Vers le milieu des années 50, le chômage des cadres, jusqu’alors marginal, prend une ampleur croissante. Les bureaux de placement publics sont très peu nombreux et leur fonctionnement encore rudimentaire. En 1954, une première association est créée avec pour objectif de récupérer les offres non pourvues par les associations d’anciens élèves des écoles d’ingénieurs. Ces dernières se montrent très réticentes à partager leur mission. Une association équivalente est aussi créée pour le monde agricole : l’Association pour l’emploi des cadres, des ingénieurs et techniciens de l’agriculture (APECITA). Cependant, le fonctionnement de l’association de placement à partir de fonds privés s’avère impossible. Entre 1958 et 1966, le nouvel enjeu est donc la recherche de financements pour stabiliser l’activité de placement des cadres au niveau national.
LA CGC À L’ORIGINE DE LA CRÉATION DE L’APEC
La Confédération générale des cadres (CGC), qui deviendra la CFE-CGC en 1981, prend l’initiative et propose, en mars 1966, de créer, au niveau national, une institution de placement de forme paritaire et dotée de financements significatifs. Cet organisme, comprenant les représentants des employeurs et des salariés, serait à même d’étudier, de prévenir et de réaliser le placement voire la reconversion des cadres. La CGC transmet au CNPF (l’ancien nom du MEDEF) un projet doté d’une cotisation obligatoire salarié cadre/employeur. Le projet est validé et soumis aux autres organisations syndicales de cadres. La convention nationale interprofessionnelle est signée le 18 novembre 1966. L’APEC est née !
En 1967, l’État crée l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE), regroupant au niveau national les bureaux de placements locaux ou professionnels avec un pilotage public. L’APEC et l’ANPE, devenue Pôle Emploi en 2008 suite à sa fusion avec les Assédic, collaborent depuis, chacune dans son domaine de compétences, avec des passerelles et des complémentarités. De son côté, l’APECITA, sous une gouvernance paritaire depuis 1981 et financée par une cotisation équivalente à celle de l’APEC, intervient toujours spécifiquement sur le marché de l’emploi du personnel d’encadrement du monde agricole.
UNE INSTANCE PARITAIRE ET UN OUTIL DE PERFORMANCE AU SERVICE DES CADRES ET DES ENTREPRISES
Depuis 50 ans, l’Apec, s’appuyant sur une gouvernance paritaire (syndicats de salariés et d’employeurs) et sur le professionnalisme de ses salariés, a su s’adapter aux nombreuses évolutions du marché de l’emploi pour répondre aux besoins des salariés et des entreprises, conseillant gratuitement les jeunes diplômés de l’enseignement supérieur et les cadres tout au long de leur carrière. Avec ses 900 salariés et ses 47 centres sur le territoire national, l’Apec intervient auprès de 40 0000 entreprises clientes - TPE/PME et grands groupes - sur l’optimisation du recrutement, la rédaction d’offres d’emploi (60 000 offres quotidiennes sur le site www.apec.fr) et la gestion des compétences internes des collaborateurs.
En parallèle de ses missions de conseil (180 000 prestations par an), l’APEC étudie les grandes évolutions et tendances du marché de l’emploi via son Observatoire de l’emploi cadre. Chaque année, sont publiées gratuitement les prévisions de recrutement annoncées par les entreprises, au niveau national et par région. L’Apec réalise régulièrement des enquêtes sur les salaires (embauche, évolution de la rémunération et des fonctions cadres) et met à disposition une typologie des référentiels métiers. Enfin, l’APEC s’intéresse aux problématiques d’insertion des jeunes diplômés et de mobilité professionnelle des cadres, publiant des études thématiques poussées.
Forte de son expertise sur les aspirations professionnelles des cadres et les besoins de recrutement des entreprises, l’APEC s’est imposée comme un acteur incontournable du marché de l’emploi, incarnant une référence dans la réflexion autour des compétences attendues des cadres de demain. À ce titre, soulignons que la CFE-CGC, dans le cadre de la loi 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, a réussi à faire reconnaître l’Apec comme un des acteurs nationaux légalement habilités à assurer le Conseil en évolution professionnelle (CEP), dispositif charnière permettant au salarié d’être acteur des évolutions de son parcours professionnel. Pour la petite histoire, le CEP est la généralisation d’une prestation pratiquée par l’APEC depuis plusieurs années.
UN MODÈLE RÉINVENTÉ EN 2011
Sous la présidence alternée de la CFE-CGC et du patronat depuis 1966, les partenaires sociaux gestionnaires de l’APEC sont parvenus à réinventer son modèle en 2011 quand des acteurs privés du recrutement et de l’accompagnement se sont plaints d’une concurrence déloyale (pour rappel : les activités de recrutement, de reconversion et de placement des demandeurs d’emploi sont un marché concurrentiel dans le périmètre de l’Union européenne), arguant que l’APEC vivait d’une « rente » liée à la cotisation obligatoire des salariés cadres et de leurs employeurs. Comment survivre dans un tel contexte concurrentiel tout en poursuivant l’esprit de mutualisation et de solidarité qu’assure la cotisation obligatoire ? La question de l’avenir du modèle de l’APEC s’est alors clairement posée.
