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Publié le 11 - 06 - 2019

    CSE : des instances qui restent à modeler

    La nouvelle instance unique cristallise les débats et change la donne du dialogue social en entreprise. Plusieurs experts et représentants syndicaux témoignent.

     

    Si la création des conseils sociaux et économiques (CSE) présente, sur le papier, des opportunités d’amélioration en raison du décloisonnement des sujets et des instances, elle comporte aussi un certain nombre de difficultés pour les élus, voire de risques pour le collectif de travail. « Prévenir et améliorer les conditions de travail avec les CSE, c’est possible » : tel était le titre, résolument optimiste, d’une demi-journée de formation et de table ronde proposée, le 21 mai dernier par le cabinet d’expertise Sextant, à des représentants syndicaux venus en nombre. Parmi eux, Gilles Lécuelle, secrétaire national CFE-CGC en charge du dialogue social et de la représentativité.

    Assurer la santé physique et mentale des salariés : une obligation de résultat, pas seulement de moyens

    Avant d’ouvrir le débat, les deux experts de Sextant, Guillaume Mesmin et Stéphane Jégo, ont rappelé l’obligation faite à l’employeur par l’article L 4121-1 du Code du travail, à savoir prendre les mesures nécessaires pour assurer la santé physique et mentale des salariés. Ils ont souligné que cela fait l’objet d’une obligation de résultat, et pas seulement de moyens. Et rappelé que neuf principes structurent cette obligation : éviter les risques, évaluer ceux qui ne peuvent être évités, combattre les risques à la source, adapter le travail à l’homme, tenir compte de l’évolution des techniques, remplacer les dispositifs dangereux, planifier une politique de prévention (incluant les relations sociales, l’organisation du travail…), prendre des mesures de protection collective et leur donner priorité sur les mesures individuelles, et, enfin, donner des instructions appropriées aux travailleurs.

    C’est dans ce contexte que s’inscrivent les trois volets d’action des CSE, qu’ils ont ensuite présentés : ils doivent analyser (les risques notamment), prévenir (en contribuant à promouvoir la santé et les conditions de travail) et proposer (des actions préventives). Pour cela, ils disposent de deux outils. D’une part, le document unique d’évaluation des risques, qui a survécu à la disparition des CHSCT. D’autre part, ils peuvent mener des inspections et des enquêtes. Dotés d’une personnalité civile et morale, ils peuvent d’ailleurs agir en justice, et alerter lorsque des mises en danger (à la santé, à l’environnement…) sont constatées.

    Entre optimisme et crainte du lien distendu avec le terrain

    Forts de ces constats, les intervenants de Sextant se veulent plutôt optimistes sur les opportunités offertes aux élus par la création des CSE. Ainsi ont-ils mentionné l’élargissement du périmètre d’intervention, qui inclut dans cette instance sous-traitants et intérimaires. Ils ont rappelé que l’instance devait régulièrement être consultée sur la stratégie, la politique sociale, l’économie et, ponctuellement, en cas de changement dans l’organisation du travail ou de déménagement de l’entreprise, par exemple. Au total, dans les entreprises de plus de 300 salariés, le CSE doit se réunir une fois par mois, et six fois par an dans celles de moins de 300 collaborateurs. Les questions de santé au travail doivent faire l’objet de quatre réunions annuelles, même s’il convient de noter que la création de commissions santé sécurité et conditions de travail (CSSCT) sont obligatoires à compter de 300 salariés.

    Pas d’optimisme béat, donc. Puisque les experts ont aussitôt souligné que dès lors, dans les entreprises de moins de 300 salariés, les CSE devront traiter les questions de santé au travail en plus de ce qu’étaient les missions des CE, qui lui sont aussi échues. Sans compter, ont-ils pointé, qu’il sera parfois complexe de rester en lien avec les préoccupations des travailleurs eux-mêmes. Difficile en effet de rester au plus près du terrain avec la disparition des délégués du personnel et la réduction (environ un tiers) du nombre d’élus avec la mise en place des CSE...

    Dépasser les cadres formels de négociation

    Autre difficulté : les élus devront monter en compétence, et être généralistes. Aussi les intervenants ont-ils vivement encouragé les élus à se former et à pousser à la création de CSSCT au sein même des entreprises sous le seuil de 300 salariés. Surtout, ils incitent, notamment dans le règlement intérieur, à bien signifier qui rédigera les procès-verbaux et les ordres du jour de ces nouvelles instances car la direction ne saurait être seule à exercer ce pouvoir. Autre préconisation : ne pas se cantonner à des indicateurs chiffrés et se rendre sur le terrain pour mener à bien d’indispensables inspections au plus près des problématiques des salariés.

    Durant la table ronde, Rémi Bourguignon maître de conférences en sciences de gestion et responsable du master RH et RSE de la Sorbonne, a appuyé ces conseils. Il a notamment rappelé la nécessité de travailler au dialogue social avec les responsables des ressources humaines et de s’impliquer, une fois les accords votés, dans leur mise en pratique sur le terrain. Autrement dit, selon lui - cela fera l’unanimité au sein des intervenants - il faut dépasser les cadres formels de négociation, aussi bien avec les responsables RH qu’avec les salariés.

    De son côté, Gilles Lécuelle (CFE-CGC) a évoqué « les possibilités nouvelles apportées par le regroupement qu’engendre le CSE ». Il s’agit donc de s’efforcer à « transformer les contraintes du CSE en opportunités », même s’il est désormais « plus complexe de garder une relation de proximité ». Le secrétaire national a même estimé que des « mauvaises surprises » se feraient jour, tant les délégués du personnel pouvaient, en amont, décrisper des situations.

    Repenser l’entreprise et sa gouvernance

    Autre réserve majeure sur la création des CSE : ils ont, pour Gilles Lécuelle, été instaurés « dans le souci de détruire les CHSCT ». Il regrette que certains membres qui y siégeaient en raison de leurs compétences techniques, par exemple, se voient aujourd’hui exclus des nouvelles CSSCT. « Nous perdons nos spécialistes, nous devons être généralistes. Ce pendant que la direction, elle, conserve ses spécialistes, les ergonomes par exemple… » Dans ce contexte, le secrétaire national CFE-CGC redoute une difficulté accrue pour recruter des candidats sur des postes qui demanderont des compétences et un investissement considérable. Pour tenter de résoudre l’équation, « il est donc urgent de repenser l’entreprise et sa gouvernance », résume Gilles Lécuelle. Un préalable nécessaire avant d’envisager la nouvelle organisation du travail à mettre place dans les entreprises.

    Sophie Massieu 

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