Alors que la loi du 8 août 2016 (loi El Khomri) a fixé l’objectif d’arriver à un paysage conventionnel composé de 200 branches professionnelles en août 2019, leur restructuration avance à grands pas. Mais sur quels critères objectifs ? Et que restera-t-il comme marge de manœuvre aux branches professionnelles, par exemple en matière de négociation salariale ? Autant de sujets au menu d’une conférence-débat CFE-CGC organisée à Paris le 26 juin dernier au siège confédéral sous l’intitulé « Au cœur de la tempête, la branche professionnelle a-t-elle encore un rôle aujourd’hui ? ».
En ouverture, François Hommeril, a indiqué que la restructuration en cours des branches avait un impact sur la hiérarchie des normes et sur le fonctionnement des branches, ainsi que sur la relation branche/entreprise. Méfiant à l’égard des chiffres ronds, le président de la CFE-CGC a appelé à plutôt choisir des critères objectifs et opérationnels pour établir le dénombrement des branches en lieu et place, par exemple, de « couperets » fixés via le nombre de salariés représentés.
Orchestrant les débats, Gilles Lécuelle, secrétaire national en charge du dialogue social, de la représentativité et de la restructuration des branches, a ensuite rappelé le contexte, en s’appuyant notamment sur une étude commandée par la CFE-CGC à l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires) et menée par Cécile Hablot, maître de conférence à l’Université Bretagne Occidentale. Compte tenu de l’émiettement du tissu conventionnel, l’étude souligne combien il a semblé nécessaire aux acteurs d’opérer une restructuration des branches et une reconfiguration des conventions collectives en vigueur au sein des branches. Toutefois, il a d’emblée été pointé le risque que la fusion entraîne un nivellement par le bas, en particulier dans le cas de l’existence passée de conventions catégorielles. Un enjeu d’autant plus important que, pour l’heure, l’accord peine à être trouvé entre organisations syndicales pour définir les critères de représentativité qui permettront d’être partie prenante des négociations.
Une restructuration en deux phases pour passer de 700 à 200 branches
Quoi qu’il en soit, a rappelé Coralie Deffes, représentante de la direction générale du travail (DGT), la loi El Kohmri de 2016 puis les ordonnances Macron un an plus tard ont posé l’obligation, en août prochain, d’atteindre le nombre de 200 branches. Pour rappel, on en comptait 700 au début des travaux, il y a trois ans. Nombre d’entre elles n’avaient plus d’activité conventionnelle, en particulier dans les petites branches. La première méthode de restructuration a donc consisté à opérer des fusions automatiques de branches locales, de branches territoriales et de branches qui n’avaient pas accueilli de négociation conventionnelle depuis 15 ans, un curseur ensuite ramené à 10 ans. Ce premier tri a permis de passer de 700 à environ 450 branches.
La seconde phase du chantier, actuellement en cours, a ajouté un nouveau critère avec la restructuration des branches professionnelles de moins de 5 00 salariés. Pour arriver aux 200 branches escomptées, fusions volontaires et imposées se complètent. Coralie Deffes (DGT) s’est d’ailleurs montrée optimiste quant à la possibilité d’atteindre l’objectif chiffré dans les délais impartis. Volontaires ou non, les fusions connaissent deux étapes avec, d’abord, la fusion des champs conventionnels, puis l’harmonisation des stipulations conventionnelles pour laquelle les partenaires sociaux disposeront de cinq ans.
Gilles Lécuelle (CFE-CGC) : « Plus on avance, plus cela se complique »
Alors que Pierre Ramain, en charge de la mission sur la restructuration des branches auprès du ministère du Travail, doit remettre, d’ici septembre prochain, un rapport qui devrait encore fixer des objectifs chiffrés de réduction des branches, Gilles Lécuelle a prévenu : « Plus on avance, plus cela se complique puisque les conventions sont de plus en plus vivantes et riches. »
L’économiste Erwan Gautier a, lui, fait observer que les branches permettaient d’éviter le dumping social, en ce qu’elles sont un lieu de négociation pour les partenaires sociaux. Reste la question, toujours ouverte, de savoir qui, dans ces branches restructurées, sera en mesure de négocier… En particulier pour veiller à ce que les grosses entreprises n’imposent pas leurs choix aux plus petites, notamment en matière de fixation des salaires. Les critères de classification retenus par les branches pourraient en effet ne pas s’avérer des garde-fous suffisants. La vigilance est donc de mise.
Un exemple de négociation vertueuse dans la chimie
Geoffroy Poirier, secrétaire général de la Fédération CFE-CGC Chimie, a pu témoigner d’une fusion réussie : celle du verre. Quatre conventions collectives ont ainsi pu être rapprochées. Une réussite permise, a-t-il souligné, par une volonté syndicale et patronale commune d’y parvenir. Les salaires ont aussi été harmonisés, sans nivellement par le bas. Selon l’économiste Erwan Gautier, une telle réussite a sans doute aussi été facilitée par une taille équilibrée des branches qui devaient fusionner. De fait, lorsque l’une d’elles domine, cela complique la donne car pèse alors le risque d’une volonté hégémonique.
En matière de relation avec les entreprises, l’étude de l’Ires pointe que la branche a perdu son rôle central dans la négociation collective. Si elle n’est plus le lieu où se définit la loi de la profession, nombre de questions se posent sur la couverture conventionnelle ou sur le rôle que pourront jouer les partenaires sociaux vis-à-vis des pouvoirs publics. L’étude soulève ces interrogations, sans pouvoir forcément y apporter de réponses.
Actuellement, rappelons que l’Etat fixe le Smic et que la branche fixe le salaire minimum hiérarchique. Quant à l’entreprise, elle fixe le salaire réel. Erwan Gautier estime que, globalement, les salaires minimaux fixés par les branches suivent les évolutions du Smic, sans pouvoir quantifier précisément les augmentations proportionnelles. L’économiste souligne donc que la branche conserve un rôle important en matière de fixation des salaires, plus encore en l’absence d’accords d’entreprise. Selon lui, ces accords annuels sur les salaires minimaux sont même « l’activité conventionnelle principale ».
La problématique du salaire minimum hiérarchique (SMH)
Sur ce sujet, Gilles Lécuelle a quant à lui rappelé « le fort attachement de la CFE-CGC à des négociations salariales menées dans le cadre des conventions collectives ». Et de conclure : « Il ne faudrait pas qu’une mauvaise définition du salaire minimum hiérarchique (SMH) vienne annihiler le renforcement des branches possible par leur regroupement. »
Sophie Massieu
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Publié le 24 - 07 - 2019
Le big bang des branches professionnelles pose question
Amorcé en 2016, le travail de restructuration des branches impulsé par les pouvoirs publics avec les partenaires sociaux se révèle particulièrement complexe, comme l’ont expliqué divers experts lors d’un colloque organisé par la CFE-CGC.