Secrétaire national CFE-CGC, Gérard Mardiné analyse les ordonnances sur le Code du travail sous l'angle économique, faisant valoir combien la réforme gouvernementale risque, contrairement à l'objectif initial affiché, de dégrader un peu plus la situation de l'emploi. Tribune.
Alors que l’objectif affiché par le gouvernement est que les évolutions du Code du travail portées par les ordonnances doivent contribuer à améliorer significativement la situation de l’emploi en s’attaquant au chômage de masse, l’analyse du fonctionnement actuel de notre tissu économique montre qu’elles auront probablement un effet inverse et qu’il faut s’attendre à une dégradation de l’emploi.
Les ordonnances n’amélioreront pas la situation de l’emploi !
Le secrétaire national CFE-CGC, Gérard Mardiné analyse les ordonnances sur le Code du travail sous l'angle économique.
Secrétaire national CFE-CGC, Gérard Mardiné analyse les ordonnances sur le Code du travail sous l'angle économique, faisant valoir combien la réforme gouvernementale risque, contrairement à l'objectif initial affiché, de dégrader un peu plus la situation de l'emploi. Tribune.
Alors que l’objectif affiché par le gouvernement est que les évolutions du Code du travail portées par les ordonnances doivent contribuer à améliorer significativement la situation de l’emploi en s’attaquant au chômage de masse, l’analyse du fonctionnement actuel de notre tissu économique montre qu’elles auront probablement un effet inverse et qu’il faut s’attendre à une dégradation de l’emploi.
- L'omniprésence des fonds d'investissement actionnaires « propriétaires »
Le fonctionnement de notre économie est fortement déterminé par le comportement des grands groupes qui sont au sommet de la « chaine économique » et influent fortement sur la chaîne des entreprises sous-traitantes (ETI puis PME et TPE).Les grandes entreprises internationales ont quasiment toutes adopté le même modèle de gestion sous l’influence de l’évolution de leur actionnariat qui est aujourd’hui majoritairement composé de fonds d’investissement internationaux, essentiellement anglo-saxons (le capital des sociétés du CAC40 est ainsi détenu à presque 60 % par des fonds d’investissement étrangers).
Les fonds d’investissement, qui ont acquis une surface financière gigantesque (le fonds américain BlackRock gère à lui seul plus de 5 000 Mds$ d’actifs), se positionnent en actionnaires « propriétaires » des entreprises dont ils détiennent une part du capital et demandent aux directions générales une stratégie incluant une rémunération élevée des actionnaires (via le versement de dividendes et une stratégie de valorisation du cours de bourse). De nombreux dirigeants de grands groupes répondent favorablement à cette demande, alors même qu’elle ne vise pas à l’intérêt social à long terme de leur entreprise, en échange de la bienveillance de ces « grands actionnaires » vis-à-vis d’une rémunération très généreuse devenue déconnectée du travail accompli et pour certains indécente, mettant à mal la cohésion du corps social des entreprises et l’efficacité collective.
De ce fait, les grands groupes français sont gérés avec l’objectif de maximiser le retour vers leurs actionnaires. C’est ainsi que les sociétés du CAC40 ont réalisé un bénéfice global de 75 Mds d’€ en 2016 (record depuis 2010) avec un retour vers les actionnaires en forte hausse de 56 Mds€ (46 Mds de dividendes et 10 Mds de rachats d’actions), les dividendes représentant à eux seuls 61 % des bénéfices.
Cette stratégie de maximisation des profits au bénéfice des actionnaires et des dirigeants s’est amplifiée ces 20 dernières années. Elle conduit à s’éloigner d’une gestion équilibrée privilégiant le long terme, les dispositions de Responsabilité Sociétale des Entreprises(RSE), essentiellement d’application volontaire et de nature informative, peinant à équilibrer cette « lame de fond » financière. Elle conduit à réduire au maximum tous les coûts, avec pour principales conséquences :
- Une pression économique forte sur le tissu des sociétés sous-traitantes pour diminuer le prix des approvisionnements et activités sous-traitées. Cette pression rejaillit en cascade sur les sous-traitants de rang inférieur, les exposant à des contraintes fortes pénalisantes pour leur équilibre économique et leur capacité à investir. Elle les amène à comprimer au-delà du raisonnable leurs coûts et à exprimer des besoins de flexibilité du travail pour parfois simplement survivre à la concurrence des pays low-cost et tenter de résister au siphonage par le haut du fruit de leur travail.
- Un niveau d’investissement insuffisant. La capacité d’autofinancement est amputée par le niveau élevé des dividendes versés : c’est la principale cause du déficit de productivité de certaines usines et du retard de la France en nombre de robots installés mais souvent également d’un effort insuffisant de développement de nouveaux produits et technologies pénalisant pour l’avenir à long terme.
- L’augmentation continue du recours à l’activité dans des pays à bas coût de main d’œuvre, soit en y implantant des usines ou en y augmentant le niveau de sous-traitance. C’est une des principales causes du creusement dramatique de notre déficit commercial (48 Mds€ en 2016 et plus de 34 Mds€ au 1er semestre 2017 !). Des grands groupes français présents sur des secteurs high-tech et pourtant avec un bon niveau de rentabilité délocalisent une part croissante de leur production pour augmenter leurs bénéfices et les dividendes versés, sous-estimant au passage le risque de fuite de savoir-faire pénalisant sur le long terme : c’est par exemple le cas du secteur aéronautique, premier contributeur au commerce extérieur français et domaine d’excellence de l’industrie française (l’industrie aéronautique hexagonale est n°2 mondiale derrière celle des Etats-Unis essentiellement du fait d’investissements publics élevés dans les années 60-80), mais dont l’excédent diminue en dépit d’une conjoncture sectorielle favorable.