Sous l’impulsion de la CFE-CGC, aussi déterminée qu’en 1966 à trouver la solution adaptée, l’ensemble des organisations syndicales représentatives et leurs homologues patronales ont réaffirmé leur volonté commune de répondre, de façon paritaire, aux besoins d’études et d’actions pour le placement, le reclassement et la sécurisation des parcours professionnels. A l’été 2011, les partenaires sociaux signent un nouvel accord national interprofessionnel (ANI) et un mandat de service public avec le ministère du Travail concernant les missions - conseils, collectes d’offres d’emploi, études de l’emploi des cadres - pouvant être financées par la cotisation obligatoire. L’APEC conforte ainsi ses missions en intégrant le service public de l’emploi. Le mandat est renouvelable tous les 5 ans avec un suivi d’exécution chaque année.
Le dernier mandat a été signé à l’occasion du 50e anniversaire de l’APEC, organisé en décembre 2016 au Conseil économique, social et environnemental (CESE). La réunion de suivi APEC/État, en juin dernier, a confirmé le respect des objectifs et la qualité des prestations délivrées sur la période 2017-2019. La gestion paritaire exemplaire de l’Apec a également été saluée par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et la Cour des comptes.
SÉCURISER ET PÉRENNISER LES PARCOURS PROFESSIONNELS DU PERSONNEL D’ENCADREMENT : LES NOUVEAUX DÉFIS DE L’APEC
Depuis sa création, l’Apec participe au modèle social français. Elle doit son succès à trois principaux atouts :
- sa capacité à sécuriser les parcours professionnels et l’élévation des qualifications ;
- la solidité de son modèle de gestion paritaire qui permet de définir et de mettre en œuvre une orientation partagée ;
- la qualité du travail, le sens de l’écoute et du service de ses personnels qui ont conseillé des générations successives de cadres.
Ces atouts seront utiles pour gérer les impacts occasionnés par deux modifications juridiques importantes. La première est issue de la fin, depuis le 1er janvier 2019, du régime complémentaire de retraite AGIRC dont les cotisants de droit étaient également ceux cotisants à l’APEC. Le sujet est actuellement discuté dans le cadre de la négociation nationale interprofessionnelle menée entre partenaires sociaux sur la définition de l’encadrement. La seconde découle des Ordonnances Macron de 2017 qui privilégient l’accord collectif d’entreprise pour traiter des questions d’emploi, un accord de niveau supérieur ne s’imposant qu’en l’absence d’accord d’entreprise.
L’objet de l’APEC concernant l’emploi, la force d’un accord national interprofessionnel fixant une cotisation obligatoire est affaiblie car un accord collectif d’entreprise peut décider de s’en affranchir. Cette situation menace les ressources financières de l’APEC et les destinataires de ses missions. Par ailleurs, la pertinence d’une gouvernance paritaire est remise en cause par le gouvernement et certains acteurs comme le MEDEF qui semble vouloir prendre ses distances avec ce type de modèle.
Autre incertitude : le calendrier interne à l’Apec, un changement de présidence devant intervenir en décembre pour la succession, par un représentant des organisations syndicales, de Patrick Caré (ex-Medef), élu en 2017. Un nouveau directeur général doit également être nommé, début 2020. L’Apec vit donc une période de transition et certains pourraient profiter de ce contexte agité pour promouvoir un rapprochement très étroit avec Pôle emploi, jusqu’à une éventuelle absorption… Un scénario inacceptable pour la CFE-CGC, qui fait valoir qu’une fusion avec Pôle Emploi dégraderait les services rendus par l’Apec, faute d’un financement dédié et d’indépendance vis-à-vis de l’État.
LA CFE-CGC À LA MANŒUVRE
Dans la négociation décisive en cours sur l’encadrement, la CFE-CGC s’implique donc activement pour maintenir la pression sur le patronat (et le gouvernement) afin de sécuriser les bénéficiaires cotisants et la cotisation obligatoire APEC, et de défendre au mieux les savoir-faire reconnus de l’instance. La bataille pour la sécurisation des parcours professionnels du personnel d’encadrement continue !
Laurence Matthys (avec Mathieu Bahuet)
A lire aussi :
- Le dossier sur l'APEC paru dans Le Magazine CFE-CGC n°6 (septembre 2019)
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Publié le 12 - 11 - 2019
La CFE-CGC, l’APEC et les vertus du paritarisme
Fondée en 1966 sous l’impulsion de la CGC, l’Association pour l’emploi des cadres, forte de son modèle paritaire et devenue l’acteur de référence du marché de l’emploi des cadres, doit faire face à de nouveux défis.