Retour aux actualités précédentes
Stop aux attaques contre les salariés, les chômeurs et les retraités
Mobilisation intersyndicale du 18 septembre contre le projet budgétaire gouvernemental, dette, aides aux entreprises, emploi, 80 ans de la Sécurité sociale… Président de la CFE-CGC, François Hommeril fait le point sur les enjeux de la rentrée sociale.
Réunie le 29 août, l’intersyndicale appelle à une journée de mobilisation le jeudi 18 septembre. Quelle en est la logique et avec quels mots d’ordre ?
Pour comprendre, il faut revenir un peu en arrière. En juillet dernier, le Premier ministre François Bayrou a présenté son plan de réduction du déficit avec un objectif chiffré de 44 milliards d’euros. Ce plan, nous nous y opposons pour une raison très simple : à aucun moment, celui-ci ne remet en question la politique suivie depuis 15 ans qui consiste à transférer des sommes colossales du budget de l’État aux entreprises. Et ce sans évaluation rigoureuse de l’efficacité économique des dispositifs, sans contrôle ni condition pour certains. Les résultats ne sont pas à la hauteur et, pour compenser, le gouvernement veut que ce soient les salariés, les chômeurs, les malades et les retraités qui payent les pots cassés de sa propre politique.
La réponse coordonnée des organisations syndicales, dans un communiqué du 9 août faisant suite à une pétition en ligne depuis le 22 juillet, porte sur ce sujet, contre le projet de suppression inique de deux jours fériés, contre les régressions du droit du travail et les nouvelles attaques contre l’assurance chômage. Sans compter le blocage du barème fiscal, l’absence de revalorisation des pensions ou la dégradation des conditions de remboursements de l’Assurance maladie qui sont autant de mesures qui appauvrissent les Français.
Par la suite, l’appel à la manifestation du 10 septembre puis le discours de François Bayrou sollicitant la confiance du Parlement le 8 septembre ont accéléré les choses, nous conduisant, en intersyndicale, à programmer cette journée de mobilisation le 18 septembre.
La CFE-CGC ne participera pas au mouvement « Bloquons tout » du 10 septembre, initié sur les réseaux sociaux. Pour quelles raisons ?
En aucun cas notre organisation ne suivra cet appel. Nous avons une culture de la mobilisation sous réserve de revendications claires accompagnées de propositions adaptées au contexte. Lorsqu’on lance un conflit, il faut aussi avancer les solutions pour négocier et en sortir ! Cette mobilisation du 10 septembre, aux origines nébuleuses et aux exigences baroques, ne remplit pas du tout ce cahier des charges. En outre, lorsqu’on creuse un peu, on remarque que ceux qui sont à l’origine de cet appel sont des gens assez peu définis voire anonymes, avec qui nous ne partageons rien, d’autant plus quand ils demandent aussi la dissolution des partis politiques et des syndicats.
Le pouvoir politique met à distance les organisations syndicales comme si nous étions des empêcheurs de tourner en rond, avant de nous demander de régler les problèmes »
Comment concilier cette opposition à cette mobilisation spontanée avec la nécessité de répondre aux attentes des Français ?
Il est impossible d’ignorer le mécontentement et cette fatigue légitime qui pèse chez tout le monde. La situation sociale est mauvaise et les gouvernements successifs en sont responsables. Pourtant, ils veulent s’en exonérer en faisant peser le poids des efforts sur les épaules des Français sans tenir compte des appels et des mises en gardes que nous lançons depuis des années. Le pouvoir politique met à distance les organisations syndicales comme si nous étions des empêcheurs de tourner en rond, avant de nous demander de régler les problèmes. Dans ce contexte, il était indispensable de proposer une mobilisation. On pourrait penser que la chute attendue du gouvernement le 8 septembre rendra cette mobilisation caduque mais non car nos revendications pourront servir d’avertissement au prochain gouvernement. Nos messages passeront, quoi qu’il arrive.
