Désireux de démontrer que « le droit des affaires est un outil indispensable à la transition vers une économie durable », l’Ordre des avocats de Paris a organisé, mercredi 22 mai à Paris, une riche journée de débats réunissant de nombreux acteurs (avocats, dirigeants d’entreprise, DRH, pouvoirs publics, économistes, syndicalistes…). Plusieurs tables rondes étaient au menu dont une consacrée à la transition juste, animée par Laurence Laigo, directrice générale de l’association Dialogues visant à accompagner le développement d'un dialogue social innovant.
Nous reproduisons ci-dessous les principales interventions.
Madeleine Gilbert, secrétaire nationale CFE-CGC à la transition vers un monde durable.
« On peut rappeler que le concept de transition juste vers une économie écologiquement durable date de 1944 dans le cadre de la déclaration de Philadelphie sous l’égide de l’Organisation internationale du travail (OIT), qui stipule notamment qu’il n’y a pas de paix durable sans justice sociale. En France, plus récemment, on peut citer la loi de 2001 sur les nouvelles régulations économiques avec la prise en compte par les entreprises des conséquences sociales et environnementales de leur activité. En 2021, la loi climat et résilience, que la CFE-CGC a contribué à enrichir avec des amendements, a permis, malgré des insuffisances, d’attribuer des prérogatives environnementales aux comités sociaux et économiques (CSE) et aux élus du personnel. Tous ces enjeux relatifs à la transition écologique auraient dû être appréhendés plus vite et plus fortement mais la financiarisation toujours accrue de l’économie a trop souvent pris le pas. »
« J’aimerais dire un mot des emplois. Aujourd’hui en France, selon le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE), ce sont environ 8 millions d’emplois qui sont concernés par la transition environnementale. Et on estime à 150 000 le nombre d’emplois en solde net qui pourraient être créés d’ici 2030 dans ces filières. En entreprise, les organisations syndicales sont parties prenantes de tous ces enjeux, au même titre que les directions, les actionnaires, les DRH, les directions RSE. La CFE-CGC et ses militants portent ces sujets dans les instances dont les commissions environnementales lorsque ces dernières existent. Ajoutons que les conséquences environnementales de l'activité de l'entreprise sont désormais devenues un thème obligatoire dans toutes les bases de données économiques, sociales et environnementales (BDESE). Ce sont des choses qui vont dans le bons sens même si nous avons encore de gros efforts à mener en termes d’acculturation. De leur côté, les directions d’entreprises doivent être beaucoup plus ambitieuses en termes de dialogue social environnemental. »
Entreprises : pas de transition juste sans les syndicats
Lors du colloque « Entreprises et transition environnementale » organisé le 22 mai par l’Ordre des avocats de Paris, Madeleine Gilbert, secrétaire nationale, a réaffirmé les engagements de la CFE-CGC pour peser dans les entreprises.
Réfléchir à la création d’un EBITA environnemental et social pour aller au-delà du simple indicateur financier et business »
« Syndicat de l’encadrement (techniciens, agents de maîtrise, ingénieurs, cadres), la CFE-CGC, adhérente au Pacte mondial des Nations unies, est engagée dans le développement durable et la RSE depuis plus de 10 ans. Au début, nous avons appris, puis nous sommes montés en puissance, surtout ces 4 dernières années. La Confédération est dotée depuis 2019 d’un secteur politique à part entière dédié à la transition écologique. Nous avons notamment mis en mise en place un groupe de travail collaboratif "Ressources de demain pour un monde durable", associant la confédération et les fédérations, qui a débouché sur un document militant référent. Nous formons par ailleurs nos militants et nos référents RSE pour les outiller et les faire monter en compétences sur des sujets complexes (biodiversité, ESS, économie circulaire…) à l’image de la nouvelle directive européenne Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD). »
« En mot de conclusion, j’ajoute que nous pourrions réfléchir à la création d’un EBITA (Earnings Before Interest, Taxes, Depreciation, and Amortization) environnemental et social pour aller au-delà du simple indicateur financier et business. »
Fabrice Bonnifet, directeur du développement durable pour le Groupe Bouygues et Président de l’association C3D (Collège des directeurs du développement durable).
« On peut parfois s’étonner d’une espèce de déni de réalité collective par rapport à tous ces enjeux de transition juste. Ce n’est pourtant pas faute, de la part des scientifiques, de nous éclairer et de nous alerter sur la problématique environnementale, écologique, climatique. On en arrive à une situation difficile sinon dramatique. Nous sommes aujourd’hui à la croisée des chemins avec peu de temps - quelques années - pour changer de direction en termes de décarbonation et faire face aux dérèglements à l’œuvre. »
« Concrètement, nous devons ralentir l’économie du non essentiel, booster l’économie de l’essentiel et réduire de 5 à 7 % par an, pendant 50 ans, les émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES). On ne peut plus de la sorte saturer l’atmosphère de CO2. Il faut revoir nos modèles d’affaires et développer les énergies renouvelables qui nécessitent toutefois toujours du béton, de l’acier et des énergies fossiles. Cela engage toutes les parties prenantes dont la gouvernance d’entreprise et les actionnaires. Dans mon secteur d’activité, cela veut dire adopter des modèles d’affaires dits régénératifs pour faire en sorte que les bâtiments et les infrastructures de demain soient éco-conçus pour durer très longtemps. Cela passe aussi par la mise en place, dans les entreprises, d’une comptabilité multi-capitaux (social, environnemental, humain…). »
Pascale Lagesse, avocate à la cour et trésorière de l'International Bar Association (IBA ; l'Association internationale du barreau).
« Si on regarde ce qui a pu être fait juridiquement sur le plan international (États, Europe, Nations unies), on peut acter d’une prise de conscience, même si elle est assez récente puisqu’on commence à se saisir des sujets de développement durable dans les années 70. Le Pacte mondial de l’ONU, visant à inciter les entreprises du monde entier à adopter une attitude socialement responsable, n’a été lancé qu’en 2000. Les 17 Objectifs de développement durable (ODD) ont ensuite été adoptés en 2015. »
« En tant qu’avocate du droit du travail, je constate que les entreprises s’y sont mises, mettant en œuvre un certain nombre d’initiatives. Sans optimisme béat, il y a clairement un espoir de voir les choses continuer de bouger favorablement. On le voit au niveau européen avec la nouvelle directive CSRD qui fixe de nouvelles normes et obligations de reporting extra-financier. Applicable depuis le 1er janvier 2024, elle concerne les grandes entreprises et les PME cotées en bourse, et va influer sur les modèles d’affaires. Les informations récoltées doivent ainsi permettre de mieux évaluer l'impact de l'entreprise et de son activité sur l'environnement. »
« En France, on peut aussi citer certaines avancées contenues dans la loi Pacte de 2019 puis dans la loi climat et résilience de 2021 qui a élargi le domaine d’information et de consultation du comité d’entreprise sur les conséquences environnementales des activités de l’entreprise, sur sa stratégie, etc. »
Propos recueillis par Mathieu Bahuet