été réglée par plusieurs réformes techniques successives : le passage de 37,5 à 40 années de cotisation, puis à 42 et maintenant à 43, le calcul de la retraite sur les 25 meilleures années au lieu de 10, l’évolution pour les régimes complémentaires du taux d’achat du point, etc.
En revanche, c’est précisément parce que les retraites des salariés du privé ne sont pas menacées - si l’on excepte un besoin de trésorerie à moyen terme, certaines années, comme l’indique le COR - que le gouvernement brandit aujourd’hui une nouvelle réforme. Quand il parle de retraite, il inclut les retraites des fonctionnaires. Celles-ci représentent un poids dans les finances de l’État que le gouvernement veut faire porter aux salariés du privé en les faisant travailler plus. On entre là dans une nouvelle explication de l’idéologie de l’exécutif. Il veut durcir le régime de retraite du privé pour combler le déficit de celui du public. Et il entend le faire en se défaussant de la nécessaire solidarité nationale vis-à-vis des retraites du secteur public - qui aurait dû être appliquée depuis longtemps et à laquelle la CFE-CGC souscrit entièrement - en faisant payer les seuls salariés du privé. Ceux-ci travailleront plus longtemps, payeront plus de charges sociales et plus d’impôts durant leurs deux ans d’activité supplémentaire. Sans qu’il soit fait appel aux impôts indirects et aux impôts sur les sociétés dans le cadre d’une vraie solidarité nationale. Donc par un tour de passe-passe.
« Plutôt que sanctionner les demandeurs d’emploi, il convient d’agir sur le travail et sur les conditions dans lesquelles il s’exerce »
Le gouvernement souhaite de nouveau réformer l’assurance chômage avec un changement des règles d’indemnisation, en les modulant selon la situation du marché du travail. Qu’en pensez-vous ?
Malgré l’opposition unanime des organisations syndicales, je suis fatigué de voir l’exécutif convoquer, sur des sujets aussi importants, de tels arguments de comptoir. Comme la dégressivité des allocations, ce principe d’indemnisation contracyclique ne fonctionne pas. Nous pouvons produire une dizaine d’études de chercheurs qui ont prouvé, chiffres à l’appui, l’inefficacité de ces dispositifs pour le retour à l’emploi. Je demande au ministre du Travail de nous montrer ne serait-ce qu’un seul document académique réalisé par des gens sérieux, non par des escronomistes de plateaux, attestant du contraire.
Ce projet de loi n’est ni plus ni moins que la volonté d’aller prendre de l’argent aux 6 millions de demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi et dont moins de la moitié sont indemnisés. C’est une mauvaise réponse apportée à une multitude de vrais sujets parmi lesquels la problématique du logement et de son coût, celle des secteurs non attractifs en termes de salaires et/ou de conditions de travail (aides à la personne, santé, hôtellerie-restauration…) ou encore l’inadéquation de la formation initiale dans certaines filières. Sans oublier la désaffection croissante d’une partie de la population vis-à-vis d’entreprises où ils ne trouvent pas de réponses à leurs exigences : valeurs, éthique, raison d’être, etc. Plutôt donc que sanctionner les demandeurs d’emploi, il convient d’agir sur le travail et sur les conditions dans lesquelles il s’exerce.
« Dans les entreprises, les militants CFE-CGC sont très mobilisés pour améliorer le partage de la valeur »
Sur le pouvoir d’achat, comment jugez-vous l’action de l’exécutif et quelles sont les revendications de la CFE-CGC ?
Nous réaffirmons notre inquiétude, formulée dans notre récent communiqué estival. Quand, dans un contexte d’inflation de 5 à 7 %, il faut faire des chèques à tout le monde parce que les gens sont sur la pointe des pieds au fond du bassin, avec juste les narines qui sortent, cela met bien en évidence le grave problème de partage de la valeur auquel nous sommes confrontés. Les salariés doivent avoir les moyens de vivre de leur travail et pouvoir faire face aux vicissitudes de la vie. Dans le même temps, les dividendes ont encore battu des records, tout comme les rachats d’actions. Il faut enrayer cette spirale.
