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Publié le 24 - 04 - 2025

    Travail : les défis du dialogue social, des seniors et de l'IA

    Invité par le Groupe Alpha lors d’une conférence sur les transformations du monde du travail, François Hommeril a critiqué les ordonnances Macron et alerté contre la perte de compétences entrainée par l’IA et le manque de considération pour l'emploi des seniors.

    Face aux grandes transitions actuelles, qu’elles soient numériques, démographiques ou sociales, comment adapter la société et le monde du travail tout en respectant les droits des salariés ? Pour répondre à ces questions, le Groupe Alpha avait invité le 17 avril François Hommeril, président de la CFE-CGC, Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT et Amir Reza-Tofighi, président de la CPME à la 5ème édition des « Débats d'aujourd'hui, Transformations de demain ».

    Pendant les deux heures de débats et de confrontations, animées par le journaliste Arnaud Ardoin et le président du Groupe Alpha Pierre Ferracci, trois problématiques se sont distinguées : les conséquences des ordonnances Macron sur le dialogue social, la précarisation des seniors sur le marché de l'emploi et la perte de compétences, en partie induites par l’intelligence artificielle.

    Les ordonnances de 2017 : un "fiasco absolu" selon François Hommeril

    Le président de la CFE-CGC n’a pas les mots assez forts pour parler de la réforme des ordonnances Macron, qu’il qualifie de « fiasco absolu » et accusent d’avoir « introduit le rapport de force économique au sein des entreprises pour qu’il s’impose au rapport de force social ». La fusion des IRP -délégués du personnel (DP) comité d'entreprise (CE) et -comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT)- en CSE est un autre grief particulièrement fort « Cette fusion d’instances séparées, qui avaient chacune leur logique de spécialisation, rend le traitement des enjeux préoccupant les salariés bien plus compliqué ». 

    Les travailleurs expérimentés sont souvent les premières victimes des ajustements économiques » François Hommeril

    Partageant l’avis de François Hommeril, Sophie Binet considère que les réformes ont augmenté les déserts syndicaux et les accidents du travail, tout en facilitant les licenciements et en affaiblissant le pouvoir des syndicats. En réponse, Amir Reza-Tofighi, affirme que le dialogue avec les syndicats et les salariés est entravé par une méfiance syndicale. « Il faut davantage de liberté dans les négociations entres patrons et salariés, afin de mieux s’adapter aux réalités du terrain ». 

    Selon François Hommeril, l'affaiblissement des instances représentatives et le recul du rapport de force social a particulièrement pénalisé les seniors et la gestion des fins de carrière. « Les travailleurs expérimentés sont souvent les premières victimes des ajustements économiques », a-t-il souligné.

    La précarité des seniors, un gâchis économique et social

     « Regardons les choses en face : lorsqu’on se retrouve au chômage à plus de 55 ans, on est démonétisé sur le marché de l'emploi, notamment chez les cadres et agents de maîtrise », affirme le président de la CFE-CGC. Une situation préoccupante puisque, d’après une enquête IFOP, « 43 % des actifs du privé savent qu'ils vont être licenciés avant leurs 64 ans et 54 % disent qu'ils ne tiendront pas jusqu'à 64 ans au travail ».

    Selon François Hommeril, l'État, en repoussant l'âge de la retraite, ne fait que précariser davantage les seniors qui, souvent écartés du marché du travail avant d'atteindre l'âge légal de départ, peinent à retrouver un emploi. Une problématique bien connue des femmes, note Sophie Binet : « les femmes sont vues comme senior dès 45 ans, alors qu’avant on considère qu’elles peuvent avoir des enfants, ce qui est un risque " justifiant " un salaire plus faible ». 
     

    Pour remédier à cette situation, le leader de la CFE-CGC plaide pour une approche valorisant l'expérience des travailleurs plus âgés tout en tenant compte de l'évolution de leurs capacités et aspirations professionnelles : « Les entreprises doivent proposer aux seniors des rôles centrés sur la transmission du savoir et des compétences, comme le mentorat des nouveaux salariés. Ces fonctions, qui requièrent moins d'intensité opérationnelle, pourraient s'accompagner d'un temps de travail adapté et d'une rémunération ajustée », explique-t-il.

    Sans dialogue social approfondi sur l’IA, c'est la cohésion même des entreprises qui pourrait être menacée par ces transformations dont l'ampleur et la radicalité restent encore largement sous-estimées » François Hommeril

    L’enjeu crucial de la perte de compétence

    Faire des seniors des acteurs de la transmission des savoirs plutôt que des variables d'ajustement économique est un élément particulièrement important à l'heure où l'Intelligence Artificielle (IA) menace d’impacter le niveau des compétences en entreprise. « Les travaux intellectuels, bientôt délégué à l'IA, mobilisent des compétences essentielles qui risquent de disparaître. L’IA va faire diminuer le niveau et donc, la valeur des salariés », a averti François Hommeril, déplorant que les entreprises ne soient pas à la hauteur des enjeux.

    Cette position a provoqué une vive réaction d'Amir Reza Tofighi, qui conteste la nécessité d'un dialogue social spécifique sur ce sujet : « Est-ce qu'on s'est dit la même chose avec l'arrivée des ordinateurs ? Il faut sortir de cette croyance qu'il faut des instances pour parler de tout ! ». Pour Sophie Binet, « Il est indispensable d’entamer des négociations sur l’intégration de l’IA. La confiance ne se réclame pas, elle se construit. Vous ne pouvez pas juste dire "ayez confiance", alors que tant d’emplois sont en jeu ». 

    Un point sur lequel François Hommeril a insisté : « sans dialogue social approfondi sur ces questions, c'est la cohésion même des entreprises qui pourrait être menacée par ces transformations dont l'ampleur et la radicalité restent encore largement sous-estimées. »

    François Tassain