Quelle lecture fait la CFE-CGC des pistes budgétaires (44 milliards d’économies) présentées et de cette problématique récurrente de la dette ?
J’observe un narratif politique sur ce sujet, toujours le même depuis 20 ans quand bien même les montants évoluent. Le pays est « en faillite ». Très bien. Le problème, c’est qu’à force de le répéter, les politiques perdent toute crédibilité car ils alertent la population sur le montant de la dette mais ne font que prendre des décisions qui l’aggravent, avant de refuser d’en assumer la responsabilité. Ensuite, les économistes, qui ont l’autorité pour parler du sujet, rappellent à juste titre qu’il faut juger ce qu’on fait de la dette : qu’a-t-elle permis de construire en termes d’infrastructures transmises aux générations futures ? Car si l’on investit et que l’on crée des actifs avec la dette, alors on s’enrichit.
La réalité, c’est que le pouvoir politique établit un climat anxiogène pour justifier des mesures qui vont appauvrir les travailleurs, avant de pointer du doigt la prétendue richesse des retraités par rapport aux actifs pour les appauvrir à leur tour. Or on ne peut pas enrichir un pays en appauvrissant ses citoyens. Tout le monde souhaite évoluer et grandir grâce à son travail. C'est cette volonté individuelle de progresser qui génère le progrès collectif. Mais nous vivons sous le joug de politiques rébarbatives qui attaquent ce principe. Par exemple, on met sous conditions de ressources les allocations familiales.
La suppression envisagée de deux jours fériés doit permettre à l'État d'engranger 4,2 milliards d'euros dès 2026. Pourquoi y êtes-vous opposé ?
Derrière cette proposition se cache une véritable arnaque : 2 jours de travail supplémentaires sans rémunération doivent permettre de récolter plus de 8 milliards d’euros et on demande aux employeurs d’en reverser seulement 4 milliards. Où passe la différence ? Cette initiative ne ferait qu’appauvrir ceux qui travaillent en rythme continu (hôpitaux, commerces…) et pour qui travailler un jour férié entraîne une sur-rémunération. J’ajoute que ce n’est pas en faisant travailler gratuitement les salariés qu’on remplit les carnets de commandes. Ce sont même les représentants des petits patrons eux-mêmes qui ont protesté de façon la plus virulente contre cette mesure ! Comment le gouvernement espère-t-il être crédible avec des manœuvres aussi grossières ?
Les partenaires sociaux sont invités, via une lettre de cadrage, à négocier une énième réforme sur les règles d’indemnisation de l’assurance chômage. Quelle est votre analyse ?
Je suis fatigué de toujours revenir à la base scientifique sur ce sujet. L’assurance chômage, gérée par les partenaires sociaux, vise à assurer des conditions de vie décentes pour se consacrer à la recherche d’un emploi. Les gouvernements ont détérioré cet esprit, considérant l’assurance chômage comme un moyen de faire les poches aux salariés, en accusant de « flemmardise » les Français alors que ce narratif du « chômeur profiteur » a été maintes fois mis en pièces par des études sérieuses qui montrent que cet aléa moral est très faible.
Plus inacceptables encore sont le discours et les actes stigmatisant les cadres (dégressivité des allocations) lesquels contribuent pourtant considérablement à la solidarité inter-catégorielle, au motif qu’ils touchent de meilleures indemnisations et qu’ils resteraient plus longtemps au chômage. C’est négliger combien trouver des postes équivalents à responsabilité est long, avec des processus de recrutements très sélectifs. Toutes ces opérations de rabot décidées directement à Bercy font fi de toute réalité de terrain.
