Dénonçant notamment les conditions de travail dégradées du personnel, l’intersyndicale de l'Établissement français du sang a lancé un mouvement de contestation. Explications avec Nicolas Dehnig, président du SNTS CFE-CGC.
C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le tube. Le refus de la direction de l’établissement français du sang (EFS) d’augmenter les salaires lors des négociations annuelles obligatoires (NAO) de 2025. Mais au-delà, les organisations syndicales représentatives, dont le Syndicat national de la transfusion sanguine (SNTS CFE-CGC), alertent sur leurs conditions de travail dégradées. Son président, Nicolas Dehnig, détaille les raisons de la grogne.
L’intersyndicale (SNTS CFE-CGC, CFDT, FO et UNSA) a lancé une grève à compter du 23 juin. A-t-elle pu être suivie ?
Au sein de l’EFS, les professionnels sont assignés. Il est donc difficile de mobiliser. Les cadres peuvent débrayer mais lorsqu’ils le font, ils doivent rattraper tout leur travail le lendemain. Dès lors, pour marquer notre mécontentement, nous utilisons en parallèle un autre moyen efficace : le blocage du dialogue social. En ne nous rendant pas aux CSE centraux et régionaux qui se tiennent ces jours-ci. Ce n’est qu’en bloquant les projets de l’établissement qu’on parvient à se faire entendre.
L’EFS est en pleine transformation. Et ce qui se prépare compte parmi vos motifs de mécontentement…
Le contrat d’objectifs et de performance 2025-2028 s’articule autour de quatre axes. L’un autour de la bioproduction, pour par exemple créer une peau cultivée pour les grands brûlés. Le deuxième chantier concerne davantage les conditions de travail, avec le plan dénommé ambition plasma. Aujourd’hui, 60 % des médicaments dérivés du plasma sont achetés à l’étranger et issus de dons non éthiques avec, par exemple, des donneurs rémunérés. La France veut récupérer davantage de souveraineté sanitaire, en particulier pour les immunoglobulines, en pénurie. Aussi l’EFS doit-il augmenter les prélèvements de plasma. Cela creuse son déficit parce que nous le vendons à perte. Donc l’EFS fait des économies sur des travaux, des investissements, des achats de nouvelles machines, bref sur les conditions de travail. Se montent des maisons pour prélever le plasma et le travail s’y fait à la chaîne ! D’où un fort turnover des professionnels qui ne font que brancher, débrancher, gérer 4 donneurs à la fois… Or il y a déjà de nombreux syndromes du canal carpien, par exemple, parmi nos professionnels, puisque notre métier conserve une importante part de geste manuels.
Avec ces conditions de travail dégradées, le personnel a le sentiment de ne pas pouvoir travailler correctement et notamment d’accueillir les donneurs dans de bonnes conditions et en sécurité.
À côté de ce gros enjeu, les deux autres axes du contrat d’objectifs et de performance vous inquiètent aussi.
En effet. L’unification des services informatiques a aussi été mal pilotée, et conduit à une perte en management de proximité pour les informaticiens. À qui, en plus, on assigne des mono tâches, tant le travail s’est retrouvé segmenté. Donc ils partent. Ce projet n’était d’ailleurs que le premier d’une longue lignée. Vont suivre l’unification des services paie, achats, juridiques, etc. Nous ne remettons pas en cause le besoin de voir l’établissement se transformer mais nous dénonçons la façon dont il pilote ces projets. Le dernier chantier doit voir la modification de notre convention collective sur les volets emplois, classifications et rémunérations, et là encore, le principal objectif de la direction semble être de réaliser des économies. D’ailleurs, ce qui a déclenché la mobilisation, ce sont les NAO durant lesquelles la direction ne voulait rien lâcher, pas même augmenter les salaires du montant de l’inflation alors qu’on affronte déjà d’importantes difficultés de recrutement.
Quelles sont les prochaines étapes du mouvement et de votre action commune ?
Trois des syndicats sont en grève illimitée, la CFDT a prolongé son préavis jusqu’au 15 juillet. Nous avons été reçus par la direction une première fois et le sommes à nouveau ce mercredi 3 juillet pour une deuxième réunion de sortie de crise. La direction espère a priori une sortie de grève pour la semaine du 11 juillet puisqu’elle a fixé un autre rendez-vous à cette date. Pour le moment, nous voyons peu de raisons de nous montrer optimistes tant la direction n’apporte pas de réponse à nos interrogations sur les conditions de travail.
Propos recueillis par Sophie Massieu