Sur un marché des matières premières en tension, la hausse des prix des matières premières agricoles, notamment le blé, menace l’équilibre alimentaire planétaire.
CÉRÉALES : UNE FLAMBÉE DES PRIX PRÉOCCUPANTE
La hausse des prix des denrées alimentaires trouve principalement son origine dans l’explosion du prix des céréales. Blé, orge, maïs, riz, soja : les principaux cours mondiaux sont en hausse. Pour le blé, les prix ont progressé en un an de plus de 120 % ! Il s’échange désormais à l’Euronext à plus de 392,28 euros la tonne après avoir atteint son record absolu le 16 mai dernier à 438,25 euros la tonne. Cette flambée des prix des céréales alimente une inflation dangereuse des denrées alimentaires qui risque rapidement de provoquer une crise alimentaire mondiale.
UN DÉSÉQUILIBRE ENTRE L’OFFRE ET LA DEMANDE
Les tensions sur le marché du blé s’expliquent notamment par une réduction de l’offre mondiale et par l’augmentation croissante des besoins. Ce déséquilibre entre l’offre et la demande crée mécaniquement un phénomène de hausse des prix qui touche l’ensemble des denrées alimentaires. Les difficultés de la production de blé sont principalement liées aux conditions météorologiques et au conflit en Ukraine. Plusieurs pays producteurs ont rencontré cette année des difficultés liées à la météo. Aux Etats-Unis, en France et en Inde, la sécheresse a réduit le rendement des exploitations agricoles, limitant la production mondiale de blé. En Inde, qui n'a produit que 95 millions de tonnes de blé en 2021 (contre plus de 115 millions d’ordinaire), les autorités ont même mis en place un embargo sur les exportations afin d’assurer la sécurité alimentaire domestique.
LE CONFLIT EN UKRAINE PÈSE LOURD
Parallèlement à ces difficultés météorologiques, s’ajoutent les conséquences du conflit entre l’Ukraine et la Russie, deux pays qui représentent plus du 1/3 des flux mondiaux de blé. L’invasion russe a fortement perturbé le cycle du blé en Ukraine dont les principaux champs cultivables se trouvent à l’Est. Par ailleurs, la présence militaire russe au sein du port d’Odessa et en mer Noire bloquent l’acheminement maritime du blé (et du tournesol), et donc ses exportations. Selon Kiev, 20 à 25 millions de tonnes de céréales sont bloquées, un volume qui pourrait tripler d'ici l'automne.
Premier exportateur mondial, la Russie connait également des difficultés à l’exportation même si elle arrive à écouler la majorité de son stock. Le pays pourrait toutefois profiter de sa position dominante pour actionner ce moyen de pression et stopper à tout moment ses exportations de blé. Au regard du niveau des stocks (il y aurait seulement 10 semaines de réserves de blé dans le monde), il en résulterait une grave pénurie planétaire…
RISQUES DE FAMINES : L’ONU TIRE LA SONNETTE D’ALARME
Concernant la demande, la hausse démographique et les besoins accrus en blé entretiennent un niveau structurellement élevé pour cette céréale (qui sert aussi à nourrir les animaux afin d’alimenter la demande croissante en viande dans les pays en développement et les pays asiatiques). C’est le cas par exemple de la Chine qui, malgré son statut de gros producteur, est un importateur net en blé.
Par ailleurs, l’envolée des prix du blé impacte la soutenabilité financière des pays en développement. Fortement dépendants du blé d’un point de vue alimentaire, ceux-ci risquent de ne plus pouvoir honorer leur paiement et donc s’approvisionner convenablement en blé. Ce phénomène provoquerait de graves conséquences en termes alimentaires et dans le pire des cas des émeutes de la faim. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a alerté récemment sur ce sujet en évoquant des « risques de famines au sein de certains pays africains et asiatiques ».
COMMENT RÉAGIT L’UNION EUROPÉENNE ?
L’Union européenne (UE) compte parmi ses membres des pays (France, Allemagne, Pologne) qui peuvent assurer les besoins du continent en blé, écartant a priori la menace d’une pénurie. Mais plus globalement, c’est toute la question de l’autonomie alimentaire qui se pose, tant pour la diversité des cultures (orge, maïs, colza, tournesol) que pour la production d’engrais. Pour la plupart de ces produits, l’UE reste dépendante de l’Ukraine et de la Russie. Au niveau agricole, l’UE cherche donc à renforcer sa souveraineté alimentaire pour se prémunir d’éventuelles mesures restrictives russes, et ainsi ne pas reproduire la même situation de dépendance qu’avec le gaz.
Dans ce contexte, Ursula Van Der Leyen, présidente de la Commission européenne, a réaffirmé la stratégie de l’UE qui consiste à ne pas réduire ses exportations afin de pas aggraver la situation des chaînes d’approvisionnement mondiales. En outre, s’est ouvert un débat pour repousser temporairement à un an les mesures applicables dans le cadre du Pacte vert, notamment celles qui prévoient d’imposer un renouvellement annuel des cultures au sein des exploitations agricoles européennes. Instaurée dans le cadre de la nouvelle PAC (Politique agricole commune), cette nouvelle règle devant entrer en vigueur en 2023 a pour but d’encourager les rotations des cultures afin de mieux gérer les parasites et de protéger davantage les sols. Mais face à l’urgence de la situation, certains pays estiment qu’il est préférable de ne pas creuser davantage le déficit de production et de garantir le plus possible des rendements agricoles élevés.
Enfin, Bruxelles a annoncé la mise en place d’itinéraires logistiques alternatifs pour garantir l’accès au marché des céréales produites en Ukraine. Et projette d’aider les pays les plus vulnérables du bassin méditerranéen avec une aide financière qui pourrait s’élever à 225 millions d’euros.
Louis Delbos