Comment réguler les plateformes numériques et structurer le dialogue social entre des travailleurs qui ne sont pas des salariés et des plateformes qui ne sont pas des employeurs ? Le sujet est devenu incontournable : avec la multiplication des plateformes de services en ligne, une nouvelle forme de travail indépendant a émergé ces dernières années, occasionnant partout dans le monde des batailles judiciaires (en particulier concernant Uber) pour la requalification des travailleurs des plateformes en salariés.
UNE RELATION CONTRACTUELLE DÉSÉQUILIBRÉE
La problématique est la suivante : si les travailleurs se connectant aux plateformes sont juridiquement indépendants et libres de s’y connecter ou non, ils sont en réalité privés, dans leur activité, des prérogatives essentielles à leur indépendance, ne choisissant ni le client, ni les conditions de la prestation. La relation contractuelle repose ainsi sur un déséquilibre des pouvoirs entre la plateforme et son travailleur - non salarié mais économiquement dépendant, voire en exclusivité pour la plateforme - tant pour l’organisation du travail que pour la fixation du prix. Et ce sans que ce déséquilibre ne soit compensé dans les faits par l’ensemble des droits et protections attachés au statut de salarié : accidents du travail, maladies professionnelles, assurance chômage, complémentaire santé...
Alors que le nombre de travailleurs indépendants liés à des plateformes de service en ligne connaît une croissance importante avec notamment Deliveroo et les services de VTC tels Uber, le gouvernement français veut réguler ces plateformes numériques qui constituent aujourd’hui 1% des actifs selon le rapport 2020 de la Commission des affaires sociales du Sénat, sachant que le statut plus général de travailleur indépendant concerne, lui, 12% des actifs.
LANCEMENT D’UNE MISSION ET DE CONSULTATIONS
Après avoir présenté, fin 2020, les résultats d’une mission confiée au haut magistrat Jean-Yves Frouin dont le rapport formule des pistes pour sécuriser les relations juridiques et les travailleurs sans remettre en cause la flexibilité du statut d’indépendant, la ministre du Travail, Élisabeth Borne, a confié en début d’année une mission à Bruno Mettling, ancien DRH d’Orange. Objectif : travailler les volets dialogue social, protection sociale et gouvernance des données avec les parties prenantes dont les partenaires sociaux. Charge ensuite au gouvernement de légiférer par ordonnance ou par la loi.
LES PROPOSITIONS DE LA CFE-CGC SUR LE VOLET DIALOGUE SOCIAL
Auditionnée dans le cadre de cette mission qui fait du dialogue social le sujet prioritaire, la CFE-CGC a fait valoir ses positions. Principal enjeu : mettre en œuvre un dialogue social structuré préservant une concurrence loyale au sein des secteurs où se développent les plateformes. Il y a en effet un risque de concurrence déloyale avec les salariés des entreprises traditionnelles qui appliquent le droit du travail. Préserver cette concurrence loyale nécessite de structurer le dialogue social des travailleurs des plateformes en s’inscrivant dans un modèle économique et social global comprenant des règles communes du droit du travail et des règles adaptées pour prendre en compte la spécificité de la situation des travailleurs des plateformes.
À l’image de ce qui existe pour le salariat, la CFE-CGC préconise trois niveaux de dialogue social (national, branches professionnelles et entreprises) impliquant le législateur, des représentants des travailleurs des plateformes et des représentants des plateformes :
- un socle légal commun à tous les travailleurs des plateformes, quel que soit le secteur ou le métier, fixant les grandes règles d'ordre public (tarification, protection...) ;
- un socle conventionnel commun à un même secteur d'activité (livraison restauration, transport de personnes, etc.) pour en déterminer les conditions communes et spécifiques ;
- un socle complémentaire répondant aux spécificités et aux enjeux concrets de telle ou telle plateforme.
Pour la CFE-CGC, le niveau du secteur est le cœur du dialogue social. Il constitue un outil de régulation de la concurrence et la négociation au niveau du secteur permet de couvrir des plateformes dépourvues de représentants.
Pour s’assurer du respect de la concurrence, il peut être envisagé un contrôle des accords négociés par un organe externe. Au niveau national, l’Autorité de la concurrence, un organisme indépendant, exerce déjà une mission de régulation collective de la concurrence. Le rapport Frouin propose d’y rattacher une autorité dédiée : l’Autorité de régulation des plateformes. La CFE-CGC y souscrit pleinement, proposant d’y adjoindre un groupe d’experts chargé d’agréer les accords et conventions de secteur.
Concernant l’élection des représentants des travailleurs des plateformes, la CFE-CGC est favorable à la mise en place d’une représentation collective au sein de la plateforme, en lieu et place d’un canal direct d’expression entre les travailleurs et les plateformes. Les représentants bénéficient en effet d’une protection et d’une formation dédiée, à la différence du travailleur.
Mathieu Bahuet (avec Franck Boissart)
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Publié le 06 - 04 - 2021
Travailleurs des plateformes : quel modèle de régulation ?
Alors que le gouvernement souhaite à nouveau légiférer sur la régulation des plateformes numériques de travail (Uber, Deliveroo…), via notamment une structuration du dialogue social, la CFE-CGC fait valoir ses propositions.