Dans son jugement du 10 avril, le tribunal de commerce de Lyon a attribué la reprise partielle de l'usine chimique Vencorex au groupe chinois Wanhua qui ne gardera que 54 emplois sur 450. Quelle est votre analyse ?
Le projet d’une société coopérative d'intérêt collectif (SCIC) n’a pas été jugé recevable. Ce projet, initié en urgence il y a deux mois par la CGT et la région Auvergne-Rhône-Alpes, prévoyait de préserver près de 350 emplois et une grande partie des activités dont la filière du sel, nécessaire à notre souveraineté. Le tribunal a retenu la solution proposée par la société Borsodchem (filiale hongroise du groupe chinois Wanhua), positionnée sur la reprise de l’activité tolonates et de 54 des 450 salariés. La procureure n’a pas souhaité faire appel, malgré de nouveaux éléments comme l’entrée d’un industriel indien dans la SCIC pour 50 millions d’euros. La liquidation de la société Vencorex France n’a pas encore été prononcée, la demande devant être faite par les administrateurs judiciaires.
Il est assez inaudible et incompréhensible que le gouvernement ne soit pas intervenu de manière plus volontaire et efficace pour préserver l’activité, nos installations, nos brevets et les emplois. Je le dis haut et fort : cette orchestration et cette volonté de détruire Vencorex seront mises en lumière ! Outre l’atelier des tolonates, le repreneur chinois récupère l’ensemble des brevets et du savoir-faire de l’usine et ceux des autres ateliers, en particulier les isocyanates. Cela lui permet de bloquer toute tentative de reprise du reste de l’usine sans leur aval, consolidant ainsi sa position de monopole en Europe.
C’est aussi une catastrophe pour bon nombre de salariés et de familles…
La fermeture des ateliers non repris implique que 400 salariés vont être licenciés. En réalité, 136 sont déjà partis avec la première vague du PSE. C’est une catastrophe pour l’industrie et la chimie avec la perte d’expertises. Derrière ces chiffres, des centaines de familles basculent dans l’incertitude. Certes, les conditions du PSE ont été à la hauteur des attentes mais avec la conjoncture, beaucoup ne vont pas retrouver rapidement un emploi. L’économie de la ville de Pont-de-Claix (Isère) et des alentours était très liée à Vencorex.
Ce drame social illustre une tendance devenue tristement familière : celle d’une désindustrialisation rampante qui sape les fondements de nos bassins d’emploi. Les salariés laissés sur le carreau ont perdu un emploi, une partie d’eux-mêmes, un lien social, la fierté d’appartenance à une grande entreprise. Face à cela, la solidarité ne doit pas être un mot creux. Les pouvoirs publics, les collectivités locales, les acteurs de l’emploi et de la formation doivent se mobiliser. Les familles concernées méritent mieux que des promesses. Elles ont besoin de réponses concrètes et rapides.
Dans cette crise de la filière chimie, qu’en est-il de la situation chez Arkema ?
La fermeture de l’atelier de cristallisation du sel par Vencorex a été un prétexte très opportun pour déclencher un PSE concernant 154 salariés sur le site d’Arkema Jarrie, en fermant l’électrolyse du sud qui livrait Framatome en chlore et en s’approvisionnant en Allemagne et en Pologne pour l’atelier du nord qui fabrique du perchlorate de sodium pour Ariane Group.
Chez Arkema et d'autres groupes du secteur, l'inquiétude monte (incertitudes sur les approvisionnements, coûts énergétiques, exigences environnementales…). Pilier historique de la chimie hexagonale, Arkema est dans une situation paradoxale : elle est stratégique pour des secteurs aussi sensibles que le nucléaire, la défense ou l’aérospatial, mais la vision industrielle court-termiste est la seule boussole stratégique de la gouvernance avec la recherche du profit optimisé et la rentabilité pour les actionnaires.
La chimie française, colonne vertébrale pour de nombreuses filières stratégiques, se délite morceau par morceau. Les investissements ne sont plus à la hauteur des enjeux et les sites régionaux sont les premières victimes du désengagement de l’État. Il est urgent de bâtir une véritable politique industrielle répondant aux défis de souveraineté, d’environnement et de sécurité. Il ne suffit plus de réagir au cas par cas mais anticiper, protéger et reconstruire. Car à force de regarder ailleurs, on risque de tout perdre !
Propos recueillis par Mathieu Bahuet