Pénurie d’essence, partage de la valeur, salaires, actionnaires : Dominique Convert, coordinateur CFE-CGC chez TotalEnergies, fait le point sur les sujets inflammables.
La direction de TotalEnergies affirme que les collaborateurs doivent être prioritaires dans le partage de la valeur. Que dites-vous de cette belle intention ?
Que ce discours ne correspond pas à la politique salariale de la maison. Notre PDG, Patrick Pouyanné, doit estimer, sans le dire ouvertement, que ses salariés sont trop payés comparativement aux autres sociétés du CAC 40. Depuis plusieurs années, il a changé la politique salariale en limitant les augmentations de salaire alors qu’il y a une très forte attente des salariés. C’est même un euphémisme de dire « très forte » si j’en crois le retour de nos adhérents et des salariés. Les quelques 35 000 salariés de TotalEnergies en France (filiales comprises), qui participent quotidiennement aux activités et aux résultats de la Compagnie, espèrent et attendent des augmentations de salaires. D’autant plus vu les résultats exceptionnels de l’entreprise depuis 2020.
Comprenez-vous que TotalEnergies soit montrée du doigt comme le mauvais élève de la répartition de la valeur ?
Je ne suis pas étonné de cette opinion du corps social étant donné que les décisions de distribution de dividende anticipé et de rachat d’actions se font essentiellement au profit des actionnaires. Que dire par ailleurs de la communication récente sur une antenne nationale, où on a entendu comparer les 9 milliards d’euros de salaires payés en 2021 avec les 8,5 milliards d’euros de dividendes versés aux actionnaires ? Mettre sur un pied d’égalité du salaire qui vient récompenser un travail avec des sommes qui sont de la nature d’une rente, n’est-ce pas démagogique ? Sans compter les 7 milliards alloués cette année au rachat d’actions afin de les détruire.
Quel est l’état des négociations salariales dans l’entreprise ?
Les quelque 15 000 salariés français du socle social commun de TotalEnergies, c’est-à-dire ceux du « cœur Pétrole », ont bénéficié, certes, d’une augmentation de salaire dite moyenne de +3,5 % en 2022. Mais elle correspondait au rattrapage de l’inflation de +2,8 % enregistrée en 2021 en incluant les promotions internes et l’ancienneté. Une majorité des salariés a touché moins de 3,5 % voire, pour certains, une augmentation de salaire inférieure à l’inflation. Auparavant, la négociation se faisait vis-à-vis de l’inflation prévisionnelle. Il y a 4 ans, la direction a changé la donne en se calant sur l’inflation passée, obligeant les salariés à faire crédit à l’entreprise dans l’attente de la correction issue de la négociation à venir.
Quels sont les prochains rendez-vous ?
Les prochaines négociations de salaires étaient initialement programmées les 7 et 15 novembre 2022. La CGT et d’autres organisations syndicales veulent les avancer, la direction répond qu’elle ne l’acceptera que si le travail reprend. De notre côté, même si nous sommes conscients que nous devons trouver très rapidement une issue favorable au conflit, nous ne voyons pas quel est l’intérêt d’avancer cette négociation alors que la direction a clairement exprimé que les augmentations de salaires ne s’appliqueraient pas avant 2023. De plus, plus la négociation se déroulerait en amont, moins nous aurions une bonne visibilité de l’inflation réelle pour 2022 censée être compensée.
Comment la CFE-CGC se positionne-t-elle dans le conflit qui oppose la direction et les grévistes des raffineries et des dépôts de carburant ?
Je pense qu’il faut surtout mettre en avant les positions que nous défendons. Au titre de la coordination CFE-CGC, nous avons publié deux communications sur le réseau interne de l’entreprise. La première, postée mercredi 5 octobre, s’intitulait : « Où est passé le supplément d’intéressement de l’exercice 2021 ? » Le texte rappelait qu’en 2018, le Groupe a fait 13,5 milliards de dollars de bénéfice et a versé un supplément d’intéressement de 1 500 euros à chaque salarié. En 2021, alors que le bénéfice a atteint 18 milliards, aucun supplément d’intéressement n’a été versé à ce jour. Et nous posions la question : « La direction garderait elle cette prime sous le coude en prévision de la prochaine négociation sur les salaires ? »
Et la deuxième communication ?
Elle a été postée lundi 10 octobre et relayée sur Twitter, LinkedIn et sur le site internet de la CFE-CGC TotalEnergies. Elle rappelait quelques vérités : « Face à la forte inflation du début d’année, dès le mois de mars, la CFE-CGC a demandé à la direction une réunion de revoyure post-négociations salaires. Notre demande est restée sans réponse. (…) La CFE-CGC a constamment interpellé la direction sur la nécessité de mieux partager les richesses de la Compagnie. (…) Depuis des années, la CFE-CGC sent le mécontentement monter au sein des équipes. La charge de travail augmente et la reconnaissance de l’implication des salariés n’est pas au rendez-vous… »
Pourquoi avoir tiré sur ce ressort ?
Parce que cela fait plusieurs fois que nous alertons la direction générale sur le fait que la grogne monte, qu’elle chouchoute les actionnaires, que les salariés, qui enchaînent les réorganisations à un rythme soutenu et dont la charge de travail augmente, ne voient rien venir comme rétribution ni reconnaissance salariale. Nous l’avons dit et redit à Patrick Pouyanné, mais il ne semble pas l’entendre. Comment ne pas faire l’amalgame avec le gouvernement actuel : partant pour la concertation, mais fermé à la négociation. On veut bien nous écouter mais tout semble décidé à l’avance.
Propos recueillis par Gilles Lockhart