Pouvez-vous nous présenter l’OIT France ?
Centenaire cette année, le bureau de Paris existe depuis la création, en 1919, de l’Organisation internationale du Travail, aujourd’hui encore la seule agence tripartite de l'ONU. L’OIT réunit des représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs de 187 États membres pour établir des normes internationales, élaborer des politiques et des programmes visant à promouvoir le travail décent dans le monde. Les principaux bureaux de l’OIT sont localisés dans des pays en développement pour mettre en œuvre des programmes d’assistance technique et de coopération. En parallèle, l’OIT dispose de bureaux dans les principaux pays industrialisés, dont celui de Paris.
Quelles sont ses missions ?
Il s’agit d’assurer un lien permanent auprès de nos mandants français : les organisations syndicales de salariés et d’employeurs et le gouvernement, notamment le ministère du Travail. Au-delà de cette mission diplomatique, notre rôle est de mobiliser toutes les ressources en France (expertises, influences, moyens financiers) utiles à l’OIT dans ses activités en France comme au niveau mondial. L’OIT France a ainsi noué divers partenariats avec le monde académique dont le Collège de France avec qui nous organisons les entretiens France BIT, impliquant nos mandants français. Autres partenariats notables : ceux avec le Défenseur des droits sur la lutte contre les discriminations, et avec l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS) sur la santé au travail et la prévention des risques professionnels.
Comment l’OIT France a-t-elle été associée aux actions menées dans le cadre du centenaire de l’OIT ?
Depuis quatre ans, le bureau de Paris s’est mobilisé pour contribuer, avec nos mandants français, à une vaste réflexion menée par l’OIT sur l’avenir du travail, en pleine transformation. Le gouvernement français et les partenaires sociaux ont produit, en 2016, un avis sur l’avenir du travail et sur la nécessaire évolution de l’OIT et de ses instruments pour accompagner ces grandes mutations. Cet avis est venu enrichir le rapport final présenté en janvier dernier par la Commission mondiale de l’OIT.
"L’oit est garante du dialogue social au niveau mondial"
Directeur pour la France de l'Organisation internationale du Travail (OIT), Cyril Cosme évoque les missions de l’agence tripartite onusienne qui célèbre cette année son centenaire. Avec un fil rouge : faire respecter les droits de l'homme dans le monde du travail.
Permettre aux individus, par la formation et la protection sociale, de s’adapter aux mutations du travail »
Formation tout au long de la vie, transitions professionnelles, égalité femmes-hommes… Dans ce rapport, l’OIT formule de nombreuses propositions.
C’est avant tout un appel à l’action car l’avenir du travail n’est pas prédéterminé par les avancées technologiques. Il sera ce que les acteurs du monde du travail décideront d’en faire. Les préconisations et leviers d’action présentés alimentent les discussions politiques avant la prochaine Conférence internationale du Travail, en juin. Le rapport fait ressortir que c’est le renforcement de leurs capacités qui permettront aux individus de s’adapter aux multiples transitions - démographique, numérique, écologique - du travail. Pour être effectives, ces capacités individuelles nécessitent cependant de solides institutions du marché du travail et des garanties collectives négociées par des partenaires sociaux qui soient forts et représentatifs. En ce sens, l’OIT est garante du dialogue social au niveau international.
L’OIT préconise notamment la mise en place d’une protection sociale universelle tout au long de la vie.
C’est un sujet fondamental. Déjà, en 2012, l’OIT avait adopté une recommandation - la France y avait largement contribué - sur les socles de protection sociale visant à promouvoir une sécurité sociale plus inclusive et universelle. Au niveau international, la protection sociale a longtemps été appréhendée comme une simple résultante de la croissance économique permettant de construire des systèmes de protection sociale. Aujourd’hui, elle est conçue comme un facteur de développement intégré à la stratégie de développement durable et à ses objectifs (ODD) adoptés en 2015 par les Nations unies. C’est nécessaire car une part du sous-développement dans certaines régions du monde est encore liée à l’incapacité d’organiser collectivement des protections qui mutualisent les risques sociaux.
