Le secrétaire national confédéral détaille également les exigences de la CFE-CGC pour garantir la préservation durable du niveau des pensions. Entretien.
Après une première phase de concertation avec les partenaires sociaux achevée cet été, Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire à la réforme des retraites, a dévoilé le 10 octobre dernier les premiers arbitrages gouvernementaux sur la future réforme voulue par l’exécutif. Que faut-il en retenir ?
Nous avons enfin un cadre et des premiers éléments tangibles. Il s’agira donc, à partir de 2025, de passer des 42 régimes de retraites qui existent aujourd’hui à un système universel de retraite par répartition qui concernera tous les actifs : salariés du privé, fonctionnaires, indépendants. Ce sera un système par points financé par les cotisations des travailleurs du privé et du public jusqu’à 3 plafonds de la Sécurité sociale (environ 10 000 euros bruts de revenus mensuels). Le taux de cotisation - incluant la part salariale et la part patronale - a été fixé à 28 % soit un niveau sensiblement équivalent à celui actuellement en vigueur pour les salariés du privé. Il faut rappeler qu’un système par points est déjà utilisé pour les régimes complémentaires (Agirc et Arrco) selon le principe suivant : vos cotisations annuelles vous donnent droit à un certain nombre de points qui, au moment du départ à la retraite, sont convertis en pension.
L’âge légal de départ à la retraite resterait fixé à 62 ans.
Ce sujet n’avait pas été abordé lors de la première phase de la concertation. Le principe du maintien à 62 ans de l’âge légal à partir duquel on pourra liquider ses droits est acté. Il reste à déterminer certaines modalités, notamment la prise en compte des carrières longues, de la pénibilité, des catégories actives et du handicap.
La réforme des retraites : attention à la protection des retraités
Régime universel par points, âge légal de départ, pensions de réversion… Serge Lavagna fait un point d’étape sur la concertation avec les partenaires sociaux sur la future réforme des retraites voulue par le gouvernement.
La pension de réversion doit maintenir le niveau de vie du conjoint survivant et s’appliquer sans conditions de ressources »
Quid des pensions de réversion, qui ont fait couler beaucoup d’encre ces derniers mois ?
Le haut-commissaire a précisé que celles-ci ne seront pas supprimées et qu’elles garantiraient le niveau de vie des veuves et veufs après le décès du conjoint, une formulation mi-chèvre mi-chou pouvant prêter à interprétation. La pension de réversion doit s’appliquer sans conditions de ressources : la CFE-CGC sera très attentive à ce que la pension de réversion versée au conjoint survivant lui permette de maintenir le niveau de vie qu’avait le couple sans être, par exemple, obligé de déménager car elle ou il ne pourrait plus assumer les charges.
Fallait-il vraiment fusionner les 42 régimes de retraites actuels pour « simplifier le système », comme l’a martelé le gouvernement ?
Absolument pas. La loi de 2014 prévoyait la création d’un répertoire de gestion des carrières unique (RCGU) et un compte personnel de retraite. Par ailleurs, s’il est vrai que les régimes de retraite sont nombreux, la très grande majorité des assurés n’est pas affiliée à une multitude de régimes, si bien que le système actuel est moins complexe que ne cherche à le faire apparaître le gouvernement. Les objectifs de lisibilité et d’équité ne peuvent donc, à eux seuls, justifier une telle réforme. En tout état de cause, cette future réforme sera très complexe dans sa mise en œuvre technique, juridique et opérationnelle, car les 42 régimes actuels relèvent de règlementations et de systèmes d’information très différents.
Enfin, il faut comprendre que les nouvelles règles ne commenceront à s’appliquer que 5 ans après le vote de la future loi, progressivement. Tout le monde ne basculera pas du jour au lendemain dans ce régime par points. Par exemple, quelqu’un qui a déjà cotisé pendant 30 ans verra, au moment de la bascule, ses droits convertis en points selon les anciennes règles du régime auquel il appartenait.
