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Publié le 04 - 02 - 2021

    « Remettre de l’humanité dans l'entreprise »

    Le syndicat CFE-CGC Métallurgie de l’Isère a porté plainte contre General Electric Hydro. Explications, ressenti et plaidoyer de Nadine Boux, sa présidente.

    Pourquoi votre syndicat lance-t-il une telle action contre GE Hydro ?

    Tout d’abord, je précise que je suis également déléguée syndicale centrale CFE-CGC de GE Hydro France. Si c’est le syndicat Métallurgie de l’Isère qui porte plainte, c’est pour une double raison. La première est que le site de Grenoble de GE Hydro est celui qui compte le plus grand nombre de salariés (environ 506), devant ceux de Belfort (environ 89) et de Boulogne-Billancourt (43) et que Grenoble sera également amenée à être la maison mère de GE Hydro. La seconde est que, comme vous le savez, la CFE-CGC est organisée en unions régionales et départementales. Il n’y a pas à proprement parlé de « syndicat CFE-CGC GE Hydro ». C’est donc l’entité Métallurgie de l’Isère qui était la bonne personne juridique.

    Quelles sont les raisons de cette plainte ?

    Après deux PSE en deux ans, une compression drastique des effectifs et un sous-effectif chronique, la santé des salariés est mise à mal. Elle s’est continuellement dégradée ces dernières années dans une sorte de spirale infernale qui n’est pas sans rappeler celle de France Telecom en 2007-2008. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si nous sommes défendus dans cette affaire par Me Frédéric Benoit qui fut l’avocat des salariés de l’opérateur contre leurs anciens dirigeants lors du procès qui a été jugé fin 2019. Au vu des éléments que nous lui avons présentés, il nous a recommandé d’agir avant qu’il ne soit trop tard. Nous avons donc porté plainte contre GE Hydro pour mise en danger de la vie d’autrui et harcèlement moral auprès du tribunal judiciaire de Grenoble, le 24 novembre dernier.

    Quels sont les éléments probants dont vous disposez ?

    Aux yeux d’un certain nombre de dirigeants et d’actionnaires, la santé des salariés est devenue une quasi variable financière, sans aucune considération ou respect des gens. Les risques psychosociaux ne datent pas hier à General Electric mais leur niveau se dégrade fortement depuis les PSE consécutifs. Nous disposons de comptes-rendus des services de santé au travail, de témoignages de salariés, de rapports d’experts et de médecins qui tous montrent que les réductions d’effectifs produisent des effets toxiques majeurs sur la santé et l’intégrité physique des salariés et que GE ne prend pas cela au sérieux, n’engage aucune action préventive ni curative.

    Pouvez-vous donner des exemples ?

    Lorsque des équipes, et en particulier des cadres, sont placés dans une logique de réorganisation permanente, ils encaissent à chaque fois des incertitudes supplémentaires et à la fin ne savent plus ce qu’ils ont à faire et à qui ils doivent reporter. Une des conséquences du sous-effectif est qu’ils doivent effectuer beaucoup plus que leur travail normal. Dans ce contexte, les gens s’en sortent essentiellement de deux façons : il y a ceux qui essayent d’y arriver tant bien que mal et qui s’épuisent physiquement et moralement à combler tous les manques de l’organisation. Ils viennent au travail dans un contexte de souffrance, du fait de ne pas pouvoir accomplir tout ce qu’on leur demande, de ne pas pouvoir trouver d’interlocuteurs pour leurs questions. A l’autre extrémité du spectre, il y a ceux qui, de guerre lasse, se détachent, perdent l’intérêt et l’amour de leur travail et en pâtissent inéluctablement au niveau santé… Arrêts maladie, dépressions : les ravages sont énormes. Ce n’est pas normal de vivre de telles conséquences professionnelles et vous ne pouvez pas tous les jours voir ce qui se passe et ne rien tenter.

    Quelle a été l’attitude de l’entreprise suite aux signaux d’alarme que vous avez forcément tirés ?

    Les recommandations provenant de différentes expertises n’ont jamais été mises en œuvre par GE. Bien au contraire, des salariés se sont retrouvés littéralement fustigés par des systèmes d’évaluation de la performance dont l’un des volets était par exemple de repérer chaque année 10 % de « low performers », ce qui entraînait pour les personnes visées une sorte de stigmate très compliqué à encaisser sur le plan psychologique et les marquant ensuite dans leur carrière.

    Autre source de RPS, le fait que tout reporte, de plus en plus, sur le salarié : en résumé, c’est lui-même qui définit ses priorités, ses moyens d’actions, ses objectifs à atteindre, le tout dans le respect des trois valeurs très subjectives de GE : « agir avec transparence, agir avec humilité et rester focalisé sur les priorités »… Ajoutez à cela que l’on change constamment d’outils et de process en informatique, en ERP, en suivi de la qualité, sans jamais qu’il y ait d’analyse d’impact sur les RPS - malgré la loi - mais toujours selon un déploiement top-down qui s’opère que les salariés soient formés ou non.

    Vous parliez de l’avocat du procès France Telecom, comment êtes-vous entrée en contact avec lui ?

    Le contact avec lui est venu de relations nouées entre syndicalistes dans le cadre des formations CFE-CGC. Suite à des échanges, des similitudes sont apparues concernant la situation dans les deux entreprises Orange et GE Hydro : une « transformation » rapide et brutale, toute proportion gardée bien sûr. Son expertise a été très précieuse pour évaluer la recevabilité de la plainte mais aussi pour lui donner une aura de sérieux vis-à-vis des intervenants extérieurs comme le parquet de Grenoble, la Dirrecte et bien sur la direction de GE Hydro France. Il s’agit aussi d’un message envoyé à toutes les directions d’entreprises qui pourraient envisager d’utiliser la santé mentale de leurs salariés comme d’une variable d’ajustement financière.

    Depuis l’annonce du dépôt de la plainte, quelles ont été les réactions et les conséquences ?

    Il y a eu des réactions fortes, bien évidemment. Bien que je m’y sois préparée, cette situation a été difficile à vivre car en tant que DSC de l’organisation syndicale majoritaire, j’ai fait office de porte-parole et de paratonnerre. Ce projet a été mené par une petite équipe au sein de la section afin que la discrétion soit assurée. Le sujet divise, je comprends.

    Concernant la direction, la première réaction a été une grande colère concernant les possibles implications personnelles de cette plainte, mais sans forcément avoir reçu le fond du message qui est un cri de désespoir ultime après que tous les autres recours aient été épuisés : très nombreux signalement dans les différences instances au cours des dernières année, signalement clair et direct auprès des différentes strates de management allant jusqu’à M. Jérome Péresse, PDG de GE Renewable Energy, plusieurs signalement à l’inspection du travail…

    Quel est le niveau d’implication personnelle que vous traversez ?

    Je ne vis pas forcément tout ceci sereinement. Je ne veux ni heurter ni blesser, je ne vise personne en particulier. J’espère par cette action remettre de l’humanité au cœur de l’entreprise. Je pense également aux générations futures : nous avons une responsabilité envers elles. Quel monde du travail souhaitons-nous créer ?  

    Propos recueillis par Gilles Lockhart