Le 17 mars dernier, la France a été confinée et l’espace de Schengen fermé. Des milliers de marins, dont de nombreux adhérents CFE-CGC, se trouvaient alors confinés à l’extérieur de leur pays. Quelle a été leur situation ?
Pour les marins, la crise a commencé avec l’apparition du virus en Chine en janvier dernier et les premières mesures de restrictions mondiales de transports. Les navigants français sur porte-conteneurs, pétroliers, gaziers, en escale ou dans des chantiers asiatiques ont subi des annulations de relèves d’équipages et des mesures très contraignantes tant pour débarquer que pour embarquer. Depuis 4 mois, certains marins ne peuvent plus débarquer par manque de vols, refus des pays, ou impossibilité de voir arriver un remplaçant. Les conditions sont parfois très difficiles pour les embarquants confrontés à des quarantaines de 14 jours en chambre d’hôtel. C’est dur à vivre psychologiquement. Des adhérents de la CFE-CGC Marine partis en décembre dernier pensaient revenir pour leurs vacances d’hiver en famille. Ils ne savent pas encore s’ils pourront débarquer au début de l’été ! Aucun n’avait imaginé que leur métier pourrait un jour les tenir écartés six mois de leur famille.
Depuis le 23 mars, les organisations syndicales maritimes échangent chaque semaine avec le ministère des Transports et les armateurs. Quelles ont été vos demandes ?
Les épisodes de paquebots ou de porte-avions contaminés ont montré le risque d’une propagation très rapide du virus à bord. La difficulté d’accès invite aussi à des mesures spécifiques de prévention. Nos échanges permettent un travail continu d’adaptation des recommandations et des réglementations du secteur. La demande d’accès aux dépistages a vite été au cœur de nos échanges. Le confinement à domicile a permis une relative sécurisation des relèves d’équipage en avril mais, avec le déconfinement, le risque réapparaît. Il n’est pas possible d’imposer à un travailleur une mise en quarantaine de 14 jours en chambre d’hôtel ou centre gouvernemental avant de rejoindre le navire… Une telle disposition repose uniquement sur le volontariat. Cela contraint terriblement la planification des équipages. La pression s’installe aussi pour les navigants inquiets d’assumer un refus.
Nous savions dès le début du confinement que la clef de la reprise serait la capacité à dépister massivement les marins avant embarquement. Nous avons insisté et obtenu un arbitrage favorable en dérogation du protocole de déconfinement du gouvernement. Malheureusement, à ce jour, la capacité de dépistage dépend surtout de la volonté et des moyens des employeurs. À noter que chez Corsica Linea, nous avons pu obtenir une aide très importante de l’IHU de Marseille qui a testé plusieurs centaines de marins ces dernières semaines.
Autre enjeu des discussions : la recherche de corridors d’accès dans les zones stratégiques de relève. Nous veillons à ce que les lignes directrices de la Commission européenne pour faciliter la circulation des marins soient bien appliquées au sein de l’espace Schengen. Nous cherchons aussi à identifier les ports internationaux où les relèves sont possibles par avion et sans quarantaine, et à signaler des besoins d’actions en urgence pour nos adhérents et l’ensemble des navigants sur les navires de commerce français.
"La crise montre à quel point la flotte française est stratégique"
Activité essentielle à la nation, la marine marchande est rudement frappée par la crise. Entretien avec Pierre Maupoint de Vandeul, officier de marine marchande chez Corsica Linea et président de la CFE-CGC Marine.
Le dialogue social apparaît très nettement comme un outil de gestion de crise indispensable."
Quels sont les impacts du Covid-19 sur les conditions de travail et le dialogue social ?
Des plans de sauvegarde et des plans de reprise d’activités ont été établis pour s’adapter au jour le jour aux contraintes sanitaires et économiques. Les institutions représentatives du personnel (IRP) des compagnies maritimes veillent à ne pas trop s’écarter trop du cadre social habituel, mais des adaptations ont été nécessaires pour limiter les interactions ou mieux répartir l’activité partielle. Comme de nombreux secteurs, nous avons constaté les inégalités de moyens et de méthodes entre les entreprises. Or le dialogue social apparaît très nettement comme un outil de gestion de crise indispensable. Quand il est structuré avec des organisations syndicales respectées, formées et responsables, nous constatons une bonne réaction du corps social face à la crise.
À l’inverse, nous connaissons des compagnies maritimes sans IRP, ou avec un dialogue social dégradé : le résultat est alors sans appel en termes de perte de confiance des salariés vis-à-vis de leur direction… Cette crise agit en révélateur : la CFE-CGC Marine identifie d’ores et déjà les compagnies où il faudra s’implanter pour accroître son développement syndical et améliorer le dialogue social.
Le secteur a-t-il eu recours au chômage partiel ? De prochains licenciements sont-ils à craindre ?
Les compagnies maritimes ont eu largement recours au chômage partiel avec des motifs très différents et des réductions massives d’activités (navires à passagers ou activité portuaire). La plupart des compagnies françaises subissent violement la crise mais sont saines : leurs modèles et activités se rétabliront à court ou moyen terme. Nous n’imaginons pas, à ce jour, de plan social mais plutôt une année difficile pour l’emploi des plus jeunes en CDD. Il faudra une vigilance particulière pour le groupe parapétrolier Bourbon qui emploie un millier de navigants français et qui amorce un plan de sortie de redressement judiciaire. Le groupe subit aujourd’hui une double crise sanitaire et pétrolière avec de nombreuses activités de forage à l’arrêt. Une trentaine d’élus CFE-CGC navigants et sédentaires y sont pleinement investis au sein des IRP.
Un plan Marshall de la formation maritime pour accompagner le repositionnement des emplois français et européens."
Quels seront les nécessaires ajustements du secteur à l’avenir ?
Cette crise nous invite à réfléchir au monde maritime de demain. La CFE-CGC sera force de propositions au sein du Conseil national de la mer et des littoraux qui remettra au Premier ministre ses contributions. Nous y porterons nos inquiétudes d’un retour encore plus fort des problématiques de dumping social. La dégradation rapide du droit social de certains pays européens, au motif sanitaire et sans garde-fou, risque d’accroître les écarts intracommunautaires. Il s’agit donc de protéger nos activités et de considérer le caractère stratégique de nos emplois. La globalisation, dont le maritime a servi de laboratoire puis d’accélérateur, est génératrice de richesses peu et mal réparties. Elle doit être rationnalisée en priorisant les circuits courts et l’excellence environnementale. Nous n’avons pas peur de la réduction du trafic intercontinental car des besoins nouveaux apparaîtront aux niveaux national et communautaire.
Les armateurs puisent aujourd’hui dans des réserves financières initialement dédiées aux lourds investissements d’adaptation et au renouvellement de leurs navires. Le plan de relance gouvernemental pour les transports maritimes doit permette la mise en œuvre de financements pour maintenir puis accélérer cette transition, en priorisant les projets ambitieux en termes d’emplois. Un plan Marshall de la formation maritime devra accompagner ce repositionnement des emplois français et européens. Cette crise sanitaire montre à quel point la flotte française est stratégique pour la sécurité des approvisionnements. Elle l’est tout autant par ses navires que par ses navigants !
Propos recueillis par Cecilia Escorza