Dans les entreprises, les militants CFE-CGC sont très mobilisés pour améliorer le partage de la valeur à l’approche des prochaines négociations annuelles obligatoires (NAO). J’ai une grande inquiétude, c’est que les directions, par pur opportunisme, déclenchent des augmentations générales pour une catégorie restreinte de personnels, en excluant l’encadrement (techniciens, agents de maîtrise, cadres) pour qui seules des augmentations individuelles seraient envisagées. J’invite nos militants à la plus grande vigilance sur ce point car les augmentations générales sont la seule garantie pour préserver le pouvoir d’achat.
Les partenaires sociaux ont engagé une concertation sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (AT/MP). Quels en sont les enjeux ?
Ces travaux ont débuté à la demande du Medef qui, constatant un excédent récurrent de l’ordre de 1 milliard d’euros sur la branche AT/MP, veut négocier sur le sujet. La CFE-CGC est prête à travailler sur la base d’un diagnostic partagé si la finalité n’est pas de baisser les cotisations des employeurs. Notre mandat est clair : remettre en question le principe de contribution des entreprises ou baisser les cotisations constitueraient une ligne rouge. Personne n’est dupe : si la branche AT/MP est excédentaire, c’est qu’il y a un phénomène de sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles non reconnues alors qu’elles devraient l’être.
Pour la CFE-CGC, cette concertation doit mobiliser notre intelligence collective pour favoriser la prévention et améliorer nos outils de mesure, pas pour gratter çà et là quelques sous. J’ajoute que nous avons la chance d’avoir en France l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), une instance paritaire référente sur la santé au travail et la prévention, et qui se bat actuellement pour disposer d’un budget à la hauteur de ses missions. Il faut donner à nos chercheurs les moyens de travailler correctement.
« Les agents des trois versants de la fonction publique (État, territoriale et hospitalière) ont besoin d’être représentés par une organisation comme la CFE-CGC »
Une négociation sur les carrières et les rémunérations des agents de la fonction publique doit débuter le mois prochain entre le ministère de la Transformation publique et les syndicats. Qu’en espérez-vous ?
Les grilles salariales de la fonction publique sont hiérarchiques, selon des grades. Dès l’instant que le point d’indice n’est pas revalorisé à la hauteur de l’inflation, on assiste à une dévaluation de l’ensemble des grilles pour les agents. Les gouvernements successifs se sont mis depuis quinze ans dans une impasse en bloquant le point d’indice, faisant ainsi payer aux fonctionnaires une partie du déficit budgétaire. La prochaine négociation est à hauts risques car il est probable que l’État, contraint de revaloriser les débuts de carrière pour réattirer du personnel, se retrouve à dévaluer les carrières intermédiaires et les fins de carrière d’agents qui ont progressé, passé des concours, pris des responsabilités. Il ne faut en aucun cas déhiérarchiser la grille salariale pour financer les débuts de carrière en pénalisant les cadres de la fonction publique.
Plus largement, la Confédération, la Fédération CFE-CGC des services publics et les différents syndicats affiliés semblent miser beaucoup sur les élections professionnelles de décembre prochain. Pour quelles raisons ?
Pour une raison simple : la fonction publique dans ses trois versants (État, territoriale et hospitalière) a besoin d’être représentée par une organisation comme la nôtre qui défend les métiers, les compétences, les responsabilités. Et qui lutte contre une administration kafkaïenne mise en place avec comme seul objectif de faire de la maîtrise des coûts et de la réduction des dépenses. Tout cela sur le dos des agents et de leurs métiers, avec comme conséquence l’augmentation de leur niveau d’inconfort voire de souffrance dans l’exercice du travail et des missions.
On peut ajouter que c’est un enjeu important pour la CFE-CGC puisque la question de la représentativité est centrale. Quand on a les ambitions qui sont les nôtres de peser dans le débat, il faut prouver à tout moment, au-delà de la qualité de nos propositions, que nous représentons un corps important de la société. Dans ce souci de force et de qualité, nous devons avoir une audience dans la fonction publique au même niveau, à terme, que dans le privé. Quand on voit l’investissement de nos militants, la mobilisation de nos équipes territoriales et la qualité des propositions de nos syndicats, on peut être sûr que ces efforts vont être payants.
Propos recueillis par Mathieu Bahuet et Gilles Lockhart