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Publié le 08 - 11 - 2019

    Lanceurs d'alerte, statut fragile : lettre ouverte à Emmanuel Macron

    Dans une lettre ouverte à Emmanuel Macron, président de la République, de nombreuses personnalités dont François Hommeril président de la CFE-CGC, réclament plus de protection et un statut renforcé pour les lanceurs d'alerte.

     

    Monsieur le Président de la République,

    La France a adopté en 2016, avec la Loi dite Sapin 2, une législation pionnière en matière
    de protection pour les lanceurs et lanceuses d’alerte. C’est en s’appuyant sur ses équilibres
    et ses acquis que nos organisations ont obtenu l’adoption en octobre dernier de la première
    directive européenne en leur faveur. Cette directive reprend l’essentiel des avancées de la
    loi française, mais offre également une opportunité de pallier les limites de cette dernière et
    de l’amender. Elle comporte une « clause de non régression », qui garantit l’objectif
    démocratique de renforcement des protections des lanceurs d’alerte lors de sa transposition.
    Nous avons désormais deux ans maximum pour transposer la directive en droit français.
    Mobilisés depuis de longues années sur le sujet, nous souhaitons, du fait de l’expertise de
    nos structures, être partie prenante de la transposition et par conséquent être associés en
    amont. La transposition d’une directive est en effet un exercice de mise en oeuvre politique
    autant que juridique, et nous tenons à ce que la France soit exemplaire en se dotant d’un
    des meilleurs standards de protection des lanceurs et lanceuses d’alerte dans les meilleurs
    délais.

    C’est pourquoi nous souhaitons attirer votre attention sur plusieurs points.
    En premier lieu et comme la directive le préconise, il convient de préserver les avancées de
    la Loi Sapin 2 et notamment une définition large du lanceur d’alerte, qui inclut le signalement
    des violations du droit et les menaces ou préjudices graves pour l’intérêt général. La Loi
    Sapin 2 a permis de simplifier le mille-feuille juridique complexe et incohérent avec des
    droits d’alerte variant en fonction du domaine concerné ; nous tenons à conserver le champ
    matériel global de la Loi Sapin 2, ainsi qu’une législation protégeant tous les lanceurs
    d’alerte, que leur alerte s’inscrive ou non dans le cadre professionnel.

    Le législateur européen a tenu à aller plus loin que la loi française sur plusieurs aspects, et
    la directive commande de revoir notre droit national sur plusieurs points déterminants.
    D’abord la mise en place d’une procédure d’alerte à 2 paliers au lieu de 3 en France,
    permettant aux lanceurs d’alerte de choisir soit le dispositif de leur entreprise/administration
    soit une autorité externe (autorité judiciaire ou administrative, nationale ou européenne).
     

    Des délais précis sont instaurés pour traiter l’alerte et les possibilités de révélation publique
    sont élargies en cas de risques de représailles, de destruction de preuves ou de conflits
    d’intérêts de l’autorité externe.
    Les critères pour être reconnu et protégé comme lanceur d’alerte sont clarifiés, avec
    l’exigence d’être « de bonne foi » et de respecter la procédure d’alerte. Les critères
    subjectifs créateurs d’insécurité juridique - la nécessité d’être désintéressé et d’avoir une
    connaissance personnelle des faits révélés - sont écartés. Nos organisations considèrent
    qu’il s’agit d’une avancée, dès lors que demeure formellement exclue la rémunération des
    lanceurs d’alerte.
    La directive conforte l’exercice plein et entier du droit syndical et notamment le droit de tout
    travailleur à être défendu et accompagné par un représentant du personnel ou un syndicat
    dans le cadre de cette procédure d’alerte. Elle y ajoute la possibilité pour le lanceur d’alerte
    d’être accompagné par un « facilitateur », collègue, élu ou encore organisation syndicale,
    qui pourra alors bénéficier des mêmes protections que le lanceur d’alerte. Enfin, elle prévoit,
    outre la réparation intégrale des dommages et l’aménagement de la charge de la preuve, un
    renforcement de la protection des lanceurs d’alerte avec le droit d’accéder à une assistance
    juridique indépendante et gratuite et la création d’une nouvelle sanction pour les auteurs de
    représailles.
    Pour faire de la France une référence internationale sur le sujet et achever la rationalisation
    et l’effectivité de notre législation, nous souhaitons que la transposition de la directive soit
    aussi l’occasion d’intégrer les préconisations du Conseil de l’Europe1 . Nous proposons
    notamment que le statut de lanceur d’alerte soit élargi aux personnes morales, de façon à
    favoriser le « portage d’alerte » dans le but d’éviter d’exposer des individus fragilisés et
    isolés. Il nous semble également nécessaire que la définition du facilitateur soit étendue aux
    ONG dont la mission est l’alerte éthique, de façon que nos organisations et notamment la
    Maison des Lanceurs d’Alerte, puissent conseiller et accompagner les lanceurs d’alerte.
    Enfin nous préconisons le renforcement des missions et des moyens du Défenseur des
    droits, la création d’un fonds de soutien (abondé par les amendes) et l’octroi du droit d’asile
    aux lanceurs d’alerte.
    Avec cette directive nous avons la possibilité de montrer une Europe qui protège les droits
    fondamentaux et garantit les libertés. C’est d’autant plus nécessaire que, comme nous le
    craignions, la mise en place du secret des affaires se traduit par un recul de l’information
    citoyenne sur l’activité des entreprises et des institutions, à l’image de l’affaire « implant
    files », dans laquelle des journalistes du Monde se sont vu refuser l’accès à des documents
    administratifs ayant trait à la santé publique au motif du secret des affaires. La transposition
    de cette directive est une opportunité pour construire un État exemplaire, qui lutte
    activement contre la corruption et toute atteinte à l’intérêt général, en garantissant aux
    citoyens les droits et moyens de s’informer et d’agir.
    Nous veillerons à ce que cette transposition soit rapide et à la hauteur de ces enjeux.
    Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre
    haute considération.

