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Publié le 28 - 01 - 2021

    « Nous demandons le retrait du projet Hercule qui met EDF en danger »

    La mobilisation intersyndicale s’intensifie pour demander l’abandon d’un projet prévoyant une large réorganisation du Groupe. Explications avec Hélène Lopez, secrétaire générale de la Fédération CFE Énergies.

    En quoi consiste le projet Hercule chez EDF ?
     
    C’est un projet de réorganisation du Groupe qui nous est présenté comme étant une exigence de la Commission européenne pour obtenir son aval dans le cadre de deux négociations majeures pour EDF entre l’État français et Bruxelles. La première, c’est une négociation dont l’objectif est de mettre fin au dispositif de l’AReNH (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique) pour le remplacer par un système qui permette de rémunérer la production d’électricité du parc nucléaire existant à sa juste valeur. En effet, ce dispositif, instauré en 2010, permet aux fournisseurs alternatifs de s’approvisionner en électricité auprès d’EDF dans des conditions très avantageuses et conduit à asphyxier financièrement EDF. La deuxième négociation vise à protéger les concessions hydroélectriques d’une ouverture à la concurrence voulue par la Commission européenne.

    Comment s’articulerait la réorganisation des entités d’EDF ?

    Le projet Hercule prévoit de réorganiser EDF en trois entités distinctes : une entité « bleue », dont le capital serait détenu à 100 % par l’État français et regroupant la production nucléaire existante et future, Framatome et RTE ; une entité « Azur »  pour la production hydraulique sous la forme d’une quasi-régie ; et une entité « verte » où seraient logées les activités de distribution assurées en monopole par Enedis, la production d’électricité renouvelable, la fourniture d’électricité et les activités d’EDF hors métropole, les activités en concurrence et les autres activités internationales. Particularité de cette entité « verte » : son capital serait ouvert par introduction en bourse à hauteur de 30 %.

    Une forte mobilisation des salariés pour l’avenir d’EDF qui concerne tous les clients et les citoyens »

    Comment ce projet a-t-il été présenté aux syndicats d’EDF et comment en est-on arrivé à ces journées de mobilisation qui se succèdent depuis novembre 2020 à l’appel des fédérations CFE-CGC, CFDT, CGT, FO ?

    On peut dire que la méthode est très cavalière. Le projet a été « présenté » aux organisations syndicales en juin 2019 lors d’une courte réunion avec quelques slides. Puis plus rien ou presque. Les premières mobilisations des salariés et les mouvements de grève à l’appel de l’intersyndicale pendant l’automne 2019 ont conduit la direction d’EDF à programmer des concertations thématiques avec les représentants du personnel. Ces concertations ont ensuite été reportées sous l’effet de la crise du Covid-19 et jamais reprogrammées ! Cette absence de dialogue social au niveau d’EDF, et l’absence de débat au niveau de la représentation nationale sur un projet d’une telle ampleur concernant une entreprise stratégique pour la nation, est édifiante.

    À l’automne 2020, la presse s’est fait l’écho d’une accélération du processus. L’intersyndicale a de nouveau appelé à la mobilisation pour dire non au démantèlement d’EDF alors que la direction joue à cache-cache avec les salariés et leurs représentants. Depuis le 26 novembre, les salariés ne sont mobilisés à quatre reprises - avec des taux oscillant entre 30 à 32 % de grévistes - pour demander le retrait du projet. Dans le même temps, l’intersyndicale a écrit au Premier ministre, à la présidente de la Commission européenne, aux élus locaux et aux parlementaires lesquels se sont depuis emparés du sujet. En parallèle, les confédérations syndicales CFE-CGC, CFDT, CGT et FO ont adressé un courrier au président de la République pour demander le retrait du projet et engager un véritable débat sur l’avenir d’EDF et ses moyens d’investissement au service de la nation. Chacun peut voir qu’il ne s’agit pas d’un mouvement corporatiste : les salariés se battent pour l’avenir d’EDF qui concerne tous les clients et les citoyens.

    Pour la Fédération CFE Énergies (alliée à l’UNSA Énergie), deuxième organisation syndicale de la branche professionnelle des Industries électriques et gazières (IEG), quels sont les risques induits par ce projet Hercule ?

    Le projet de réorganisation signe la fin du modèle intégré constitutif de l’histoire d’EDF qui, rappelons-le, fêtera ses 75 ans cette année. C’est le risque d’une désoptimisation de ses activités qui engendrerait inévitablement une augmentation des coûts. Par ailleurs, l’ouverture du capital de l’entité « verte » à des investisseurs privés nous laisse craindre que les politiques d’investissement sur les réseaux exploités par Enedis s’inscrivent dans des logiques de rentabilité financière au détriment de l’intérêt général. La même logique pourrait également remettre en cause la péréquation tarifaire. Enfin, cela fait peser une menace sur le monopole d’Enedis. En fait, le projet Hercule met en danger le service public de l’électricité et ne répond pas aux véritables problématiques d’EDF car le problème de fond est avant tout économique. Hercule ne répond ni à la question de la sous-capitalisation d’EDF ni à celle de sa sous-rémunération chronique dont elle souffre depuis plusieurs années.

    Face aux défis de la transition énergétique et à l’urgence climatique, il est inconcevable de démanteler notre service public de l’électricité »

    Qu’attendez-vous désormais ?
     
    À ce jour, les organisations syndicales n’ont aucun élément précis de calendrier. Il y a une opacité complète s’agissant de l’avancement des négociations entre l’État français et la Commission européenne. Ce que nous demandons, c’est d’abord purement et simplement le retrait du projet Hercule puis un véritable débat sur l’avenir d’EDF, associant les salariés et leurs représentants.

    Comment la situation est-elle vécue en interne par les salariés d’EDF ?

    Hercule génère beaucoup d’inquiétudes quant à l’avenir du Groupe. Les salariés ont un fort sentiment d’appartenance à EDF et un profond attachement aux valeurs de service public et d’intérêt général. Face aux défis de la transition énergétique et à l’urgence climatique, il est inconcevable de mettre à mal et de démanteler notre service public de l’électricité. L’heure est plutôt à sa consolidation.

    Chez Engie, la CFE-CGC est récemment devenue la deuxième organisation syndicale représentative sur l’ensemble du Groupe. Quelle est votre réaction ?

    Tous collèges confondus, la représentativité de la CFE-CGC atteint 21,96 %. Nous restons leaders chez les cadres (54,55 %) et en deuxième position chez les agents de maîtrise (19,69 %). C’est une belle récompense pour nos militantes et nos militants qui contribuent au quotidien, par leur travail syndical axé sur la proximité au service des salariés, à faire grandir la CFE-CGC et, plus largement, l’Alliance CFE UNSA Energies.

    Propos recueillis par Mathieu Bahuet