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La santé mentale des cadres sous pression
Un tiers des cadres français se disent fréquemment atteints de troubles de santé mentale. La cause, un travail constamment « sous pression » vécu par 41 % d’entre eux, contre seulement 24 % des non-cadres.
La santé mentale des cadres et manageurs français est dans le rouge, révèle une étude publiée le 9 octobre par l’Association pour l’emploi des cadres (Apec). Une charge de travail élevée, des objectifs exigeants et des horaires étendus, mais également une « culture du dépassement » pousse nombre d’entre eux à sacrifier leur santé pour leurs accomplissements professionnels. Pour Maxime Legrand, secrétaire national « Organisation du travail - Santé au travail » à la CFE-CGC, une réorganisation du travail et une remise en cause de la « culture cadre » sont nécessaires.
Un travail sous pression, en particulier pour les manageurs
Car le portrait dressé par l’étude de l’Apec est particulièrement inquiétant. Selon cette dernière, 41 % des cadres travailleraient souvent sous pression (vs 24 % des non-cadres). L’état des cadres manageurs est encore plus sombre, puisque 58 % disent parfois ressentir un sentiment de stress intense dans leur travail, contre 52 % des cadres non-manageurs. Ils sont également 62% à devoir gérer trop de tâches et 50 % à travailler dans l’urgence, contre 53 % et 40 % des cadres non-manageurs.
C’est d’ailleurs la surcharge de travail : (47 %) et le cumul des rôles management plus production (38 %) qui sont désignés comme les deux éléments qui impactent le plus leur santé mentale de manière négative. Pour Maxime Legrand « En plus de la pression inhérente au rôle de cadre, nous sommes dans une culture du dépassement personnel permanente et presque malsaine, avec en fer de lance des dirigeants d’entreprises de la tech qui se mettent au MMA. Une société dans laquelle les marathons laissent la place aux ironman (marathon+natation+vélo) et où le fitness devient Hyrox… la société dans son ensemble pousse certains à sacrifier leur santé sur l’autel de l’effort constant, et à rechercher la performance même dans leurs loisirs », constate-t-il.
Les conséquences sont nombreuses : stress intense, anxiété, irritabilité, déprime, épuisement professionnel… avec une vulnérabilité accrue chez les jeunes cadres et les femmes, déjà affligées par d’autres pressions. En outre, « les cadres sont particulièrement affectés par la multiplication et l’accélération des canaux d’information et de communication, qui peuvent être vites écrasants du point de vue mental », ajoute Maxime Legrand.
Un problème déjà dénoncé par la confédération
Les problèmes soulevés par l’étude sont d’autant plus frustrants qu’ils « reprennent des éléments que la CFE-CGC dénonce depuis longtemps. Ils soulignent les manquements de gouvernance à la française, qui avait déjà été pointée du doigt dans un rapport de l’IGAS. La France a clairement un problème culturel d’organisation du travail. Pourtant, d’autres pratiques existent chez nos voisins, et elles fonctionnent ! Si nous agissons, il est encore possible de faire changer les choses », affirme Maxime Legrand.
Des entreprises qui ne sont pas à la hauteur
En effet, pointe l’APEC, les entreprises françaises n’offrent guère d’appui aux cadres et manageurs en détresse. Seulement un quart des répondants (26 %) considèrent que leur employeur a accordé une attention particulière aux enjeux de santé mentale, une proportion qui monte à 31 % chez les cadres exerçant des responsabilités managériales. Pire, une majorité des cadres jugent les initiatives de leur organisation insuffisantes, voire absentes. Près de la moitié d'entre eux (44 %) constatent par exemple que leur entreprise s'est contentée de messages de sensibilisation sans mettre en place de mesures tangibles, tandis que 30 % affirment que leur employeur n'a entrepris aucune démarche sur cette thématique.
« Il faut bien avoir conscience qu'économiquement parlant, et c'est dit dans l'enquête, ça coûte plus cher sur le long terme de ne rien faire que de faire quelque chose », prévient Maxime Legrand. Pour lui, les solutions passent par « le dialogue social, et les négociations sur la qualité de vie et les conditions de travail (QVTC). Les entreprises doivent comprendre que si elles investissent dans la santé de leurs salariés, elles auront un retour sur investissement positif et mesurable. Former les manageurs sur le sujet serait un vrai plus, et permettrait à ces derniers d’aborder ce sujet de manière plus efficace ».
Les manageurs face à leur détresse et celles des autres
Car, devant la faiblesse de la réponse des entreprises, les manageurs sont forcés de prendre la situation en main par eux-mêmes. Ainsi, 89 % d’entre eux disent discutent avec leurs collaborateurs et collaboratrices des conditions de travail pouvant impacter leur santé mentale au moins quelques fois par an, tandis qu’un sur deux en discute plusieurs fois par mois (53 %). Mais 65 % d’entre eux estiment qu’il est ardu de détecter les problèmes de santé mentale au sein de leurs équipes. Trouver une solution appropriée constitue aussi une difficulté pour 69 % d’entre eux, en particulier lorsqu’ils exercent dans de petites équipes (76 %) ou dans des entreprises dont ils considèrent le management comme très vertical (81 %).
En outre, près de la moitié craignent d’être maladroits, intrusifs ou de commettre des erreurs, preuve d’une absence de lignes de conduites claires. Ils trouvent également difficile de distinguer ce qui relève de leur responsabilité de ce qui incombe à d’autres acteurs (43 %) ou de savoir vers qui orienter les personnes en difficultés (32 %).
« C'est précisément l'objet du projet SUPERManagement (Savoir Unir Promouvoir Entraîner Reconnaître dans le MANagement) lancé par la CFE-CGC avec l'ANACT : nous accompagnons et outillons les manageurs et leurs collaborateurs dans la transformation des organisations du travail. Nous avons piloté plusieurs études sur les impacts du télétravail et les enjeux managériaux, analysé les accords collectifs, interrogé les dirigeants de TPE-PME. En tant que syndicat de l'encadrement, nous devons être référents sur ces sujets et valoriser la prise de responsabilités », précise Maxime Legrand.
Un enjeu qui dépasse l'entreprise
Face à ces constats, il insiste sur une approche globale : « On ne le répétera jamais assez, ce n'est pas un problème que l’on résout à l’échelle de l'individu. C’est une question d'organisation du travail. On ne soigne pas le stress avec des applis mais en réorganisant l’activité des salariés ! La santé mentale, c'est, après tout, le baromètre du travail réel ».
En ce but, la CFE-CGC agit sur tous les fronts : dans l’entreprise, pour améliorer concrètement la qualité de vie au travail ; au niveau national, en pesant dans les accords interprofessionnels ; et au niveau européen, en diffusant les bonnes pratiques entre pays. « C’est tout un écosystème qui se construit autour de deux leviers : le dialogue social et les nouvelles pratiques managériales. Nous avons les outils, il faut maintenant passer à l’action », argue-t-il.
Propos recueillis par François Tassain