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Publié le 28 - 12 - 2022

    Les invalides, victimes collatérales de la réforme des retraites ?

    Un recul de l’âge légal de départ à la retraite entraînerait une perte à gagner pour les personnes en invalidité, et aurait un impact non négligeable en matière de prévoyance.

    L’hypothèse d’un report de l’âge légal de départ à la retraite reste l’issue la plus probable du semblant de concertation engagé par le gouvernement avec les partenaires sociaux. Et pourtant, les nombreux effets délétères collatéraux d’une telle mesure n’ont pas du tout été abordés, encore moins traités. Nous mettons ci-dessous en lumière les impacts potentiels à déplorer sur l’invalidité.

    UN MANQUE À GAGNER FINANCIER POUR LES INVALIDES

    Les personnes reconnues en invalidité voient leur capacité de travail et de gain réduite d'au moins 2/3 à la suite d'un accident ou d'une maladie d'origine non professionnelle. C’est pourquoi elles peuvent prétendre à une pension d’invalidité de la Sécurité sociale visant à compenser la perte de salaire, mais qui ne suffit pas à neutraliser l’impact financier de leur cessation d’activité. La chute de niveau de vie est d’autant plus grande que le salaire précédant l’invalidité est élevé, du fait de la prise en compte d’un salaire plafonné lors du calcul de la prestation versée par la Sécurité sociale.

    Les couvertures complémentaires, le plus souvent prévues au niveau de l’entreprise, accordent également des prestations en cas d’invalidité. Le niveau des rentes dépend de la façon dont le risque est couvert dans le contrat de prévoyance souscrit auprès de l’organisme assureur. Ces pensions et rentes d’invalidité sont versées jusqu’à l’âge légal de départ à la retraite.

    Quelle est la problématique ? Le recul de cette borne n’est évidemment pas neutre. Il prolonge la période de versement de ces prestations mais recule d’autant l’horizon de perception de la pension de retraite. Pour savoir si cette évolution serait favorable aux invalides, il convient de comparer les niveaux moyens de prestations perçues par les invalides avant et pendant la retraite.

    • Selon une étude de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES), la pension d’invalidité moyenne mensuelle versée par la Sécurité sociale s’élève à 840 euros pour un invalide catégorie 2 (incapable de travailler). La rente complémentaire moyenne du régime de prévoyance s’élève quant à elle à 580 euros (source : Centre technique des institutions de prévoyance ; CTIP). Soit, au total, 1 420 euros par mois.
    • La pension de retraite des personnes invalides se voit appliquer un mode de calcul avantageux : un accès au taux plein, indépendamment de leur durée d’assurance. La pension moyenne s’élève à 1 753 euros (pour les assurés partis à la retraite en 2019 ; source : étude de la CNAV).

    Ainsi, les personnes en invalidité apparaissent comme perdantes dans le cadre d’un recul de l’âge légal de départ à la retraite, avec un manque à gagner de 330 euros par mois à déplorer soit près de 4 000 euros par année supplémentaire passée en invalidité avant l’ouverture des droits à la retraite.

    DÉSHABILLER LA BRANCHE MALADIE POUR HABILLER LA BRANCHE RETRAITE

    Le recul de l’âge d’ouverture des droits à pension, y compris des invalides, allègerait automatiquement les dépenses des régimes de retraite. Mais dans le même temps, les dépenses pèseraient un peu plus lourd sur les comptes de la branche maladie qui devrait financer le prolongement du versement des pensions d’invalidité.

    Au-delà de cet effet stock, un effet flux semble inévitable, le recours à une pension d’invalidité étant croissant avec l’âge. En effet, dès l’âge de 45 ans, et de manière plus prononcée à 55 ans, les cas d’invalidité se multiplient pour atteindre un pic chez les personnes de 61 ans dont 9 % sont en invalidité.

    Selon une étude de la DREES (Note DREES-BRET n°21-43 ; janvier 2022), consistant à simuler un relèvement de l’âge légal de 62 à 64 ans, les dépenses de pension d’invalidité auraient augmenté de l’ordre de 1 800 millions d’euros en 2019 du fait de l’augmentation du nombre de salariés invalides (+160 000 personnes).

    Le gain financier recherché par le décalage de l’âge légal serait ainsi en partie contrebalancé par des dépenses supplémentaires, notamment sur la branche maladie.

    ET L’ENSEMBLE DES ASSURÉS DEVRAIENT METTRE LA MAIN À LA POCHE !

    Un report de l’âge légal de départ à la retraite aurait également un impact non négligeable en matière de prévoyance, tant sur la capacité à honorer des garanties en cours que sur la prise en charge de nouveaux bénéficiaires.

    D’une part, les cotisations pour le risque prévoyance ayant été calculées sur la base de l’âge légal actuellement en vigueur, le versement des rentes pendant trois ans de plus pour les actuels bénéficiaires appellerait à financer un surcoût non provisionné. D’autre part, le report de l’âge légal aurait pour conséquence une prise en charge de nouvelles rentes d’invalidité. Qui plus est, leurs montants seraient d’autant plus élevés que la carrière est ascendante (alors que la Sécurité sociale intervient dans la limite d’un salaire plafonné).

    Pour la CFE-CGC, la question est donc de savoir qui va payer. Cette position est confortée par les premières analyses du CTIP et de certains organismes complémentaires qui ont alerté sur les répercussions d’une telle mesure. La conséquence est inéluctable :  le coût serait, in fine, répercuté sur les assurés via des hausses de cotisations.

    Pour la CFE-CGC, il convient de se préoccuper de la protection sociale des Français dans son ensemble pour éviter la mise à mal de notre modèle et préserver les potentielles victimes collatérales de réformes précipitées et inutiles.

    Leslie Robillard