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Publié le 19 - 05 - 2020

    Garder son emploi, en trouver ou en retrouver un : préoccupation n°1

    Enjeux liés au déconfinement, problématique exacerbée de l’emploi, nécessaire encadrement du télétravail, mobilisation des militants CFE-CGC sur le terrain : François Hommeril, président confédéral, dresse un premier bilan de la crise.  

    Au terme de cette première semaine de déconfinement, quel est votre sentiment général ?

    Au-delà de la symbolique de la date du 11 mai qui avait été annoncée par le président de la République, il faut examiner le déconfinement sous l’angle de l’activité. Les deux mois écoulés ont mis en perspective une extraordinaire diversité des situations. Beaucoup d’activités ne se sont jamais arrêtées, d’autres avaient déjà repris bien avant le 11 mai. C’est le cas de l’usine dans laquelle je suis salarié (ndlr : l'usine chimique Alteo du site de La Bâthie, en Savoie) et où je suis revenu à mon bureau depuis deux mois. Après avoir été arrêté mi-mars, cette PME est repartie depuis le 6 avril. Les mesures barrières sont passées dans les normes et les habitudes : on veille surtout, aujourd’hui, à ce que l’attention de chacun ne faiblisse pas sur les précautions sanitaires.

    Il y a une autre catégorie de personnes pour lesquelles le déconfinement ne change pas grand-chose sur le plan professionnel : ce sont les salariés du tertiaire que leurs employeurs maintiennent en travail à domicile. On ne sort donc pas d’une grande semaine de rupture, ce qui colle d’ailleurs à la volonté du gouvernement que tout ne redevienne pas, d’un coup, « comme avant ».

    Examiner le déconfinement sous l’angle de l’activité, c’est aborder le sujet crucial de l’emploi. Qu’en est-il ?

    Il est très clair, pour moi, qu’un risque va en déplacer un autre. Le risque sanitaire qui a instantanément et légitimement envahi les esprits en mars va peu à peu se dissiper pour laisser place à un risque économique. Il sera variable selon les secteurs mais global au niveau du pays. Ce risque va monter en puissance avec une rapidité et une violence d’une très grande ampleur. Garder son emploi, en trouver ou en retrouver un va devenir la préoccupation numéro 1. Le gouvernement a pris une décision majeure en finançant le recours massif au chômage partiel. On va désormais vers l’extinction de ces dispositifs. La réalité économique reprend ses droits. L’activité repart mais pas partout. Dans certains secteurs, il manque des commandes, du chiffre d’affaires. Dans l’aéronautique, par exemple, les entreprises commencent à travailler sur des restructurations qui auraient forcément un impact social. Et on pourrait multiplier les exemples.

    Quelles conséquences peut-on anticiper sur les recrutements ?

    Nous savons tous que dans les entreprises confrontées à des difficultés économiques voire financières, la première ligne qui saute est celle des recrutements prévus dans l’année. Il va donc se produire un choc de recrutement : nous étions dans une phase dynamique avant la crise ; nous allons maintenant tomber de Charybde en Scylla. Au passage, s’agissant des grandes sociétés, les premières victimes vont être les cadres et, parmi eux, les jeunes diplômés qui arrivent sur le marché du travail.
     

    Le télétravail durant la crise n’est que la continuation de l’activité à domicile, c’est-à-dire la forme la plus dégradée du télétravail."

    Avec la crise, beaucoup d’employeurs se sont convertis au télétravail, un dispositif dont chacun pressent qu’il va prendre de l’ampleur à l’avenir. Quelle est votre position sur ce sujet ?

    Cette question est bien entendu liée au risque sanitaire, mais aussi aux transports. Pour de nombreuses sociétés, vu leur localisation géographique, la question du transport du salarié pour se rendre à son travail est un sujet majeur. La seule réponse qui a été donnée aujourd’hui est ce qu’on appelle abusivement le télétravail, qui n’est en réalité que la continuation de l’activité à domicile, c’est-à-dire la forme la plus dégradée du télétravail au sens large. Je remarque au passage qu’il y a une certaine « arnaque » quand on entend dire qu’on vient de découvrir que le télétravail n’est pas si mal… Les premières négociations sur le télétravail au niveau européen datent de la fin des années 90. En France, un accord national interprofessionnel (ANI) sur le sujet a été signé en 2005 entre partenaires sociaux. Il y a eu des accords dans beaucoup de branches professionnelles et d’entreprises. Par ailleurs, on n’a pas attendu le Covid-19 pour savoir qu’il est difficile pour la moitié des Franciliens d’effectuer deux heures de transports en commun chaque jour pour se rendre au travail.  

