Le mensonge était habilement construit mais n’a pas tenu. À l’approche de l’hiver, progressivement, des forces se sont rassemblées pour demander des comptes et crier la vérité. Non, le futur système universel de retraite à points n’est pas plus équitable. Non, le projet du gouvernement n’est ni simple ni lisible. Pire, il organise le déficit par des choix hasardeux et suspects. Le slogan de campagne (« un euro cotisé génère les mêmes droits »), aussi creux qu’une baudruche, s’est dégonflé au premier assaut de la raison. Prétendre que chaque euro cotisé produise les mêmes droits est un sophisme vide de sens dans un système de répartition ou la solidarité intra et intergénérationnelle est le moteur principal du mécanisme redistributif.
Des chiffres, il en fallait peu pour démonter la mécanique bien huilée de la communication gouvernementale. Il a suffi de se pencher sur une fiche de paye et de faire des additions. Dans le système actuel, la part des cotisations qui ne produit pas de droit, c’est-à-dire affectée à la solidarité, est de 23 % en dessous du plafond de la sécurité sociale (PASS), et de 37 % au-delà. Comment le futur régime pourrait-il donc fonctionner en n’affectant que 10 % des cotisations à la solidarité et à l’équilibre ?
Une autre décision attire l’attention : celle de réduire l’assiette de cotisation de 8 à 3 plafonds de la sécurité sociale. Une mesure indigente et scandaleuse qui prive le futur régime d’une ressource de plus de 3 milliards d’euros par an sur plusieurs décennies avec un trou qui se creusera méthodiquement jusqu’à atteindre 70 Mds€, et dont on nous dit que les réserves constatées aujourd’hui pourraient être mobilisées pour le combler. Autant de réserves pourtant accumulées pour se prémunir des aléas économiques et des vagues démographiques mais que l’exécutif veut utiliser à d’autres fins.
Car disons-le, rien ne marche dans ce futur système. On nous le vend comme plus juste et plus social. Or on découvre, au premier calcul, que les mères de familles y sont gravement désavantagées. On apprend que les pensions de réversion ne seront accessibles qu’à 62 ans, contre 55 ans aujourd’hui. Autre constat implacable : les salariés de la classe moyenne, les professions intermédiaires et l’encadrement, aux carrières salariales « ascendantes », seront fortement impactés par l’abandon de la référence aux 25 meilleures années.
Mais le meilleur est à venir puisqu’il se dit que la convergence du régime de la fonction publique avec celui du privé, aux mêmes taux de cotisation, pourrait laisser un trou béant de 60 milliars d'euros par an dans un futur régime condamné à baisser les pensions à moyen terme de 20 % et à transférer une partie des ressources du privé vers le public. L’analyste incrédule veut dès lors, en toute logique, le vérifier dans l’étude d’impact du futur système. Et là surprise : elle n’en parle pas. Sans doute une de ces nombreuses "lacunes" que le Conseil d'Etat a regrettées en étrillant le projet de loi. Et on comprend mieux pourquoi cette étude censée accompagner tout projet de loi pour en mesurer les impacts financiers est restée secrète jusqu'au dernier moment.
"Une machine à réduire les pensions"
Dans une tribune publiée dans l’hebdomadaire Marianne, François Hommeril, président de la CFE-CGC, fustige le projet gouvernemental de réforme des retraites, dénonçant une machine à réduire les pensions.
Pas d’objectif social
En fait, le régime unique que le gouvernement s’obstine à imposer par la force contre la majorité de l’opinion et des syndicats n’est pas une réforme poursuivant un objectif social. Ce n’est rien d’autre qu’un moyen nécessaire pour atteindre les objectifs de convergence européenne car 14 % du PIB pour les retraites, pensez donc, c’est beaucoup trop. Il faut donc faire baisser ce chiffre conformément à ce que Bruxelles recommande inlassablement à la France depuis des années.
En ayant rejoint en décembre dernier l’intersyndicale, ainsi devenue majoritaire, la CFE-CGC a pris ses responsabilités. Nos instances se sont prononcées à l’unanimité pour le rejet d’un projet inutile et dangereux qui fait basculer le système des retraites dans l’inconnu. En rentrant dans le mouvement, nous avons signifié notre volonté inébranlable de rester dans un système de garanties collectives, de contribuer à la solidarité nécessaire pour une société juste et pacifiée, et d’en être les acteurs responsables.
Si être réformiste, c’est être conciliant et accompagner sans réel discernement la réforme sans rien dire qui brusquerait les certitudes idéologiques qui la portent, alors nous assumons ici de ne pas l’être. Fidèle à son mandat, la CFE-CGC tient son rang : être les témoins de la vérité contre le mensonge ; être les acteurs de la pédagogie contre la propagande. Et faire, malgré tout, les propositions nécessaires pour équilibrer un système bancal.
Nous en sommes là, au terme d’une séquence qui laisse la France à genoux. Deux mois de conflits, de mobilisations et de grèves. Une économie en berne et une société qui continue d’exprimer sa souffrance. Un « âge pivot » qui rentre par une porte et ressort par l’autre. Et que l’on retrouvera, comme dans un mauvais vaudeville, surgissant d’une armoire à la fin de la pièce. Une manœuvre grossière, destinée à distraire l’opinion et qui n’aura trompé personne. Restera le projet, imposé de force, au mépris des avis et des critiques. Un système instable, renvoyant le calcul de toutes les pensions à une seule valeur de point aussi aléatoire que les crises économiques à venir sont certaines. Un système injuste ouvrant, sans le dire, la porte aux retraites complémentaires par capitalisation. Un système dont la seule préoccupation du pouvoir n’est pas de le rendre viable mais simplement « irréversible ».
Le vieux monde qui s’éteint et que certains s’empressent d’enterrer alors qu’il respire encore a quelque chose à nous dire. Un dernier témoignage d’une société en harmonie avec un projet social. Autre chose de plus grand que l’obsession du budget et de la gestion par les coûts. Il nous murmure qu’il n’y a pas de progrès sans effort et qu’à tout effort, il faut une promesse. Pour rappel, le rapport Delevoye commence par ces mots : « Les systèmes de protection sociale sont le fruit de la crise des années 30 et du second conflit mondial. La grande inflation puis la crise des marchés des capitaux avaient ruiné la confiance dans l’épargne individuelle ; les chaines de solidarité familiale s’étaient distendues ; les progrès de l’espérance de vie étaient sous-estimés. Des mécanismes collectifs de prévoyance, en répartition, parurent alors plus efficaces pour lutter contre la pauvreté des personnes âgées. »
On ne se lasse pas de le relire en écarquillant les yeux. Préambule d’un document de 130 pages publié en juillet 2019 et censé expliquer les bienfaits du futur régime unique par point, il est en fait le plus vibrant plaidoyer pour maintenir en place le système actuel contre l’incertitude et les risques promis aux victimes des apprentis sorcier qui ont conçu la machine à réduire les pensions : la retraite unique par points.
François Hommeril, président de la CFE-CGC