En cette période de vœux, que peut-on souhaiter à la CFE-CGC et à ses structures ?
Joie, santé, réussites, découvertes : je souhaite une bonne et heureuse année à tous nos adhérents et à nos militants. En espérant que l’entreprise dans laquelle ils et elles travaillent soit une entreprise qui fonctionne correctement et qu’elle ait la capacité d’affronter les difficultés économiques dont on sait qu’elles jalonneront 2024. S’agissant de l’organisation, je souhaite à la CFE-CGC de poursuivre son développement conformément aux bons résultats enregistrés sur le terrain lors des élections professionnelles. La CFE-CGC est de plus en plus présente, visible. En toutes circonstances, il s’agit de proposer, de faire face aux problématiques, d’être combatifs et constructifs. Par son action syndicale, la CFE-CGC et ses militants contribuent à restaurer la confiance dans un pays qui en a bien besoin.
« Par ses actions, la CFE-CGC contribue à restaurer la confiance »
Vœux, négociation sur l’emploi des seniors et les parcours professionnels, loi immigration, salaires, orientations stratégiques de la CFE-CGC : président confédéral, François Hommeril fixe la feuille de route pour 2024.
Qu’est-ce qui vous fait dire que 2024 va être une année de difficultés économiques ?
On le sait parce qu’il y a des indicateurs objectifs qui nous y préparent comme le taux de défaillance des entreprises, en hausse de 34 % l’an dernier. C’est l’indicateur le plus pertinent pour qualifier ce que sont les prémisses d’une crise économique, ou plutôt ses prolongements. Nous sommes confrontés aujourd’hui à la deuxième réplique de l’après-Covid, la première étant la vague d’inflation qui a accompagné le redémarrage de l’activité dans un contexte de crise de l’énergie. Après le ralentissement de 2023, il n’y a pas ce retour d’activité qui permet de relancer la mécanique. Et autant les grandes entreprises sont capables d’absorber des gros chocs et ont la trésorerie pour cela, autant les petites n’ont pas de solutions quand elles ne peuvent plus payer leurs fournisseurs.
Souhaitez-vous réagir à la nomination de Gabriel Attal comme Premier ministre ?
Je n’ai aucun commentaire à faire sur la portée politique de ce choix du président de la République, sur le fait que le nouveau Premier ministre soit jeune, ambitieux, etc. J’ai dit tout ce que j’avais à dire des rapports entretenus par la CFE-CGC avec Élisabeth Borne, à savoir une possibilité d’aller au fond des dossiers mais des désaccords à peu près sur tout. Ce qui m’intéresse, c’est comment sera constituée l’équipe gouvernementale de Gabriel Attal et quelle dimension sociale il veut donner à son mandat. Et cela va plus loin que les déclarations sur le perron de Matignon. Cela s’incarne au travers de collaborateurs avec qui on travaille, qui ont la capacité de se saisir des problèmes qu’on leur soumet et de travailler avec nous pour les résoudre. Si sa feuille de route est conforme à ce qu’elle a toujours été avec Emmanuel Macron, nous allons à l’évidence être en désaccord fondamental dans beaucoup de domaines.
L’exécutif doit mieux considérer les partenaires sociaux, capables d’élaborer de la norme et d’exercer leurs responsabilités, et ne pas en permanence regarder par-dessus leur épaule »
Quels sont les principaux ministères dont la CFE-CGC surveille le ou la prochain(e) titulaire ?
Le ministère du Travail et Bercy, bien sûr, mais aussi ceux qui leur sont rattachés comme l’Industrie, avec qui nous avons bien travaillé. Roland Lescure avait une équipe, une vision. Il nous a considérés et nous avons travaillé de bons dossiers avec lui. J’ajoute la Transition écologique et énergétique, le Handicap, sur lequel nous avons un positionnement historique, le logement et les ministères sociaux comme celui de la Santé, très important, avec qui nous devrions davantage travailler en considérant notre positionnement national et pas seulement notre représentativité chez les salariés de la santé. Il a une importance très « politique » dans l’équilibre des comptes sociaux et dans une partie du financement du paritarisme. Après, tout va beaucoup dépendre de la personnalité des futurs titulaires, de la dimension de leurs équipes et des consignes données concernant la manière de travailler avec les partenaires sociaux.
En la matière, vous en appelez à un changement de méthode ?
