En juin dernier, vous aviez détaillé le plan social annoncé par Nokia, qui entendait supprimer 1 233 postes, soit 1/3 des effectifs français. Le 26 novembre, la CFE-CGC et deux autres organisations syndicales ont annoncé leur accord au plan d'accompagnement proposé par la direction. Pourquoi avez-vous signé ?
Depuis juin dernier, les salariés se sont mobilisés à maintes reprises pour s’opposer à ce quatrième plan social et les organisations syndicales se sont battues pour permettre aux salariés de bénéficier de mesures de départ les plus favorables possibles. La principale avancée obtenue par la CFE-CGC est l'ouverture du volontariat au départ à des salariés qui n’étaient pas sur des postes visés par le plan. Nous avons particulièrement œuvré à l’élargissement des catégories professionnelles pour casser l’effet de ciblage. Ces deux mesures permettront, espérons-le, de maximiser le nombre de départs volontaires, et ainsi de réduire l’exposition des salariés aux licenciements contraints.
« Il n'y a aucune motivation économique à ce plan social »
Responsable syndical CFE-CGC du groupe Nokia, Olivier Marcé évoque l’accord signé sur les mesures d'accompagnement, avec finalement près de 1 000 postes qui vont être supprimés.
« Les suppressions d'emplois en France et leur relocalisation dans d'autres pays vont coûter plus cher au groupe »
Les syndicats ont dénoncé le fait que les suppressions de postes se réaliseraient au profit d’une relocalisation dans d’autres pays. Comment expliquer ces décisions de la part de Nokia ?
C'est le point le plus incroyable de ce plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). Comme l'a montré le rapport du cabinet d'expertise qui a travaillé sur le PSE, il n'y aucune motivation économique à ce plan. Les suppressions d’emplois en France et leur relocalisation dans d'autres pays de l'Europe de l'Est ou bien en Inde ou aux États-Unis vont coûter plus cher au groupe, que ce soit en termes d'aides perdues (comme le crédit d’impôts recherche), de difficultés opérationnelles, de pertes de compétences et même de coûts environnementaux ! Avec ce PSE, Nokia augmente son empreinte carbone.
S'il n'y aucune raison économique ou environnementale, il faut sûrement chercher les raisons de ce plan dans un mouvement plus vaste de désengagement massif de la France. Certains pays défendent fortement leur industrie. L'état finlandais est récemment monté au capital de Nokia et en est devenu son premier actionnaire. Depuis six mois, les principaux dirigeants de Nokia sont maintenant finlandais au détriment des Français écartés depuis plus de deux ans, y compris le dernier administrateur de l'ère Alcatel-Lucent. Tout ceci nous fait craindre un autre PSE de même ampleur dans les prochaines années.
L’intersyndicale a adressé une pétition au président de la République pour dénoncer le démantèlement de l’expertise française sur la 5G et pour lui demander d’agir. Le gouvernement a t-il encore des marges de manœuvre ?
Le gouvernement a bien évidemment des marges manœuvres. L'industrie des télécoms est stratégique pour un pays et la loi Pacte de 2019 a d'ailleurs renforcé les pouvoirs de l'exécutif. Mais il faut vouloir se saisir de ces outils, ce qui n'a pas été fait avec suffisamment de force jusqu'à présent. La doctrine appliquée - qui par moments confine à l'idéologie - est de faire confiance aux entreprises. Même lorsque celles-ci ne respectent aucun de leurs engagements, que cela est prouvé et que ce sont les salariés qui sont les premiers dindons de la farce.
Les salariés ont fait preuve d’une détermination très importante, malgré le fait qu’ils étaient largement en télétravail. Comment avez-vous réussi à les mobiliser aussi fortement ?
L'impact majeur de la première version du PSE sur le site de Lannion (Côtes-d'Armor), qui risquait de passer sous un seuil critique, a été clé pour la mobilisation des salariés. Ceux de Bretagne en premier lieu, mais également ceux du site de Nozay (Essone) qui payent le plus lourd tribut car ils ont bien compris que ce plan vise aussi la pérennité des emplois qui restent, et qu’il n'a rien à voir avec une histoire de compétitivité. L'absence de possibilité officielle de communication des organisations syndicales en cette période de télétravail à quasiment 100 % a aussi fait comprendre aux salariés le besoin de venir chercher les informations. Les réseaux entre les personnes ont beaucoup fonctionné, et les assemblées générales virtuelles avec des outils de téléconférences ont rencontré beaucoup de succès.
Propos recueillis par Cecilia Escorza