« Mon histoire est celle d’un salarié devenu un élu du personnel qui, grâce à l’effort collectif de toute une organisation syndicale, de la petite union locale des Pyrénées-Atlantiques jusqu’au sommet de la Confédération, a permis de combler une faille dans le droit administratif avec une nouvelle jurisprudence structurante pour les lanceurs d’alerte et les salariés protégés. »
Après un marathon judiciaire de 7 ans dans un dossier rocambolesque, Jean-Christophe Dugalleix, 57 ans, peut savourer « une victoire qui porte le sceau de la CFE-CGC », insiste-t-il. Le 2 octobre dernier, dans un arrêt définitif faisant suite aux décisions préalables du Conseil d’État, la cour administrative d’appel de Paris a annulé la décision de 2017 du ministère du Travail qui avait autorisé son licenciement par son employeur, le CESI (centre des études supérieures industrielles), dont il avait signalé de possibles abus de biens sociaux. « J’ai officiellement réintégré l’entreprise le 2 novembre à temps plein, sur un poste équivalent », indique le militant CFE-CGC, lanceur d’alerte de son état.
L’histoire débute en 2007 quand Jean-Christophe Dugalleix, diplômé en 1995 du CESI, une école d’ingénieurs comptant aujourd’hui 1 300 collaborateurs et formant chaque année 28 000 étudiants dans 25 campus, intègre le site du CESI de Pau (Pyrénées-Atlantiques) comme ingénieur formateur en informatique. Après son embauche, il s’étonne « des livraisons de confitures effectuées par les délégués d’un syndicat à la direction parisienne des ressources humaines ». Il se rapproche alors de la CFE-CGC de l’union départementale 64 et en discute avec son président, Bernard Thierry. Il adhère ensuite en 2013 puis monte en compétences grâce au Centre de formation syndicale (CFS) de la Confédération. « Dans mon parcours militant, ces formations m’ont tout appris : analyse de comptes, prérogatives d’un d’élu et d’un délégué syndical, discriminations, etc. »
Lanceur d’alerte : le combat homérique d’un militant CFE-CGC
Licencié en 2017 après avoir dénoncé de possibles abus de biens sociaux dans son entreprise, Jean-Christophe Dugalleix, au terme d’une longue procédure avec le soutien de la CFE-CGC, a obtenu sa réintégration et enrichi la jurisprudence des salariés protégés.
TÉMOIN DE FAITS DÉLICTUEUX S’APPARENTANT À DE POSSIBLES ABUS DE BIENS SOCIAUX
Lors des élections professionnelles de 2014, il se porte candidat par écrit, d’abord sans étiquette. À dessein. « Mon employeur tente alors de me forcer la main en m’indiquant que pour me présenter je dois adhérer à tel syndicat, celui-là même qui avait suscité mon étonnement. Le jour du scrutin, on me remet une convocation à un entretien de licenciement qui sera levé par l’inspection du travail. Je sens que je dérange. » Élu CFE-CGC au comité d’entreprise (CE), il s’investit dans les travaux de l’instance et, de fil en aiguille, découvre que le centre de Pau est le théâtre de faits possiblement délictueux s’apparentant à des abus de biens sociaux : détournements d’usage de véhicules de service, notes de frais suspectes, baux de locaux anormalement élevés dans le cadre d’accords de formations…
Jean-Christophe Dugalleix signale ces faits auprès de la direction régionale du CESI. Silence radio. Il saisit le CE et demande l’ouverture d’une enquête. Rien n’est fait. Sa messagerie informatique de délégué syndical se retrouve alors bloquée. « Je n’ai plus accès à la majeure partie des preuves consignées même si j’avais conservé quelques documents au format papier. » Conformément aux dispositions de la loi du 9 décembre 2016 encadrant le lanceur d’alerte, il saisit dans l’ordre l’ensemble des instances régaliennes : procureur de la République, Urssaf et, en dernier lieu, les commissaires aux comptes. Ces derniers préviennent le CESI qui intente une nouvelle procédure de licenciement réfutée par l’inspection du travail au motif qu’un lanceur d’alerte ne peut pas être licencié pour avoir signalé des faits. L’employeur insiste et saisit la direction du Travail qui rend un avis négatif.