François Bayrou a accusé les « boomers » d’être responsables de l’ampleur de la dette publique au nom de leur « confort ». Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Je ne sais pas pourquoi il a dit ça ou si un cabinet de conseil a pensé que ce serait une brillante idée. Ce qui est sûr, c’est qu’on ne prépare rien de bon quand on oppose une partie de la population à d’autres. Ces oppositions permanentes n’ont qu’un seul but : déstructurer la société. Évidemment, il ne faut pas nier les problèmes. Par exemple, le taux d'emploi des moins de 30 ans et des plus de 55 ans est très faible en France. Il faut en parler et trouver des solutions, parler des emplois, des recrutements, des conditions de travail.
La CFE-CGC et ses militants connaissent la réalité des salariés et les problématiques du terrain dans les entreprises et les administrations »
Au-delà de la forte incertitude politique entourant l’exécutif, quelles sont les priorités érigées par la CFE-CGC en cette rentrée ?
Il faut parler emplois : l’emploi des jeunes, l’emploi des seniors, la qualité des emplois, les conditions dans lesquelles le travail s’effectue. Au niveau macroéconomique, il est impératif de tirer l’économie vers le haut et ainsi augmenter la productivité. Cela passe par une remise à plat des politiques d’intervention économique, par des investissements accrus dans la recherche, par une formation de haut niveau et par le développement des compétences. En parallèle, la CFE-CGC continue de militer activement pour un indispensable meilleur partage de la valeur. Alors que nous sommes trop souvent gouvernés sous le seul prisme des statistiques et des tableaux de chiffres, la CFE-CGC et ses militants connaissent la réalité des salariés et les problématiques du terrain dans les entreprises et les administrations. Nous avons en toutes circonstances des propositions à faire valoir pour contribuer à restaurer la confiance et la capacité pour chacun, par son investissement individuel, par sa volonté de s’engager, à faire progresser le pays.
850 000 enseignants ont effectué leur rentrée dans un contexte budgétaire tendu pour la fonction publique dans son ensemble. Comment défendre nos services publics ?
Il est révoltant de constater, au motif que c’est l’État qui rémunère les agents de la fonction publique (État, hospitalière, territoriale), de constater combien leur niveau de vie n’a cessé d’être constamment une variable d’ajustement de la construction d’un budget. Ce n’est pas normal. Je considère que le point d’indice, si régulièrement gelé, devrait être, comme pour le Smic, indexé chaque année sur l’inflation. Cela fait 30 ans que les grilles de rémunération ont été complètement déstructurées. Cette fuite en avant de l’État, au passage, n’est pas sans conséquence sur le financement de la retraite des fonctionnaires, un sujet dont on a bien vu qu’il était une composante importante du débat sur les retraites.
Les agents sont par ailleurs trop souvent le jouet d’administrations kafkaïennes maltraitantes au nom d’un sacro-saint contrôle budgétaire qui, in fine, s’impose à l’objectif même des missions de services publics. C’est terrible. Il ne faut dès lors pas s’étonner des difficultés à recruter des enseignants et des personnels soignants eu égard aux niveaux de rémunération et aux conditions de travail dégradées.
Mieux orienter et conditionner les aides publiques accordées aux entreprises »
Le récent rapport sénatorial sur les aides publiques aux entreprises a mis en lumière la complexité du système et le manque d’évaluation des 211 milliards d’euros versés pour la seule année 2023. Que faut-il changer ?
La CFE-CGC en appelle à une doctrine adaptée de l’État pour mieux orienter et conditionner les aides publiques accordées aux entreprises, et ne pas subventionner des emplois de basse qualification. Il y a le problème des exonérations compensées, pour lesquelles l’État doit intervenir fiscalement pour remplacer ce qui ne rentre pas dans les caisses. Et il y a les exonérations non compensées, par exemple la prime Macron et les heures supplémentaires non fiscalisés, qui ne sont pas comptabilisées dans le rapport précité. C’est catastrophique et inefficace sur le plan économique. Les heures supplémentaires doivent en effet coûter plus cher à l’employeur et rapporter davantage aux salariés, sinon la machine se grippe. Cela crée aussi des déficits dans nos régimes sociaux.
