Deux tables rondes et une pléthore de témoignages ont jalonné le colloque CFE-CGC "Handicap : le plein emploi est-il possible ?" qui s’est tenu le jeudi 23 novembre à Paris, devant un parterre institutionnel de 250 personnes.
Avant celle consacrée au maintien et à l’insertion dans l'emploi des personnes en situation de handicap (lire ici le compte-rendu), la première table ronde a mis à l’honneur des acteurs de terrain, toutes et tous engagés en faveur d’un monde du travail plus inclusif. Leurs principales interventions sont à retrouver ci-dessous.
Handicap et emploi : les réalités du terrain
La première table ronde du colloque organisé le 23 novembre par la CFE-CGC avec l’Agefiph a recueilli les témoignages de salariés et d’employeurs. Verbatims.
Jérémy Soots, conducteur de camion devenu paraplégique à la suite d'un accident de moto.
« Après mon accident, c'était important de ne pas changer de travail. J'ai voulu prouver que même en fauteuil, je restais chauffeur routier. Je suis actuellement sur le point de reprendre le volant d’un 38T qu'il a fallu aménager. »
« Plusieurs fois j’ai eu la tentation d’abandonner car entre aujourd'hui et mon accident, il s’est écoulé 7 ans. Il a fallu d'abord me reconstruire, et ensuite me battre pendant quatre ans pour reprendre mon travail. »
« Le plus compliqué a été de trouver une entreprise. J’en ai démarché des dizaines, aucune ne voulait me laisser ma chance. Il m’a fallu participer à un salon du poids lourds où l’on présentait une passerelle pour monter dans la cabine – c’est ce qu’il y a de plus dur : accéder à la cabine – pour rencontrer mon employeur. »
« Je voudrais dire que lorsque quelqu'un a une envie, un projet, il ne faut pas qu’il baisse les bras. Dès qu'on y croit dur comme fer, quoi qu'il arrive, on peut mener à bien un projet. »
Former les manageurs pour bien intégrer les personnes en situation de handicap »
Marie-Hélène Chavigny, directrice des ressources humaines des opérations Carrefour France.
« Le plein emploi des personnes en situation de handicap est-il possible ? Oui, mais il faut former les manageurs. On peut recruter toutes les personnes que l’on veut, si elles sont mal intégrées, mal accueillies, pas respectées, elles ne restent pas. Ce n'est pas bon pour l'entreprise et ce sont des mauvaises expériences pour ces collaborateurs. »
« Dans l'un de nos magasins, nous avons un collaborateur sujet à des crises d'épilepsie. C'est invisible. On l'a autorisé à avoir son chien avec lui. Le chien détecte la crise 30 minutes avant qu’elle arrive. Pour ce salarié, c'est vital et quand il n'a pas de crise, il mène une vie comme tout le monde. Lui permettre cela, c'est lui permettre de travailler en sécurité. Mais du coup, il a fallu expliquer tout cela au manager. Une enseigne de grande distribution qui reçoit des millions de clients chaque semaine doit tout simplement être le reflet de la population française. »
Dominique du Paty, vice-présidente de la CPME.
« Notre organisation patronale représente 245 000 entreprises. Une TPE n'a pas de service RH, donc c'est difficile pour elle de recruter des personnes en situation de handicap. »
« Beaucoup de TPE cherchent à ne pas payer leur sur-contribution car nous sommes dans une crise économique et elles ont du mal à recruter et à développer leur chiffre d'affaires. »
« Ensuite, c’est vraiment une histoire de rencontres, comment le chef d'entreprise identifie les compétences de la personne. En général, ce n'est pas son diplôme, c'est vraiment son envie, son savoir-être qui détermine le recrutement d’une personne en situation de handicap. J'ai recruté plusieurs personnes en situation de handicap, j'ai 8 salariés, c'est tout petit, mais on a toujours réussi car on a travaillé avec elles. »
Chez LCL, l'accord handicap permet de faire du recrutement, du maintien dans l'emploi, de la formation et des aménagements »
Christophe Legois, délégué syndical du SNB CFE-CGC chez LCL.
« Chez LCL, nous avons une DRH très impliquée, un taux d'emploi des personnes en situation de handicap élevé. L'accord handicap que nous avons signé en 2022 et qui est mis en application depuis janvier 2023 permet de faire du recrutement, du maintien dans l'emploi, de la formation, de la sensibilisation et des aménagements. »
« Pour y arriver, il faut d'abord que le délégué syndical ait une sensibilité au handicap, qu'il soit formé, qu’il sache de quoi il parle. Dans le cas du groupe Crédit Agricole (dont fait partie LCL), en creusant les objectifs de recrutement de la direction, on s'apercevait finalement que le taux de recrutement qu'elle indiquait n’assurerait même pas le renouvellement des départs naturels et des départs à la retraite des personnes en situation de handicap. En analysant et en expliquant tout cela, nous avons pu faire monter le taux de recrutement. »
« Il faut aussi veiller à la communication au sein de l'entreprise. Dans un grand groupe, il peut y avoir un accord handicap, un référent handicap, une mission handicap, mais pour les personnes handicapées ce n'est pas facile d’y accéder. Il faut qu’elles puissent identifier très vite la personne qui peut les aider, les conseiller dans les démarches. Une fois identifiée, cela facilite l'accès à l'aménagement du poste. »
Yanis Bacha, responsable Affaires publiques, partenariats et développement chez Électron Libre Productions (Groupe Mediawan).
« Prendre l'ascenseur social m'a permis d'en être là aujourd'hui. S'engager pour les autres, croire en ce qu'on fait. Cela m'a servi de boussole durant ma carrière en tant que journaliste, en m'engageant en politique ou dans un grand évènement sportif comme la Coupe de monde de rugby 2023 qui vient de se terminer. »
« Il y a une réalité du terrain à ne pas négliger, due à plein de facteurs : la difficulté de se déplacer, les transports pour aller de son lieu de vie à son lieu de travail. Il y a aussi les obstacles sociaux, toute une question de maintien dans l'emploi. La base des bases, c'est l'accès à l'emploi, comment on accède à l'offre d'emploi, quelle lisibilité, quelles possibilités. »
Gilles Lockhart