- Une compression des frais de personnel et de structure des établissements français, entrainant souvent une augmentation de la charge de travail et une dégradation des conditions de travail des salariés alors qu’ils ont déjà un des meilleurs niveaux de productivité individuelle au monde et avec pour corollaire la dégradation de la santé au travail (RPS…) et les coûts qu’elle induit pour la collectivité.
Cette « exigence » de maximisation des profits s’accompagne d’une pratique généralisée des directions des grandes entreprises de communiquer en externe sur leurs perspectives de résultats financiers à moyen terme, appelée « guidance financière » pour les marchés. Ces prévisions sont bien sûr basées sur des hypothèses et, en cas d’aléa interne ou externe défavorable infirmant les hypothèses prises, la priorité de gestion est très souvent donnée à la tenue de cette guidance financière au détriment de la préservation des fondamentaux (investissements de toute nature y compris dans le capital humain…) indispensables pour le développement à long terme des entreprises. Cela accentue le recours à une flexibilité accrue à court terme, générée artificiellement et pénalisante sur le long terme.
- Flexibilité et dérégulation accrues
Aucune régulation n’existe et n’est a fortiori contenue dans les ordonnances (alors même que l’alinéa 4 de l’article 2 de la loi d’habilitation traitait pourtant de l’amélioration des conditions de représentation des salariés dans les conseils d’administration) pour éviter que le niveau supplémentaire de flexibilité et de dérégulation qu’elles introduisent ne serve, au-delà de ce qui est déjà possible aujourd’hui, à satisfaire cette stratégie de maximisation des profits au bénéfice des actionnaires et des dirigeants des grandes entreprises.
L’axiome « les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain », souvent cité pour justifier la nécessité de bénéfices toujours en augmentation, s’avère aujourd’hui complètement démenti par les faits : Les chiffres montrent clairement que l’augmentation des bénéfices des grandes entreprises sert d’abord à mieux rémunérer les actionnaires et les dirigeants au détriment des investissements et de l’emploi en France, siphonnant au passage l’essentiel du résultat des efforts accomplis par notre tissu d’ETI et de PME.
Compte-tenu de ces mécanismes et de ce contexte, les ordonnances seront à coup sûr pénalisantes pour l’emploi en France, y compris dans des secteurs à forte valeur ajoutée. Les réformes annoncées par le gouvernement de l’assurance chômage, de la formation professionnelle ou de l’apprentissage n’auront pas plus d’effet sur ces mécanismes de détournement au profit des actionnaires.
- La vassalisation de l’économie française en sera encore renforcée !
Au-delà de la démonstration que les ordonnances n’amélioreront pas la situation de l’emploi de notre pays compte-tenu des mécanismes décrits ci-avant, le risque est grand de voir notre économie et notre pays encore plus vassalisés par ces grands fonds d’investissement.
Compte-tenu de la part importante du capital de nos grandes entreprises détenue par des fonds d’investissement étrangers et du fait de la prééminence donnée par les directions à la rémunération des actionnaires, les sociétés du CAC 40 ont versé environ 35 Mds€ (soit 1,6 % du PIB) à des fonds d’investissement étrangers. Cette masse d’argent importante sort de notre circuit économique, elle n’y est ni consommée ni réinvestie. Cela est d’autant plus pénalisant que notre pays ne dispose pas de fonds d’investissement aussi puissants ayant des ressources équivalentes de leurs placements dans des sociétés étrangères qui viendraient « équilibrer » cette ponction.
L’économie française est donc vassalisée sous 2 effets :
- Elle paye une rente annuelle nette de plus de 25 Mds€.
- Elle augmente sa dépendance en devant emprunter des devises du fait de son déficit commercial qui augmente d’année en année.
- Pourtant, des solutions existent pour traiter les véritables causes du sous-emploi !
Comme le détaille le document de la CFE-CGC « Quelle société pour demain ? » publié en mars 2017 , des solutions existent pour remédier aux causes racines de la faiblesse de notre économie et aux mécanismes qui pénalisent l’emploi. Citons en trois :
- Reprendre pied dans le capital de nos grandes entreprises
Il est indispensable que le capital de nos grandes entreprises ne soit plus aussi dépendant de grands fonds d’investissement étrangers et que des structures françaises détiennent une part importante du capital de nos grandes entreprises, avec l’objectif d’une performance équilibrée et durable. Ces structures pourraient notamment résulter d’un actionnariat salarié mutualisé et de l’ajout d’un compartiment de retraite complémentaire par placement économique.
- Faire évoluer la gouvernance des entreprises
La gouvernance des entreprises doit être plus responsable et viser à l’intérêt équilibré de toutes les parties prenantes Il faut donc définir précisément ce qu’est l’intérêt social d’une entreprise et augmenter la représentation des salariés dans les organes de gouvernance des sociétés.
- Renforcer et rendre plus prescriptives les dispositions de RSE
Gérard Mardiné
Secrétaire national Économie, industrie, développement durable, RSE, logement