    Comment faire pour installer des garde-fous ?

    Il convient d’élaborer des garanties collectives. Les limites doivent être contractualisées. Au-delà, il y a bien sûr la question des moyens techniques, de l’environnement, du fait de disposer d’un endroit chez soi dans lequel personne ne vient interférer. Toutes ces questions sont essentielles. De manière plus diffuse, il peut y avoir aussi des productivités collectives modifiées par le télétravail : je pense aux échanges informels, aux discussions de couloir, à toutes ces interactions qu’on ne quantifie nulle part et qui forment une sorte d’« économie grise », de « productivité grise ». Le télétravail les fait disparaître. Peut-être que ce n’est pas grave. Il faut simplement le quantifier, savoir quelles en sont les conséquences pour ceux qui travaillent à domicile, sur leur façon de travailler, leur avancement, les risques psychosociaux (RPS) qu’ils peuvent prendre. Il y a des RPS en open space - nous les dénonçons assez - mais aussi dans le télétravail.

    Tout cela demande donc à être examiné et porté à la connaissance des salariés. Les garanties collectives se négocient et constituent un socle central mais les choix individuels doivent rester de la prérogative du salarié dès l’instant qu’ils ne sont pas dans le contrat d’origine. Pour faire un choix éclairé, il faut avoir toutes les informations sur les conséquences des modifications de son contrat travail.

    Les actions de nos militants montrent à quel point le choix de la CFE-CGC est le plus exigeant et le plus utile pour les collectifs de travail."

    Dans quelle mesure la période actuelle génère-telle des risques en matière de libertés syndicales, de dialogue social, de droit du travail ?

    Il y a lieu d’être inquiet quand l’exception devient la règle. Nous vivons depuis deux mois sous un régime d’urgence sanitaire qui constitue un état d’exception. À cette occasion, dans le champ collectif du travail, ont été pris tout un tas d’ordonnances, de décrets, de dispositions d’exception sur lesquels certains commencent à dire qu’on pourrait peut-être les maintenir… Que, compte tenu des problèmes économiques exceptionnels qui vont se poser, elles pourraient devenir la règle, le temps que l’incertitude économique soit levée, etc. Pour le coup, cela serait définitivement inacceptable. La norme du travail a déjà été énormément abîmée par les réformes intervenues depuis cinq ou dix ans. Il est notamment de plus en plus difficile d’exercer son mandat syndical. Et je vois bien que certains s’accorderaient sur le fait que ces entorses pourraient devenir la règle. Que fait d’ailleurs la ministre du Travail elle-même quand elle vient dire dans tous les médias qu’on a découvert que le télétravail fonctionnait, sinon essayer de nous faire admettre que ce régime particulièrement dégradé et hors de tout contrôle des garanties collectives pourrait devenir la règle ?

    Quel regard portez-vous sur la mobilisation de la CFE-CGC et de ses structures à l’occasion de cette crise hors norme ?

    Je veux d’abord saluer le travail de l’ensemble des équipes confédérales - salariés et élus - qui se sont mobilisées depuis le premier jour et qui ont travaillé de manière remarquable et remarquée, notamment sur le décryptage des évolutions législatives et réglementaires depuis le début de la crise. Elles ont positionné notre organisation syndicale à un très haut niveau de qualité et d’exigence. En même temps et au même niveau, je veux rendre hommage au travail des militants et des militantes dans les sections syndicales. Tout ce qui nous remonte de leurs actions quotidiennes sur le terrain montre à quel point le choix de la CFE-CGC est le choix le plus exigeant et le plus utile pour les collectifs de travail. Les situations sont très complexes et plus elles le sont, plus il faut, pour bien les gérer, des militants qui savent ce qu’est l’exercice de la responsabilité. Ce qui est le cas de nos équipes en entreprise.

    Propos recueillis par Gilles Lockhart