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Publié le 24 - 02 - 2023

    « Le gouvernement doit retirer son projet de réforme des retraites »

    Avant la prochaine mobilisation intersyndicale fixée au 7 mars, Gérard Mardiné, secrétaire général de la CFE-CGC, fait le point sur les débats parlementaires, sur le travail pédagogique des syndicats, et étrille la communication gouvernementale.

    À l’appel d’une intersyndicale toujours aussi unie, les prochaines journées de manifestation contre la réforme des retraites sont programmées les 7 et 8 mars. Qu’attendez-vous de l’exécutif ?

    L’opposition extrêmement majoritaire à ce projet de réforme, confortée par une mobilisation sociale inédite, aurait déjà dû conduire un pouvoir exécutif respectueux de notre démocratie à le retirer et à éventuellement engager un vrai débat démocratique sur les améliorations à envisager pour notre système de retraites. Tel n’est malheureusement pas le cas à ce stade, le président de la République persistant, lors de son déplacement à Rungis le 21 février, à en appeler au bon sens des Français. Un discours extrêmement maladroit pour éviter d’engager un véritable débat de fond et interprété majoritairement comme prenant les Français pour des idiots. L’annonce d’une mobilisation encore plus forte le 7 mars est un ultimatum au gouvernement à respecter nos principes démocratiques et donc à retirer sa réforme d’ici là. L’exécutif serait le seul responsable d’une mise à l’arrêt du pays.

    Nos positions argumentées convainquent de plus en plus nos concitoyens qui se rendent compte de la variabilité et de l’incohérence des expressions du gouvernement »

    Depuis le 19 janvier dernier, l’intersyndicale a organisé cinq journées nationales de mobilisation interprofessionnelles, auxquelles ont largement participé les structures CFE-CGC. Quel bilan en dressez-vous ?

    La participation à ces journées de mobilisation, et notamment la forte affluence aux manifestations dans les cortèges partout dans le pays, ont été d’un niveau remarquable jamais atteint ces dix dernières années. C’est une confirmation de l’opposition forte de la population, qui s’exprime dans toutes les enquêtes d’opinion. L’association de toutes les organisations syndicales (OS) au sein de l’intersyndicale renforce sa crédibilité dans son exigence de retrait du texte. Un récent sondage montre ainsi que 54 % des Français saluent l’attitude responsable des syndicats alors que celles du gouvernement et de la majorité présidentielle sont jugées dangereuses par 66 % et 64 %.

    Dans quelle mesure cette grande séquence sociale a permis aux organisations syndicales dont la CFE-CGC de convaincre l’opinion publique sur les dangers d’une réforme que l’exécutif a de plus en plus de mal à justifier ?

    François Hommeril et moi-même sommes intervenus à de nombreuses reprises dans les médias ces derniers mois. Nos positions fortement argumentées convainquent de plus en plus de nos concitoyens qui se rendent compte de la variabilité et de l’incohérence des expressions du gouvernement quant aux effets de son projet. Les déclarations du ministre Franck Riester sur l’injustice du projet vis-à-vis des femmes, le flou autour du nombre de bénéficiaires de l’augmentation du minimum de retraites et les allers-retours sur la durée de cotisation minimale pour les salariés en carrière longue ont frappé les esprits.

    Les Français comprennent que le gouvernement veut imposer un projet dogmatique contraignant les salariés à reporter leur âge de départ en retraite sans solliciter réellement les autres acteurs économiques. Le sondage évoqué ci-avant révèle que seuls 27 % (- 8 points en un mois) de nos concitoyens considèrent que ce projet permettra de sauver notre système de retraites quand seuls 22 % (- 10 points) jugent que la réforme est juste et 20 % (- 17 points) qu’elle est claire. Notre travail de pédagogie porte ses fruits et nous le vérifions lorsque nous intervenons face à des députés Renaissance : ils ne savent pas répondre à nos arguments étayés et ne font que réciter des éléments de langage dont la pertinence est désormais très majoritairement contestée.

    Le choix d’une procédure accélérée ciblée sur un projet de loi financière pour débattre d’un projet aux multiples impacts est une forme d’injure à notre fonctionnement démocratique »

    L’examen du texte en première lecture s’est achevé dans la confusion le 17 février à l’Assemblée nationale, sans aborder l’article 7 sur le report de l'âge légal à 64 ans. Comment avez-vous jugé les débats et qu’attendre désormais de l’examen au Sénat ?