Quid des modèles économiques et de certaines dérives ?
Il faut tâcher de sortir des impasses actuelles : la financiarisation excessive, la prédominance du court-termisme sur les investissements de long terme, et la concentration toujours plus forte de la croissance de la valeur ajoutée et des revenus sur une infime partie de la population mondiale. Afin de redonner le primat aux droits humains, l’OIT formule notamment des propositions pour aller plus loin en matière de responsabilité sociétale des entreprises. Il faut intégrer pleinement la RSE aux modèles économiques des entreprises alors qu’elle reste encore trop souvent un élément marketing. A l’échelle internationale, il faut reconnaître que la France, sous l’impulsion des partenaires sociaux et des entreprises, a le mérite d’inscrire la RSE comme un objet de négociation.
Dans quelle mesure faut-il craindre l’automatisation du travail ?
A mon sens, les débats internationaux sur le numérique sont trop focalisés sur la suppression hypothétique d’emplois avec quantité d’études anxiogènes projetant jusqu’à la disparition de la moitié des emplois actuels ! La réalité, c’est qu’une majorité vont se transformer et non disparaître. D’où les enjeux décisifs de formation et de développement des compétences. La réduction des inégalités sur le marché du travail passe forcément par de nouveaux modèles pour garantir à chacun l’accès, tout au long de sa vie, à la formation. Développer l’apprentissage est aussi une priorité : l’OIT a d’ailleurs mis en place un réseau mondial - auquel participent de nombreuses entreprises françaises - pour la promotion de la filière par le biais d’un partenariat public-privé.
Que peut-on attendre de la 108e Conférence internationale du Travail, du 10 au 21 juin à Genève ?
Les travaux doivent déboucher sur une feuille de route de l’OIT pour les prochaines années en définissant les sujets prioritaires pour lesquels nos ressources - humaines, analytiques, financières - doivent être engagées au service des acteurs du monde du travail. Outre cette déclaration du centenaire, une nouvelle convention internationale du travail doit être conclue sur les violences au travail et le harcèlement, deux sujets universels jusqu’ici non couverts dans les textes internationaux de l’OIT. Pour rappel, la précédente grande convention internationale du travail avait été adoptée en 2011 sur le travail domestique.
Les cadres sont particulièrement impactés par les nouvelles organisations du travail »
A quoi servent concrètement ces conventions internationales de l’OIT ?
En favorisant le dialogue social et la négociation collective dans tous les États membres, elles renforcent les acteurs du monde du travail et leur donnent les moyens de négocier des avancées adaptées pour la protection des droits et des conditions de travail. La logique d’une convention internationale n’est pas de se substituer aux acteurs nationaux mais au contraire de les renforcer en leur donnant des moyens, essentiellement juridiques, de faire valoir leurs droits et revendications.
Que pensez-vous de la récente création, par l’Union européenne, d’une Autorité européenne du travail ?
Si cette structure peut favoriser la circulation des travailleurs européens dans de meilleures conditions et la mise en œuvre de règles plus effectives en matière de détachement des travailleurs et de contrôle des conditions de travail, cela sera bénéfique. Plus largement, l’OIT et l’UE sont deux partenaires qui coopèrent et travaillent à différents niveaux. Par exemple, dès lors qu’une législation communautaire existe, elle a forcément des liens avec les conventions de l’OIT.
Au niveau mondial, quel regard portez-vous sur l’évolution des cadres et assimilés ?
Partout, le niveau général des qualifications et des compétences augmente. Il n’y a qu’à voir la progression constante des effectifs cadres dans les grandes entreprises. Dans tous les pays, y compris quand la notion de cadre n’existe pas stricto sensu, ces populations sont particulièrement impactées par les nouvelles organisations du travail et du management. Ces changements induisent des opportunités mais aussi des risques (souffrance, charge mentale) sur lesquels il faut être très vigilant.
Propos recueillis par Mathieu Bahuet