Dans un contexte persistant de crise sanitaire et alors que les entreprises sont incitées à recourir au télétravail, comment l’encadrer ?
Nous avons nous-mêmes conduit des enquêtes pour avoir des informations de terrain avec nos sections syndicales et nos unions territoriales. Ce qui en ressort, c’est une courbe de Gauss avec environ 15 % de salariés qui n’apprécient pas le télétravail, la même proportion - dont ceux qui l’ont testé pour la première fois durant le confinement - qui souhaitent en faire plus, et une majorité qui a du mal à se déterminer ou à se projeter durablement par rapport au dispositif. Pour la CFE-CGC, il faut un cadre national dans lequel pourront s’inscrire les entreprises, par le biais de la négociation.
Sur le sujet et comme demandé par la CFE-CGC, les partenaires sociaux vont ouvrir, le 3 novembre, une négociation nationale interprofessionnelle. Quels sont les enjeux ?
Il convient de distinguer le télétravail classique et le télétravail contraint comme durant la crise sanitaire, qui n’est rien d’autre que de la continuité d’activité à domicile (CAD) dans des conditions souvent dégradées. Si la CAD est prolongée en raison de la crise sanitaire, nous devons parvenir à un accord qui encadre, au niveau national, les conditions dans lesquelles s’exerce ce télétravail contraint. Il faut protéger les salariés avec des garanties collectives portant sur l’organisation du temps de travail, le matériel professionnel adapté, la protection du droit de repos, la régulation de la charge de travail et l’adaptation des objectifs, l’égalité de traitement en termes de rémunération et d’évolution de carrière, etc. C’est la priorité de la prochaine négociation. Le télétravail classique et la façon dont il faudrait, demain, envisager une société dans laquelle le dispositif se développerait fortement, nécessite quant à lui plus de recul pour en mesurer toutes les conséquences sur les collectifs de travail.
« Face à la crise, il faut faire confiance aux acteurs de terrain »
Plan de relance, accords d’activité partielle, futures négociations entre partenaires sociaux sur le télétravail et sur le partage de la valeur… François Hommeril, président de la CFE-CGC, fait le point sur une riche actualité sociale.
Le gouvernement doit abandonner sa mauvaise réforme de l’assurance chômage."
Les partenaires sociaux seront reçus à Matignon le 26 octobre à l’occasion d’une conférence sociale pour évoquer la crise et le suivi des réformes dont l’assurance chômage et la formation professionnelle. Que peut-on en attendre ?
Il y a certaines problématiques que l’exécutif a lui-même créées, à commencer par la réforme de l’assurance chômage. Face à la situation de l’emploi, la CFE-CGC et l’ensemble des organisations syndicales demandent que la mauvaise réforme gouvernementale imposée en juin 2019, reportée jusqu’à fin 2020, soit abandonnée au profit du retour aux dispositions de la convention négociée en 2017 par les partenaires sociaux, qui pourrait ainsi être prorogée d’un an.
Sur la formation professionnelle, il y a en effet tout lieu d’évaluer une réforme gouvernementale dont l’efficacité est plus que contestable. La formation professionnelle est la clé du développement économique. Il faut donner aux entreprises les moyens d’investir dans la formation de leurs salariés. Or nous avons toujours exprimé des doutes sur le renforcement des droits individuels - comme c’est le cas s’agissant du compte personnel de formation (CPF) - qui n’apporte aucune plus-value économique. Ce n’est pas ça qui crée des emplois. Ce qui fait le dynamisme d’une entreprise, c’est la compétence de ses salariés et leurs niveaux de qualification. Il faut en revanche miser à fond sur les dispositifs de transitions professionnelles.
Les partenaires sociaux vont ouvrir une concertation sur le partage de la valeur au sein des entreprises. Quelles sont les priorités de la CFE-CGC ?