On part de loin ! Avec la négociation sur l’Unedic, on a atteint des sommets d’interpénétration entre le patronat et l’Élysée… Il sera difficile d’aller plus loin dans la grossièreté de l’ingérence du pouvoir dans des négociations qui regardent les partenaires sociaux. Cela ne peut plus fonctionner comme cela. Le respect des partenaires sociaux, c’est la délégation du pouvoir de négocier et d’obtenir un accord. Ce que ne comprend pas Emmanuel Macron et qui forcément percole à tous les échelons du pouvoir, c’est que le fonctionnement de la démocratie sociale française n’est pas basé sur un principe de hiérarchie partant du sommet. Ce n’est pas un emboitement, c’est un système de délégation. Le pouvoir politique décide - ou non - de déléguer aux organisations syndicales et patronales, dans un certain nombre de champs, la capacité d’établir de la norme et de gérer des organisations. Mais une fois qu’il l’a fait, il doit considérer les partenaires comme des gens responsables, capables d’élaborer cette norme et d’exercer leurs responsabilités. Et ne pas en permanence regarder par-dessus leur épaule pour dire « Moi j’aurais fait autrement. »
La négociation sur l’emploi des seniors est la plus importante de l’année et la CFE-CGC en appelle à une révolution conceptuelle »
Sur la base du document gouvernemental d’orientation sur le nouveau pacte de vie au travail, les partenaires sociaux ont débuté une négociation nationale interprofessionnelle sur l’emploi des seniors, les parcours professionnels et le compte épargne-temps universel. Qu’en attend la CFE-CGC ?
C’est la négociation la plus importante de l’année, bien qu’elle aurait dû se tenir avant la réforme des retraites. J’espère que les organisations patronales en ont conscience et qu’elles sont prêtes, une fois n’est pas coutume, à faire des efforts, même si le calendrier est assez contraint avec des conclusions attendues fin mars. Le niveau d’ambition doit être très haut car avec l’emploi des seniors, on parle d’enjeux qui pèsent des dizaines de milliards d’euros pour notre système social. La CFE-CGC en appelle à une révolution conceptuelle alors que depuis 30 ans, chacun s’est habitué, dans les entreprises, à de régulières vagues de plans de départs pour se débarrasser des salariés de moins de 60 ans, qu’ils soient ouvriers, agents de maîtrise ou cadres. Il faut dire stop à ce phénomène et trouver des solutions, d’autant plus après le recul de l'âge légal de départ en retraite à 64 ans. Il convient de mettre en place des organisations de travail qui permettent d’accueillir des gens entre 55 et 65 ans dans des conditions telles qu’ils pourront continuer de faire valoir leur expertise et leurs compétences. Et faire en sorte, par un cadre motivant et adapté, que ces dernières années professionnelles ne soient ni longues pour le salarié, ni pour l’employeur.
Que préconise la CFE-CGC ?
La CFE-CGC travaille activement depuis deux ans sur ces sujets. Elle a déjà porté de nombreuses propositions à l’époque de la concertation engagée pour la réforme des retraites. Celles-ci sont de trois ordres. Améliorer l’emploi des seniors passe d’abord par le renforcement du suivi médical : les entreprises doivent investir ce champ, en concertation avec les organisations syndicales. Il faut ensuite proposer aux salariés une carrière adaptée à leur âge, à leur motivation, à leurs priorités. Leur permettre d’accéder à la formation car il n’y pas d’âge pour apprendre et se perfectionner, et développer le tutorat. Troisième point : libérer progressivement du temps et passer d’une activité pleine à une activité réduite (80 %, 60 %, à mi-temps) à partir de 55 ans. Cela passe, entre autres, par le développement des dispositifs de retraite progressive et de cumul emploi-retraite.
Qu’en est-il du compte épargne-temps universel ?
Sur le papier c’est une bonne chose, probablement nécessaire. La problématique est d’ordre technique : qui va payer cette valorisation de ces jours épargnés dès lors qu’on quitte son entreprise ? Pour nous, c’est la question centrale…
Il n’est pas possible de réduire la question de la pénibilité à l’usure professionnelle en omettant les risques psychosociaux »
Quel est l’enjeu prioritaire s’agissant des parcours professionnels ?
Il y a toujours cette ambiguïté, introduite d’ailleurs par Emmanuel Macron, de remplacer la pénibilité par l’usure professionnelle. On ne peut pas être d’accord avec ça. La CFE-CGC représentant une population de salariés dont une assez large part des professions sont intellectuelles, nous sommes très attentifs aux risques psychosociaux (RPS) qui ont tendance à exploser ces dernières années. Nous sommes des éclaireurs sur le sujet : on se bat, on explique, on décode, à l’image du projet Superman mené par la CFE-CGC avec l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (ANACT) sur les problématiques d’organisations du travail et de management. Il n’est pas possible de réduire la question de la pénibilité à l’usure professionnelle et les RPS doivent être inscrits aux critères de pénibilité.
Le projet de loi immigration a été adopté au Parlement le 20 décembre dernier. Quelles conséquences en attendre pour les entreprises, les emplois, et quels seront les points de vigilance de la CFE-CGC ?
