Six ans après l’accord de Paris (COP 21), qu’en est-il de l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C ?
Le climat est certes un combat de longue haleine mais pour tenir les objectifs annoncés en 2015, il faudrait absolument mettre en œuvre tous les engagements de baisse des émissions de CO2, bien loin des trajectoires actuelles avec un fort rebond attendu pour l’année 2021. Les promesses faites en Écosse ne s’accompagnent en effet que de mécanismes très imparfaits pour astreindre les pays à les respecter, écornant ainsi la crédibilité des annonces qui ont été faites.
Deuxième organisation syndicale des Industries électriques et gazières (IEG), la Fédération CFE-CGC Énergies a défendu en Écosse un modèle de transition bas carbone juste. Quels en sont les leviers ?
La CFE-CGC Énergies était présente à Glasgow aux côtés de la société civile et du mouvement syndical international pour mettre la pression sur les dirigeants politiques et rappeler l’impératif d’une transition climatiquement efficace, soutenable économiquement et juste pour les salariés. Ces objectifs exigent une véritable coordination avec le monde du travail et les partenaires sociaux, d’où la nécessité de l’action syndicale. En ce sens, la CFE-CGC Énergies s’est associée à la mobilisation des fédérations syndicales européennes EPSU et IndustriAll, auxquelles elle adhère depuis de nombreuses années, comme les fédérations CFE-CGC de la Métallurgie et de la Chimie. À titre d’illustration, la CFE-CGC Énergies s’est pleinement associée à une tribune syndicale mondiale, diffusée lors de la COP 26 et regroupant des syndicats européens et anglo-saxons, pour rappeler le rôle essentiel de l’industrie nucléaire et de l’engagement de ses nombreux salariés dans le combat climatique. Défendre en même temps emplois industriels et l’engagement climatique, c’est là le sens de notre action syndicale !
Au-delà de la prise en compte des enjeux sociaux du défi climatique, il est grand temps de mettre fin à l’hypocrisie politique en matière climatique et de décider de mesures qui garantissent vraiment que tous les pays prennent leur juste part dans l’action climatique, y compris la Chine dont le rôle fut plus qu’ambigu durant la COP 26.
Et au niveau européen ?
Face aux insuffisances du paquet climat européen « Fit for 55 » (« Paré pour 55 ») et de ses 12 propositions législatives pour accélérer la lutte contre le changement climatique, la CFE-CGC Énergies défend en particulier :
- une réforme ambitieuse mais équilibrée du marché européen du carbone avec un système de permis d’émissions négociables dit ETS (Emissions Trading Scheme) qui concilie décarbonation et défense de l’industrie européenne ;
- la mise en place d’un véritable mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Europe qui évite les fuites carbone à travers les délocalisations industrielles ;
- une stratégie hydrogène européenne qui sorte de la sémantique verte et importatrice pour être davantage bas carbone et souveraine en s’appuyant sur les atouts industriels de l’Europe.
Donner du corps industriel et social à l’ambition climatique de l’Europe doit, de notre point de vue, être un des principaux enjeux de la présidence française de l’Union européenne (UE) qui s’est ouverte au 1er janvier 2022.
Précisément, quelles demandes formule la CFE-CGC Énergies au gouvernement français ?
Convaincus qu’il ne peut y avoir d’ambition climatique du Green Deal sans ambition sociale, nous demandons à l’exécutif de défendre un fonds social climatique plus ambitieux que celui aujourd’hui proposé par la Commission européenne qui doit cesser de croire que le marché et sa main invisible vont à lui seul sauver le climat. Pire : il n’y aura pas de transition bas carbone juste sans de réels moyens d’action, au-delà des annonces générales et sans lendemain quant à l’avenir des salariés. Cela suppose un réel engagement politique en matière d’emplois et de transitions professionnelles qui sont aujourd’hui les angles morts de l’action politique et du dialogue social en Europe !
Comment sensibiliser et impliquer davantage les salariés à tous ces enjeux ?
C’est parce qu’elle empruntera une voie scientifiquement et techniquement rationnelle, loin des idéologies politiques, que la transition bas carbone sera comprise des salariés, en particulier ceux de l‘encadrement, et qu’elle saura susciter leur adhésion. La mobilisation des salariés est essentielle face à l’urgence à décarboner vite et fort. Cette transition sera d’autant plus soutenue par les salariés qu’elle sera perçue comme objective et pragmatique en n’ignorant aucune des solutions décarbonées pertinentes, loin de l’idéologie qui caractérise certains acteurs.
Il faut bien comprendre que la transition énergétique impliquera des mutations d’une ampleur et d’un rythme inégalés. Une transition socialement juste requiert l’anticipation et la gestion du changement ainsi qu’un dialogue social de qualité pour ne laisser aucun salarié sur le bord de la route : droits pour garantir les transitions professionnelles, planification à long terme des emplois et des compétences, développement de la formation, etc. Le rôle des syndicats est donc essentiel.
Quel regard portez-vous sur la flambée actuelle des prix de l’énergie ?
La crise des prix de l’énergie s’avère bien plus structurelle et durable que certains dirigeants veulent bien l’admettre. La primauté du marché, de la concurrence et du court-terme conduit l’Union européenne à être soumise à la volatilité des prix mondiaux du gaz et à accroître sa dépendance au gaz russe, mettant toute l’industrie européenne sous la pression de la flambée des prix, y compris de l’électricité puisqu’un développement idéologique des énergies renouvelables a conduit les prix de l’électricité à suivre de manière excessive ceux du gaz.
Il est donc grand temps de sortir des postures idéologiques qui ont présidé depuis près de 25 ans à construire l’Europe de l’énergie sur les seuls credo libéral et vert, et de revenir au pragmatisme, et donc à la planification, à l’intervention publique et à une régulation forte. Pour la CFE-CGC Énergies, ce n’est en aucun cas la main invisible du marché, ni celle de la concurrence pure, libre et non faussée, qui doivent guider la transition bas carbone, sauf à l’amener dans le mur de l’injustice sociale et de l’inefficacité climatique.
Propos recueillis par Mathieu Bahuet