Dialogue social : comment les élus du personnel vivent-ils la crise ?
Le cabinet Technologia révèle le ressenti des élus du personnel durant la crise du Covid-19. Extraits des principaux résultats.
Les équipes de Jean-Claude Delgenes, le patron du Groupe Technologia, n’ont pas chômé. Elles viennent d’interroger 2 600 élus du personnel sur la façon dont ils ont exercé leurs mandats depuis le début du confinement, afin de tirer à chaud les premiers enseignements de cette crise en matière de dialogue social.
Le résultat de l’enquête est assez noir. Technologia donne le ton dès l’introduction en écrivant que « les fluctuations des pouvoirs publics dans la gestion de cette crise complexe ont fortement renforcé les doutes et les interrogations des élus du personnel ». L’étude comprend une partie analytique qui brosse un horizon pessimiste marqué par l’instauration d’un « droit social d’exception » et par le fait que « les élus du personnel seront mis à nouveau dos au mur et rejetés à la périphérie des décisions ».
Mais quand on regarde le détail des 49 questions posées et des réponses apportées, la réalité apparait plus nuancée et l’attitude des militants plus pragmatique et combative.
ADAPTATION
La catastrophe sanitaire n’a pas conduit à la rupture redoutée des échanges ni empêché le maintien d’un dialogue social. Seuls 12 % des élus n’ont pas tenu de réunion durant la période, près de 70 % en ont tenu entre une et huit. Ce qui n’empêche pas 61 % de reconnaître que certains de leurs collègues représentants du personnel se sont sentis, à un moment ou un autre, « en perte de leurs moyens, débordés et/ou en retrait ».
IMPACT DES RÉUNIONS À DISTANCE
Près d’un élu du personnel sur deux (44,9 %) considère que la tenue des réunions par téléconférence ou visioconférence n’a pas « modifié les relations avec les représentants de la direction ». 18 % estiment que cela les a modifiées de manière positive, 24,6 % de manière négative.
SOUTIEN JURIDIQUE
84,2 % des élus disent avoir trouvé les informations juridiques liées aux réformes exceptionnelles mises en place par les pouvoirs publics « auprès de leurs syndicats », 51,3 % « par eux-mêmes » et 51,3 % également « auprès d’autres sources : collègues, juristes, avocats… » (plusieurs réponses étaient possibles). En revanche, une petite moitié seulement se targue d’avoir « suffisamment maîtrisé » ces aspects juridiques et 20,4 % trouvent que ces lacunes ont eu « des conséquences » sur leur activité de représentants du personnel.
DIFFICULTÉS À EXERCER SON MANDAT
C’est là où le bât blesse clairement. Depuis le début du confinement, 58,3 % des élus interrogés estiment avoir eu des difficultés à remplir leurs fonctions de représentants du personnel par « manque d’échange avec les salariés », mais aussi avec les autres représentants du personnel (24,8 %) et la direction (28,4 %). Au point que 20,5 % ont éprouvé une « sensation de solitude », même si 25,7 % n’ont ressenti « rien de tout cela ».
IMPACT SUR LE DROIT DU TRAVAIL
Concernant des modifications à long terme du Code du travail dans des domaines comme le temps de travail, le travail de nuit, les congés, la consultation des instances de représentation du personnel (IRP), les élus sont inquiets : 71,8 % d’entre eux considèrent que cette crise aura « des impacts sociaux forts ». Les trois-quarts se disent « opposés à ces éventuelles modifications » du Code du travail tandis qu’un quart ne l’est pas.
COMMUNICATION DE LA DIRECTION
Sur la question de savoir si la direction a bien communiqué depuis le début de la crise avec les salariés, 61,3 % des élus sont « d’accord » ou « tout à fait d’accord ». Un satisfecit. Mais quand on leur demande si cette direction a « respecté leurs prérogatives », ils ne sont plus que 55,4 % à être d’accord.
MISE EN PLACE DU TÉLÉTRAVAIL
Cette instauration fait l’objet d’un consensus. 94,4 % des élus reconnaissent que la direction a « pris une bonne décision » en mettant en place ou en renforçant le télétravail. Le diable étant dans les détails, c’est sur les modalités d’application que cela coince. De nombreuses « insuffisances dans la gestion du télétravail » sont relevées : 46,6 % par « manque de préparation technique (matériel, réseau, connexion…) », 32 % par « surcharge de travail induite », 27,8 % par « insuffisances ou pression du management à distance ». Entre autres dysfonctionnements.
AMÉLIORATION DES RELATIONS
« Cette période de crise a-t-elle permis de nouer de meilleures relations entre la direction et les représentants du personnel ? » À cette question, la réponse est plutôt cinglante : « pas d’accord » pour 48,4 % des élus, « pas du tout d’accord » pour 18,2 %.
MOTIVATION MILITANTE ET PERSONNELLE
Toute une série de questions concerne l’instauration du chômage partiel, l’exercice du droit de retrait, les modifications organisationnelles, les plans de sortie du confinement, etc. L’antépénultième question porte sur le désir ou non des élus de « revoir (leurs) fonctions de représentant du personnel ». Autrement dit, la crise vous fera-t-elle jeter l’éponge ? Seuls 2,6 % souhaitent « arrêter », 79,8 % « poursuivre » et 17,6 % « ne savent pas ». Ce qui, compte tenu des secousses et des difficultés depuis deux mois, semble traduire une grande constance de la motivation militante.
Gilles Lockhart