    Signataires :
    Patrick Appel-Muller, directeur de la rédaction de l’Humanité
    Arnaud Apoteker, délégué général de Justice Pesticides
    Éric Beynel et Cécile Gondard-Lalanne, porte-paroles de l’union syndicale Solidaires
    Sophie Binet et Marie-José Kotlicki, cosecrétaires générales de l’Ugict-CGT
    Sylvie Bukhari-de Pontual, présidente de CCFD Terre Solidaire
    Nadège Buquet et Jacques Testart coprésidents de la Maison des Lanceurs d’Alerte
    Brigitte de Château Thierry, présidente de la CFTC Cadres
    Maxime Combes et Aurélie Trouvé, porte-paroles d’Attac France
    Sandra Cossart, directrice de Sherpa
    Luc de Rome, président d’Action Aid France
    Cécile Duflot, directrice générale d’Oxfam France
    Malthilde Dupré, codirectrice de l’Institut Veblen
    Guillaume Duval, président du Collectif éthique sur l’étiquette
    Marc André Feffer, président de Transparency International France
    Joël Ferbus, secrétaire d’Alerte Phonegate
    Bénédicte Fumey, porte-parole de Pacte Civique
    Khaled Gaiji, président des Amis de la Terre France
    Bernadette Groison, secrétaire générale de la FSU
    François Hommeril, président de la CFE-CGC
    Informer n’est pas un délit
    Karine Jacquemart, directrice générale de Foodwatch France
    Kévin Jean, président des Sciences Citoyennes
    Jean-François Julliard, directeur exécutif à Greenpeace France
    Nicolas Laarman, délégué général de Pollinis
    Elliot Lepers, directeur exécutif ONG ˜ Le mouvement
    Laurent Mahieu, secrétaire général de la CFDT Cadres
    Jean-Louis Marolleau, secrétaire exécutif du Réseau Foi et Justice Afrique Europe
    Patrick Monfort, secrétaire général du SNCS-FSU
    Laëtitia Moreau, présidente de la SCAM
    Jérôme Morin, secrétaire général de la F3C CFDT
    Éric Peres, secrétaire général de FO Cadres
    Olivier Petitjean, coordinateur de l’Observatoire des multinationales
    Jean-Christophe Picard, président de ANTICOR
    Martin Pigeon, Corporate Europe Observatory
    Edwy Plenel, directeur de Mediapart
    Emmanuel Poilane, président du CRID
    Julie Potier, directrice de Bio consom’acteurs
    Grégoire Pouget, président de Nothing2Hide
    Emmanuel Poupard, premier secrétaire général du SNJ
    Lison Rehbinder, coordinatrice de la Plateforme Paradis Fiscaux et Judiciaires
    Fabrice Rizzoli, président de Crim’Halt
    Laurence Roques, présidente du Syndicat des Avocats de France (SAF)
    Sabine Rosset, directrice de BLOOM
    Malik Salemkour, président de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH)
    Société des journalistes et du personnel de Libération
    Société des journalistes des Échos
    Société des journalistes de 20 Minutes
    Henri Sterdyniak, Les économistes atterrés
    IlhameTaoufiqi, vice-présidente SKJ TV5 Monde
    Pauline Tetillon, coprésidente de Survie
    Antoine Tinel, Société civile des journalistes de Sud-Ouest
    Christian Vélot, président du Conseil scientifique de CRIIGEN
    Emmanuel Vire, secrétaire général du SNJ-CGT
    Marie Youakim, coprésidente de RITIMO