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Publié le 25 - 03 - 2021

    En finir avec la gestion par les coûts et préserver nos richesses

    Secrétaire nationale CFE-CGC à l’Économie, Raphaëlle Bertholon analyse les impacts de la crise actuelle et souligne combien la gestion par les coûts nous prive de notre bien le plus cher : notre capacité à créer collectivement de la valeur. Tribune.

    Il y a un an, nous basculions dans une période inédite, mettant à l’arrêt une grande partie de l’économie mondiale, tétanisée par un virus déclencheur d’une crise sanitaire sans précédent. Ce choc de réalité nous renvoyait en pleine face les travers de nos modes de vie et d’échanges, et la matérialisation d’un État devenu plus comptable que protecteur. C’est alors qu’apparaissait le « quoiqu’il en coûte » d’un État cherchant à conjurer ses erreurs passées pour se muer en sauveur de ses concitoyens, victimes sanitaires et économiques. Naissait alors un désir partagé de nous projeter vers « un monde d’après » qui ne pouvait être que meilleur.

    Qu’en est-il un an après ? Force est de constater que les défauts et égarements du monde d’avant semblent reprendre le pas sur l’éphémère prise de conscience collective. Qu’il est loin le temps de mise à l’honneur du personnel soignant, devenu héros du quotidien mais aussi acteur, malgré lui, d’une communication montée en soufflé et retombée aussi vite. Beaucoup s’étaient émus des coupes sombres opérées depuis plusieurs années dans les hôpitaux au nom de la seule gestion par les coûts. La reconnaissance de la compétence de ces femmes et de ces hommes n’aura finalement eu d’espace que le temps de la stupeur engendrée par cette pandémie. Retournés dans l’ombre, les soignants sont redevenus, comme avant la crise, de simples lignes de charges inscrites dans le fichier Excel du directeur d’Hôpital. L’œil rivé sur le suivi budgétaire, la mécanique infernale de gestion par les coûts a repris de plus belle, comme si la poursuite de la saignée dans les effectifs était le remède miracle qui allait redonner sa santé à l’hôpital !

    PRÉSERVER NOTRE AUTONOMIE ET GARANTIR NOTRE SOUVERAINETÉ DANS DES DOMAINES STRATÉGIQUES

    Qu’elle est loin la prise de conscience collective de la nécessité de préserver notre autonomie et de garantir notre souveraineté dans des domaines stratégiques. Désormais, ce sont des fonctions régaliennes de l’État qui sont en cours de délégation à des acteurs privés, et ce dans des domaines aussi stratégiques que la monnaie ou la sécurité. La restructuration en cours de la filière fiduciaire de la Banque de France ne prévoit pas moins qu’un énorme coup d’accélérateur à l’externalisation du recyclage des billets à deux multinationales du secteur. Dans le plus grand silence, se précise ainsi la fin d’une activité régalienne, en occultant les risques générés sur la sécurité.

    Dans le domaine de la sécurité des données, BPIfrance, chargée de gérer les prêts garantis par l’État (PGE), a retenu Amazon Web Services pour les stocker. Un choix qu’aucune banque privée n’aurait fait, trop consciente de la valeur économique que représente ces données et du risque d’exposition au Cloud Act (autorisant potentiellement l’accès aux instances judiciaires américaines). Cet abandon des fonctions régaliennes de l’État répond à des logiques de réduction des coûts ou de colmatage d’un manque d’anticipation et de gestion dans l’urgence, au mépris de l’information des concitoyens pourtant concernés par les incidences de ces décisions.

    Qu’il est donc loin le « quoiqu’il en coûte ». L’heure des comptes a sonné ! Bercy, qui relaie sur son site l’attribution du prix du meilleur ouvrage de management 2020 au livre « En finir avec le New Public Management », va pourtant appliquer ce procédé.  Il vient en effet de confier à Accenture et McKinsey le soin de réaliser un plan d’économies d’un milliard d’euros dans les services de l’État et des établissements publics. Le danger de cette méthode, transposée de celle qui a accéléré notre désindustrialisation, est qu’elle cache les risques qu’elle engendre avec, in fine, des coûts plus importants, comme les risques psychosociaux. Son caractère réducteur ignore la création de dynamique positive, pourtant possible en actionnant des leviers tel le fléchage accru de la commande publique vers nos PME françaises (permis par Bruxelles), source de nouveaux revenus pour nos entreprises et de recettes supplémentaires pour l’État à terme.

    SORTIR DE L’UNIQUE PRISME FINANCIER ET DE SA LOGIQUE AUSSI COURT-TERMISTE QUE MORTIFÈRE

    Toutes ces illustrations démontrent la nécessité de changer notre modèle de société. Il convient de sortir de l’unique prisme financier et de sa logique aussi court-termiste que mortifère pour considérer le capital immatériel et prendre en compte la vraie richesse de l’entreprise et de son écosystème. À force d’ignorer la compétence apportée par les femmes et les hommes dans nos entreprises et administrations, la gestion par les coûts finit par nous priver de notre bien le plus cher : notre capacité à créer collectivement de la valeur.

    L’arrivée du vaccin témoigne ainsi du contraste saisissant entre ceux qui se sont fourvoyés dans la logique de réduction des coûts, et ceux qui, à l’inverse, ont fait le pari d’investir dans le savoir d’hommes et de femmes devenus aujourd’hui sauveurs de l’humanité. Ce changement de modèle qu’appelle la CFE-CGC ne peut s’effectuer sans prioriser nos valeurs et élargir notre regard sur l’économie. Créer un compartiment au sein de la comptabilité publique, qui placerait « en dehors des lois du marché », les dépenses afférentes à la santé et à la transition écologique - à savoir ce que nous possédons de plus précieux - est une première étape. Encourager le développement d’une comptabilité extra-financière dans nos entreprises, dans la lignée des travaux européens en cours, en est une deuxième. Celle-ci est essentielle car elle conditionne la survie de nos entreprises qui, à défaut de se focaliser sur la seule rentabilité, se trouveront prises au piège d’une réalisation de risques qu’elles n’auront pas vu venir.

    Ce modèle emporte avec lui la nécessaire prise de conscience collective d’évoluer vers un monde plus vertueux et durable. Il constitue le rééquilibrage indispensable à une vision financière monoculaire qui, à force d’emballement et d’œillère, nous fait vaciller et pourrait finir par nous faire tomber.

    Raphaëlle Bertholon, secrétaire nationale CFE-CGC en charge du secteur Économie, Industrie, Numérique et Logement