QUAND LE MINISTÈRE DU TRAVAIL S’EN MÊLE
L’affaire rebondit le 17 mars 2017 quand Jean-Christophe Dugalleix reçoit un courrier du ministère du Travail occupé alors par Muriel Pénicaud, stipulant en substance revoir sa position au motif qu’il aurait dénoncé des faits sans preuves, et vouloir désormais autoriser le licenciement. « C’est une situation kafkaïenne, lesdites preuves ayant été bloquées par le verrouillage d’accès de ma messagerie. Après quelques recherches sur Google en utilisant des extraits de la missive ministérielle, je m’aperçois que ce type de courrier très précis a été adressé à d’autres délégués syndicaux en France, dont le point commun est d’avoir signalé des faits anormaux dans leurs entreprises. » Il découvrira aussi que le CESI, dans ses catalogues de formation, présente une photo de la ministre visitant les locaux de l’entreprise... Avec « l’étrange » autorisation de la direction générale du Travail, le CESI peut immédiatement procéder au licenciement pour faute grave de Jean-Christophe Dugalleix. Ce dernier sollicite le tribunal administratif de Paris puis la cour d’appel. Les deux instances le déboutent.
Avec l’appui opérationnel et logistique de la Confédération et avec l’aval du président François Hommeril, qui vient de signer une charte nationale sur les lanceurs d’alerte, la CFE-CGC se porte partie aux côtés de Jean-Christophe Dugalleix devant les juridictions. L’avocat Natal Yitchko (Cabinet Chatel et associés) porte le dossier devant le Conseil d’État en avril 2022. Pour la première fois, la plus haute juridiction administrative française doit traiter la situation d’un lanceur d’alerte. À l’issue de la procédure, les juges annulent l’arrêt de la cour d’appel. Sur le fond, le législateur revoit les règles à appliquer en cas de demande d’autorisation administrative de licenciement d’un lanceur d’alerte, stipulant désormais qu’il s’agit de déterminer si le salarié a eu connaissance des faits par lui-même, s’il a agi de bonne foi, et si les faits dénoncés sont susceptibles de recevoir la qualification de crime ou de délit.
En renforçant leur protection, ces décisions vont bénéficier à beaucoup de salariés dénonçant des faits délictueux dans leur entreprise »
Le Conseil d’État ayant renvoyé le dossier vers la cour administrative d’appel de Paris, celle-ci a entériné, dans une décision définitive du 2 octobre 2023 (n°22PA02034), le succès juridique de Jean-Christophe Dugalleix et de la CFE-CGC. Se fondant sur l’article L.1132-3-3 du Code du travail consacrant le principe de la non-discrimination des lanceurs d’alerte, la cour retient que « M. Dugalleix a signalé certains faits pouvant selon lui recevoir une qualification pénale d’abus de biens sociaux, de détournements de fonds et d’utilisation de biens de la société à des fins personnelles ». Qu’il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions « d’usage de biens sociaux au détriment de la société CESI, de notes de frais injustifiées et d’un arrangement entre la société CESI et son bailleur (…), des faits susceptibles de recevoir une qualification pénale ». Enfin, les juges ne retiennent pas les allégations de l’employeur selon lesquelles l’élu du CE aurait détenu ces informations depuis plus d’un an et qu’il n’a lancé ses accusations que dans le but de bénéficier de la protection du lanceur d’alerte.
Dans ces deux décisions, la CFE-CGC est nommément citée et peut ainsi se prévaloir d’avoir, en œuvrant aux côtés de son militant, établi une jurisprudence protégeant les lanceurs d’alerte. « En renforçant leur protection, ces décisions vont bénéficier à beaucoup de salariés dénonçant des faits délictueux dans leur entreprise, analyse Jean-Christophe Dugalleix. Si j’ai un conseil à donner, c’est de cumuler et de ménager les preuves et, en cas de problèmes, d’engager immédiatement une procédure de référé visant à prévenir un dommage ou faire cesser un trouble illicite. » Gare donc désormais aux employeurs impénitents… Dugalleix, sed lex.
LA FORCE DU COLLECTIF SYNDICAL
Cette affaire met aussi et surtout en lumière la force du collectif, l’essence même du syndicalisme. « J’ai reçu un soutien sans faille de la CFE-CGC durant toutes ces années de procédures où il a fallu tenir moralement », témoigne Jean-Christophe Dugalleix.
Pêle-mêle, le militant tient à remercier l’union départementale des Pyrénées-Atlantiques, l’union régionale Nouvelle-Aquitaine, sa Fédération d’appartenance (la FIECI CFE-CGC) et les services confédéraux (salariés et élus).
Mathieu Bahuet
BIOGRAPHIE
1966
Naissance à Périgueux (Dordogne).
1995
Diplômé de l’école d’ingénieurs du CESI (centre des études supérieures industrielles).
2007
Ingénieur réseau et système au centre CESI de Pau (Pyrénées-Atlantiques).
2013
Adhésion à la CFE-CGC.
2014
Élu au comité d’entreprise (CE).
2015
Signale des faits s’apparentant à de possibles abus de biens sociaux.
2017
Licenciement.
2022-2023
- Le Conseil d’État et la cour administrative d’appel de Paris statuent en sa faveur.
- Réintégration dans l’entreprise en novembre 2023.