
« Il faut toujours pousser les portes. Si on part en se disant qu’on ne va pas y arriver, en effet, on ne parviendra à rien. » Le parcours de Marguerite M’Balla illustre à lui seul cette conviction qu’elle porte en elle depuis toujours. Femme, de couleur, belle et parfois jugée seulement sur son apparence, elle a bataillé pour se faire une place dans le monde de l’entreprise et la société de façon générale.
Son premier combat, elle le mène contre les déterminismes sociaux et géographiques. « Toute petite déjà, j’étais intenable. J’ai toujours voulu être libre, indépendante. » Sa famille est plutôt bien installée au Cameroun et vit dans des conditions correctes. Elle dit de sa mère qu’elle est une femme attachée aux traditions. Marguerite est l’aînée de 4 enfants. Or, une première née de la fratrie d’une famille aux valeurs profondes comme la sienne n’a aucune raison de quitter son pays ou son continent. Rien n’y fait. Marguerite fait sa valise. Elle arrive seule en France, à Marseille, à 20 ans, en 1999. Sans diplôme, avec une vision idéalisée de l’Europe où elle pense poursuivre une carrière de mannequin, après avoir déjà plusieurs fois défilé en Afrique. Elle déchante vite. On lui en demande toujours plus, ou plutôt moins, parce que peser à peine plus de 50 kilos pour 1,73m c’est encore être grosse.
Lui reviennent alors en boomerang des phrases entendues dans son enfance. Dans la bouche de certains membres de la famille, qui associaient les belles femmes au vide intellectuel ; et d’autres l’invitant à exercer « un vrai métier » plutôt que de rester dans la mode.
La jeune femme opère donc un virage à 180 degrés. Sa vie ne sera décidément pas cousue de fil blanc. Elle peine à trouver sa voie. Secrétaire ? Pourquoi pas. « Je les percevais comme bien sapées, mais c’était une vison un peu minimaliste. »
De langue paternelle anglaise, elle qui parlait alors Français mais ne savait pas l’écrire entame des études qui vont jalonner plus de dix ans de sa vie. « J’étais assoiffée de connaissances, alors je me suis dit que j’allais profiter de cette belle opportunité de la gratuité des études en France pour aller le plus haut que je peux et aussi prouver que la beauté physique s’associe très bien à l’intelligence. Comme je m’ennuie vite, dès que j’avais le sentiment d’être dans une monotonie, je reprenais des études. » De secrétariat d’abord, sans grande conviction au début, juste afin de joindre l’utile à l’agréable. Elle valide un BEP, un bac pro, puis un BTS d’assistante de direction décroché en 2008 en alternance au sein de l’entreprise Baudouin (encadré ci-contre), qu’elle intègre en 2006. En 2014, un master en développement commercial couronne l’édifice.
Malgré tout, et bien que fidèle à son entreprise, dont elle dit que chacune a vu grandir l’autre, elle peine à occuper la place qu’elle estime être la sienne. « J’aime toucher les matières, j’aurais voulu être technicienne. Mais je me suis entendue répondre qu’on ne me voyait pas les mains dans le cambouis. J’ai souri à cette remarque mais en réalité, ce sont des remarques sexistes. Dans la métallurgie, les femmes sont trop souvent cantonnées aux métiers du tertiaire. » Autre difficulté : l’accès au statut de cadre. « On me disait toujours que je n’avais pas le bon diplôme mais même avec un master en poche, j’ai encore attendu plusieurs années ! » Jusqu’en 2019, précisément.
Elle occupe aujourd’hui son temps de travail pour moitié au service après-vente (une dizaine de techniciens) de son entreprise et pour moitié au sein de la fédération CFE-CGC de la Métallurgie. Elle tient à cette double appartenance qui, à ses yeux, permet de mieux négocier en connaissance de cause au niveau national.
Actuelle déléguée nationale fédérale au pôle emploi et formation, son parcours syndical, lui aussi, a nécessité qu’elle affiche sa volonté de contribuer à l’action collective. « Le délégué CFE-CGC de mon entreprise était dans le bureau en face du mien. Il constituait sa liste et n’en parlait qu’avec des hommes. Je suis allée lui demander si c’était seulement une histoire d’hommes. Il s’est montré surpris que ça m’intéresse. Il peinait à trouver le nombre de candidats nécessaires. Il m’a mise sur sa liste. » Et la voici déléguée du personnel pour la première fois, en 2009. Longtemps la seule femme, elle se réjouit qu’en 2023, aux dernières élections, la parité ait été atteinte dans le collège cadres d’élus.