Le partage dans toute la chaîne de valeur est un sujet économique fondamental. Les salariés ont trop régulièrement pâti d’une mauvaise répartition, entre toutes les parties prenantes de l’entreprise, de la valeur créée. Plus largement, c’est l’occasion de traiter les sujets clés de la gouvernance d’entreprise, son objet social, sa raison d’être, ses missions et ses objectifs. Avec, au centre des débats, la question cruciale de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). La CFE-CGC fera valoir ses propositions.
Veiller à la traçabilité de l’argent public injecté dans les entreprises pour les soutenir face à la crise."
La CFE-CGC fait partie du comité de suivi du plan de relance économique de 100 milliards d’euros présenté le mois dernier par l’exécutif. Quels sont les principaux points de vigilance ?
La CFE-CGC a mis en avant l’indispensable conditionnalité des aides, c’est-à-dire contraindre, par des dispositifs suffisamment sophistiqués, la traçabilité de l’argent public injecté dans les entreprises pour les soutenir face à la crise. S’il était nécessaire, le chômage partiel mis en place durant le confinement a occasionné des effets d’aubaine et des abus. Il s’agit donc de se prémunir d’une mauvaise utilisation des fonds alloués qui ne serait pas conforme à l’objectif visé. Sans jamais oublier combien les 100 milliards d’euros dévolus au Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) ont été gaspillés, constituant les emplois les plus chers du monde.
Je considère par ailleurs que la prime à l’embauche pour les entreprises (ndlr : jusqu’à 4 000 euros pour les jeunes de moins de 26 ans) ne génère que des effets contre-productifs. Ce n’est pas une prime qui va inciter une entreprise à recruter si elle ne le souhaite pas. Certaines vont par exemple privilégier deux recrutements d’apprentis pour toucher deux fois la prime, et reporter les recrutements en CDI initialement prévus.
Je m’interroge aussi sur le montant des 100 milliards, qui s’apparente à un fantasme du fichier Excel. Le gouvernement fait les choses à l’envers, en fixant au préalable une somme avant de déterminer à qui on va les distribuer, comme on distribue des graines à des poulets. Ce n’est pas ma conception de l’action politique, qui devrait d’abord fixer de réels objectifs de moyen et de long terme avant de mobiliser les moyens d’y parvenir.
Airbus, Bosch ou encore Safran : environ 1 600 accords d’activité partielle de longue durée (APLD) ont été signés dans les entreprises. Plusieurs accords spécifiques de branches (métallurgie, Fédération Syntec…) ont aussi été conclus. Quel regard porte la CFE-CGC sur le dispositif ?
La CFE-CGC soutient ce dispositif qui doit faire l’objet d’une négociation entre partenaires sociaux pour aboutir à un accord. Il faut faire confiance aux acteurs de terrain. Sur le contenu des négociations, il faut notamment veiller à la formation et à l’utilisation du temps disponible pour renforcer les compétences des salariés. La CFE-CGC a mis à disposition de ses militants et de ses sections syndicales bon nombre de ressources pour les informer et les aider à négocier dans les entreprises. Je veux d’ailleurs leur tirer un grand coup de chapeau pour leur implication quotidienne remarquable au service des salariés, dans des conditions souvent très difficiles. C’est parce que ce contexte de crise sollicite fortement les représentants du personnel que les organisations syndicales représentatives ont demandé à l'exécutif une réunion afin de rétablir, à la hauteur des enjeux actuels, les droits de représentation collective des salariés affaiblis par les ordonnances Macron de 2017 (réforme du Code du travail).
La CFE-CGC a lancé sa campagne en faveur des très petites entreprises (TPE), dont les élections professionnelles sont programmées l’an prochain. Quel message la CFE-CGC délivre-t-elle aux salariés ?
La richesse d’un pays, c’est son tissu économique dont les TPE et leurs salariés constituent la base. La crise du coronavirus leur est particulièrement préjudiciable car plus on est petit, plus on souffre. La CFE-CGC est donc fortement mobilisée pour défendre les droits des salariés de l’encadrement dans ces structures.
Propos recueillis par Mathieu Bahuet