J’ai été beaucoup sollicité pour savoir si la CFE-CGC souhaitait s’exprimer sur la loi. Nous avons une ligne, un principe, qui est d’être extrêmement jaloux de notre indépendance par rapport aux partis politiques et à la façon dont ils peuvent instrumentaliser les sujets sociaux à leur profit. Vu le caractère inflammable du débat, je me suis tenu à distance de toutes les prises de position, conformément à la ligne de la CFE-CGC. Cela n’enlève rien au fait que dans cette loi il y a toute une série de dispositions relatives aux conditions dans lesquelles on travaille. Il n’y a donc pas de raison qu’on ne se penche pas sur les conséquences qui en découleront en fonction des décrets et de leur promulgation. C’est un travail que nous allons faire, via des fiches de décryptage, sur tous les secteurs de la loi qui concernent le monde du travail. Je rappelle au passage que nous sommes la seule organisation syndicale à avoir produit un document qui fait référence aujourd’hui sur l’analyse du fait religieux en entreprise. Nous avons la volonté, le courage et la clairvoyance pour attaquer ce type de sujets.
Les classes moyennes et les membres de l’encadrement sont touchés de plein fouet par le fait que les augmentations générales ne suivent pas l’inflation »
Les salaires et le pouvoir d’achat demeurent au centre des préoccupations des salariés. Comment se déroulent les négociations annuelles obligatoires (NAO) en entreprise ?
Le climat n’est pas bon. La bosse inflationniste n’est pas passée, contrairement à ce qu’en dit Bruno Le Maire. La dégradation du pouvoir d’achat continue. Même si le SMIC suit l’inflation, les classes moyennes et les membres de l’encadrement sont touchés de plein fouet par le fait que les augmentations générales ne la suivent pas. En 2023, dans l’immense majorité des entreprises, il y a eu une perte de pouvoir d’achat importante pour toute la population que la CFE-CGC représente même si, en moyenne, un effort a été fait par les entreprises. Par contre en 2024 les perspectives sont assez mauvaises. Beaucoup de directions arrivent à la négociation en disant que puisqu’on a été augmenté l’an dernier, on ne doit pas s’attendre à grand-chose cette année. Dans un certain nombre d’entreprises, nous ne sommes pas loin du conflit.
Mais je ne voudrais pas parler que des salariés du privé. Il y a aussi ce scandale du ministre de la Fonction publique Stanislas Guerini qui se vante d’avoir été incroyablement généreux en donnant 300 euros par an à l’ensemble des fonctionnaires. La seule revalorisation qui tienne, c’est l’augmentation du point d’indice. Qu’est-ce que c’est que cette aumône de 0,1 % de la masse salariale, dans un contexte où l’inflation risque d’être autour de 3 % ! Et il y a pire que la Fonction publique. Il y a tous les organismes sociaux, la Sécurité sociale, les caisses régionales, dont les centaines de milliers d’agents sont maltraités sur le plan salarial et ne se sentent pas le droit moral d’arrêter la production puisque cela aurait des conséquences directes sur les assurés sociaux. Les directions en profitent, sachant qu’elles sont elles-mêmes sous la tutelle de ministères qui coupent les marges de manœuvre.
Après la séquence retraites historique qui a marqué l’année 2023, où en est l’intersyndicale ?
Une intersyndicale se met en place sur un sujet, un conflit. Ce fut le cas pour les retraites avec un fonctionnement et un rapport de force instauré qui nous ont permis d’atteindre un haut niveau de maturité et d’intelligence collective, de mieux travailler en amont les dossiers sociaux. Aujourd’hui, l’intersyndicale est entre parenthèses mais cela ne nous empêche pas, selon les sujets, de pouvoir travailler en commun. J’ajoute, sur le dossier retraites, que les organisations syndicales doivent continuer de résister aux fortes pressions qu’exerce le gouvernement pour siphonner une partie des réserves de l’Agirc-Arrco (retraites complémentaires).
Quelles sont les grandes orientations stratégiques de la CFE-CGC pour 2024 ?
Elles ont été exposées à nos instances lors du dernier comité confédéral. Il s’agit en particulier d’intégrer, dans toutes nos activités syndicales, la question environnementale pour bâtir un modèle sociétal durable ; et de travailler sur tous les champs relatifs au numérique et à la dématérialisation du travail. En parallèle, nous poursuivons les travaux de notre siège rue du Rocher pour permettre à la maison CFE-CGC d’accueillir, dans un espace rénové, nos salariés, nos élus et nos militants avec un outil parfaitement aiguisé en appui du développement de l’organisation.
Propos recueillis par Mathieu Bahuet et Gilles Lockhart