Si l’on prend ces thèmes séparément, quel est le problème avec GE Vernova ?
Toute l’activité Energie de GE est détachée, pour des raisons uniquement boursières, et renommée GE Vernova. Cette nouvelle entité va englober les quelque 9 000 salariés actuels de GE qui travaillent sur l’énergie en France. Elle conservera le nom GE moyennant le paiement d’une redevance mais n’aura plus de liens avec GE. Outre que nous allons devoir renégocier la mutuelle, la prévoyance et l’épargne salariale, cette société ne pourra plus s’appuyer sur la profitabilité de l’activité Aviation de GE, ce qui entraînera une fragilité financière. Et donc des conséquences sur sa capacité à investir. Nous redoutons la multiplication de plans de licenciements.
Et quel est le problème concernant l’accord avec BHEL ?
Factuellement, l’accord permet à cette entité indienne de produire l'ensemble de notre gamme de produits. Il y a beaucoup d'entreprises étrangères avec lesquelles nous avons des licences, mais pour l'instant l’impact est limité car elles fabriquent peu de turbines. Si BHEL en produit beaucoup, notre inquiétude est que le site indien devienne une alternative à celui de Belfort, mettant en péril l'emploi des 1 300 salariés du Territoire.
Ces turbines à gaz qui font l’objet de l’accord avec BHEL servent à quels usages et pour quels clients ?
Elles servent majoritairement à produire de l’électricité dans les pays non nucléarisés et aux pétroliers pour raffiner le pétrole, l’Inde étant devenu le premier exportateur depuis la guerre en Ukraine, raffinant le pétrole russe. Nos gros clients sont notamment tous les pays qui ont augmenté leur part de renouvelable. Entre autres, des pays européens maintenant que l’Europe a investi massivement dans les éoliennes. Les turbines à gaz sont utilisées pour absorber les pics de charge et compenser les baisses de production d’électricité des sources intermittentes. Une turbine à gaz, c’est la moitié d’une centrale nucléaire en puissance, mais on peut l’allumer et l’éteindre en quelques minutes…
Pourquoi être passé par le vecteur juridique du droit d’alerte ?
En fait, le droit d’alerte était notre plan B. Au début nous avons demandé à la direction une information-consultation en comité social et économique (CSE) et la nomination d’un expert. Cette expertise a été refusée au prétexte qu’elle doit porter sur les conditions de travail, or ce projet de transfert de technologies à BHEL n’a pas d’impact direct sur les conditions de travail. Nous avons donc basculé sur un droit d’alerte en nous plaçant sur le terrain économique et financier de l’entreprise. Comme nous savions que nous voulions aussi y intégrer la question de GE Vernova, nous l’avons déclenché lorsque nous avons estimé que la documentation disponible était suffisante.
Pour que l’on comprenne bien la situation, qu’est-ce qui reste de GE France aujourd’hui ?
Maintenant, il ne reste plus que l’Energie, c’est-à-dire tout ce qui va être transféré chez GE Vernova. Il y a trois ans, il y avait encore une entité Santé, mais elle a été séparée l’année dernière. En France, les quelque 9 000 salariés sont tous dans l’Energie et dans des ex-entités Alstom. Le gaz et le nucléaire sont à Belfort ; les barrages hydroélectriques à Grenoble (le site de Belfort ayant été fermé) ; l’éolien terrestre et maritime à Saint-Nazaire, Cherbourg et Nantes ; les réseaux électriques sont répartis entre Aix-les-Bains, Montpellier, Villeurbanne et Paris ; et la conversion de puissance à Villebon, Champignolles et Belfort.
En dehors de GE Vernova et de BHEL, quels sont vos autres dossiers chauds ?
Il y a la question récurrente de la cession de l’activité nucléaire de GE France à EDF, sans cesse agitée par le gouvernement. Et des craintes sociales importantes sur l’éolien. L’éolien terrestre est plutôt un business américain de GE, néanmoins la petite entité française de 150 salariés a été touchée par deux PSE en 8 mois qui ont ramené l’effectif à une soixantaine. En revanche, dans l’éolien maritime, qui est une ancienne activité Alstom, peu développée aux Etats-Unis, le gros des effectifs est en France. À la suite d’un plan de commandes important, cette entité employait 1 000 intérimaires début 2024. Il est question de n’en garder qu’une centaine ! Le patron de l’éolien aux Etats-Unis s’est vanté d’avoir supprimé 40 % des effectifs de l’éolien terrestre l’année dernière. Et dans les journaux américains, GE vient d’annoncer une « agressive restructuring » de cette branche…
Propos recueillis par Gilles Lockhart