La désindexation des pensions est un très mauvais signal envoyé par le gouvernement »
Doit-on craindre, à terme, une baisse du niveau des pensions ?
Même si le gouvernement se défend de vouloir réaliser des économies, force est de constater que l’annonce, pour 2019 et 2020, de la désindexation des pensions par rapport au coût de la vie, est un mauvais signal envoyé ! Globalement, on voit bien que c’est sur les pensions de retraites que s’exercent les plus fortes pressions budgétaires.
Quels vont être les principaux points à traiter lors de la concertation qui devrait se poursuivre jusqu’au printemps 2019, avant une probable loi à l’automne ?
Il y aura notamment la question du régime de cotisation adapté pour les travailleurs indépendants et celle cruciale de la gouvernance et du pilotage du futur régime universel. Le risque d’étatisation est grand, ce qui pose d’ailleurs, bien au-delà du dossier spécifique des retraites, la question de l’avenir du paritarisme de gestion. Les partenaires sociaux ne doivent pas être relégués au simple rang de faire-valoir. Autre enjeu majeur : le sort des réserves accumulées par certains régimes, en particulier l’Agirc-Arrco, soit plusieurs dizaines de milliards d’euros qui sont le fruit des cotisations des salariés.
Qu’en est-il de la fonction publique ?
Si l’on appliquait les règles du privé à la fonction publique, en intégrant les primes dans l’assiette de calcul du montant de la retraite, la pension moyenne des fonctionnaires augmenterait de plus de 2 %. Sauf qu’il existe aujourd’hui de grands écarts au sein des corps des fonctions publiques, certains ayant beaucoup de primes et d’autres moins. Nous comprenons l’inquiétude des fonctionnaires. Pour la CFE-CGC, il faut obtenir l’assurance que la transposition par tel ou tel biais fasse que les agents ne seront pas perdants.
La CFE-CGC défend un système essentiellement contributif où les pensions sont fonction des cotisations versées »
Quelles seront les positions et exigences de la CFE-CGC durant la concertation ?
Cette réforme, dont la CFE-CGC n’était pas demandeuse, ne doit pas être un prétexte pour revoir à la baisse le niveau des pensions, ni constituer un moyen détourné de remettre en cause les statuts existants.
La CFE-CGC défend un système essentiellement contributif, c’est-à-dire que les pensions soient fonction des cotisations versées. Nous ne sommes pas contre une part d’éléments de solidarité pour que des périodes d’interruption d’activité (maternité, chômage, maladie, invalidité) n’impactent pas négativement la pension des personnes concernées. A cet effet, la CFE-CGC défend un financement clarifié, permettant de bien distinguer ce qui relève de la solidarité et ce qui résulte des cotisations.
Sur les droits familiaux, la CFE-CGC estime qu’il faut avant tout neutraliser l’effet de l’interruption et de la réduction d’activité due aux enfants sur la constitution de droits à la retraite. Actuellement, une personne avec un enfant a droit de valider 8 trimestres. Dans le nouveau système par points, nous préconisons de faire valider des points comme si cette personne avait continué à travailler, sur la base de son salaire antérieur.
Les régimes complémentaires Agirc (cadres) et Arrco (salariés du privé) vont fusionner au 1er janvier 2019 en un seul régime. Quels sont les changements induits pour les populations de l’encadrement ?
S’agissant des retraités et des pensions, la fusion ne change strictement rien puisqu’il y a une conversion des points Agirc avec une formule garantissant une stricte équivalence des droits. Pour les salariés, il y aura parfois des augmentations de cotisation, ce qui était prévu. A noter : pour les cadres en-dessous du plafond de la Sécurité sociale (3 311 euros bruts mensuels soit environ 25 % de la population cadres), il y avait jusqu’ici un forfait obligatoire de cotisation (GMP) qui procurait 120 points Agirc par an. Ce forfait va disparaître. Pour les salariés concernés, il y aura une hausse de salaire net mais ils n’acquerront plus ces 120 points.
Propos recueillis par Mathieu Bahuet