On voit par ailleurs que le crédit d’impôt recherche (CIR), aujourd’hui dans le viseur à cause de son inefficacité, a généré de nombreux abus dans les entreprises alors même que certaines ferment leurs laboratoires de recherche. Il faut réformer le dispositif, sans le supprimer. Je serais même prêt à formuler la proposition suivante, à savoir augmenter de 20 milliards d’euros les crédits pour la recherche publique en imposant que 10 milliards d’euros soient dépensés dans des projets pour le développement d’activités privées, en évaluant rigoureusement l’efficacité de l’argent public mobilisé.
Enfin, il faut sortir du mantra patronal, devenu le mantra des gouvernements, selon lequel il faudrait, pour la compétitivité de nos entreprises, mettre le coût du travail au même niveau que dans des pays où il est dix fois inférieur. Cela n’a pas de sens. Ce qui compte, c’est la capacité à être bien positionné, à innover, à faire de la R&D, etc.
Qu’en est-il du financement de la protection sociale ?
La question reste centrale. Sur la maladie en particulier - soit environ 250 milliards d’euros par an de dépenses de santé -, la CFE-CGC explique depuis un certain temps que les sources de financement ne peuvent pas être à 85 % circonscrites aux salaires, et qu’il faut avoir le courage d’aller trouver d’autres assiettes de financement, par exemple ce qu’on appelait un temps la contribution sociale sur la consommation. Nous sommes prêts à ouvrir le débat sur le financement socialisé, mutualisé, des dépenses de santé. Sinon on ouvre grand la porte aux financements privés et, de fait, à une prise en charge à deux vitesses de la maladie entre ceux qui auront les moyens de se soigner et les autres.
François Bayrou a indiqué vouloir confier la gestion des principaux piliers du système de protection sociale aux partenaires sociaux.
Au-delà des propos d’un Premier ministre en sursis, j’observe que quand les partenaires sociaux pilotent avec une réelle indépendance de grands organismes paritaires comme l’Agirc-Arrco (retraites complémentaires), le système est équilibré et parvient même à générer des réserves financières. À bien des égards, les organisations syndicales et patronales ont démontré être des gestionnaires plus responsables que l’État.
Je ne connais pas de projet à la fois plus motivant à défendre et plus attaqué que notre Sécurité sociale »
Octobre 2025 marquera le 80e anniversaire de la Sécurité sociale. En quoi demeure-t-elle un projet sociétal à défendre ?
Je ne connais pas de projet à la fois plus motivant à défendre et plus attaqué que notre Sécurité sociale tant celle-ci constitue la colonne vertébrale de notre société depuis l’après-guerre. Ne plus craindre de vieillir, ne plus craindre d’être malade : voici des combats qui demeurent fondamentaux. Nous avons une responsabilité collective, y compris les organisations syndicales comme la CFE-CGC qui sont des acteurs et des dépositaires de notre système de protection sociale. Je rappelle par ailleurs combien les populations de l’encadrement (agents de maitrise, techniciens, ingénieurs, cadres) sont d’importantes parties prenantes pour la solvabilité financière de notre système social.
À titre personnel, vous abordez votre dernière rentrée sociale en tant que président de la CFE-CGC, avant de passer le flambeau en juin 2026. Quel est votre état d’esprit ?
Ma motivation demeure plus que jamais intacte ! J’ai l’expérience et l’énergie. Cette rentrée sociale n’est pas la moins agitée, ce qui en dit long sur les difficultés du pays à retrouver une forme de raison et à bâtir des projets collectifs dans lesquels chacun puisse s’intégrer. Comme toujours, la CFE-CGC, ses militants et ses sections syndicales sauront répondre présents pour faire face aux problèmes. Notre organisation, qui a retrouvé son vaisseau amiral rénové de la rue du Rocher, est depuis de nombreuses années dans une dynamique de progression. Nous continuerons de produire des éléments de réponse aux grands défis du monde du travail.
Propos recueillis par Mathieu Bahuet et François Tassain