    Le choix du gouvernement de retenir une procédure accélérée ciblée sur un projet de loi financière (Article 47-1 de la Constitution) pour débattre d’un projet aux multiples impacts personnels, sociaux et sociétaux, est une forme d’injure à notre fonctionnement démocratique. L’étude d’impact établie par le gouvernement n’a été communiquée que très tardivement : je n’y ai pas eu accès avant l’audition des OS par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale le 25 janvier dernier. Elle ne comporte que très peu d’éléments, souvent erronés et partiaux, et omet d’aborder des impacts pourtant majeurs. Les débats à l’Assemblée ont donc été particulièrement stériles, ne permettant même pas d’arriver au vote de l’article 7. La responsabilité en incombe d’abord au gouvernement.

    L’examen au Sénat va commencer le 2 mars. Le texte transmis par le gouvernement ne reprend pas les articles et amendements votés par les députés. Ainsi, l’article 2 sur la création d’un index seniors, rejeté par les députés en raison de son insuffisance à améliorer l’emploi des seniors, a été réintroduit par l’exécutif. J’espère que les sénateurs auront à cœur d’exiger tous les éléments d’impact et de les analyser sérieusement dans toutes leurs dimensions avant de se prononcer. Je n’en suis cependant absolument pas sûr suite aux contacts que j’ai pu avoir en marge de l’audition des OS par la commission des affaires sociales du Sénat. Cela interroge fortement sur notre fonctionnement démocratique.

    L’équilibre financier de notre système de retraites est pérenne »

    Au nom de la CFE-CGC, vous avez été auditionné le 15 février par cette Commission des affaires sociales du Sénat. Quels messages avez-vous fait passer ?

    J’ai d’abord insisté sur la pauvreté des éléments justificatifs de cette réforme et l’insuffisance de l’étude d’impact, interpelant les sénateurs sur le manque de respect du gouvernement vis-à-vis des parlementaires. C’est pour moi insupportable et contraire aux principes de notre démocratie dans laquelle le Parlement doit disposer de tous les éléments nécessaires pour voter une loi.

    J’ai ensuite rappelé nos éléments d’opposition ferme à ce projet en commençant par contester le principal élément de communication du gouvernement, à savoir la prétendue urgence à réformer pour éviter la faillite programmée de notre système de retraites. Or notre système présente un excédent financier pour les années 2021 et 2022, et possède des réserves financières importantes. Notre analyse argumentée du rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) montre que l’équilibre financier de notre système est pérenne. Il permet de financer de nouvelles mesures de solidarité si on considère des hypothèses réalistes d’espérance de vie, si des mesures efficaces sont prises pour améliorer l’emploi des seniors, si on parvient à un partage de la valeur produite par les entreprises plus équilibré en faveur des salariés et à des investissements générateurs d’emplois supplémentaires, en cohérence avec les objectifs affichés par le gouvernement de davantage d’autonomie stratégique et d’implication dans la transition écologique.

    À ce titre, j’ai déploré l’annonce récente par la direction de Latécoère (entreprise du secteur aéronautique) de la délocalisation d’activités à haute valeur ajoutée ayant bénéficié de subventions publiques. Cela illustre l’inefficacité de la politique gouvernementale qui va pénaliser l’emploi et le financement de notre protection sociale. J’ai également mentionné que l’expression récente de nombreux experts - démographes, économistes et le président du COR lui-même - confortaient les analyses de la CFE-CGC.

    Les quelques gestes de l’exécutif jusqu’ici (élargissement du dispositif carrières longues, index seniors obligatoire d’ici 2025 pour les entreprises de plus de 50 salariés) sont-ils à la hauteur ?

    Absolument pas ! Ce sont avant tout des éléments de communication pour tenter de faire croire que le gouvernement est dans un processus d’écoute, ce qui n’est absolument pas le cas vu qu’il conduit un projet dogmatique. Il a depuis longtemps abandonné l’idée d’arriver à un compromis social et vise avant tout à atteindre un compromis politique avec des parlementaires du parti Les Républicains.

    Propos recueillis par Mathieu Bahuet