Le choix de Belfort par McPhy, fabricant d'équipements de production et distribution d’hydrogène décarboné, représente la première pierre d'un écosystème en pleine recomposition dans le nord Franche-Comté. Le 20 mai dernier, cet industriel français en pleine croissance, qui ambitionne de figurer parmi les leaders de sa spécialité, a annoncé la construction, dans la ville d'Alstom et de General Electric, de sa
« Gigafactory » (usine géante) de 400 salariés, opérationnelle à partir du premier semestre 2024. Le projet représente un investissement de 30 à 40 millions d'euros.
Pour le Territoire de Belfort, cette annonce a déjà une valeur de symbole. Le département a subi les crises d'Alstom et les conséquences sociales des promesses non tenues du conglomérat américain General Electric. Il s'interroge sur son avenir, qui dépend traditionnellement des grands donneurs d'ordres industriels. General Electric employait 4 800 salariés au moment du rachat de la branche énergie d'Alstom, en 2015. Les suppressions de postes se sont depuis succédées. Scott Strazik, président de la division GE Gas Power, plaide une « situation de surcapacité industrielle » pour justifier la réduction des équipes belfortaines, quand les organisations syndicales l'accusent d'avoir délocalisé des équipes entières vers l'Inde ou la Hongrie.
Pour réaliser son implantation à Belfort, McPhy recevra un soutien financier (10 millions d'euros) versé par le « fonds Maugis ». Ce fonds de restructuration, opérationnel depuis décembre 2020, est alimenté par la pénalité de 50 millions d'euros que General Electric a versée pour n'avoir pas tenu la promesse contractuelle de créer 1 000 emplois lors du rachat, en 2015, de la branche énergie d'Alstom. McPhy attend aussi une participation européenne au titre du programme PIIEC (Projets importants d'intérêt commun européen), dispositif de financement destiné à favoriser des alliances compétitives dans l'hydrogène, l'informatique en nuages (cloud) et la microélectronique. Le PIIEC est financé par le plan de relance européen.
Contraint de se réinventer, Belfort mise sur l'hydrogène
Fragilisé par les restructurations, notamment avec General Electric, le Territoire de Belfort veut devenir un Eldorado de l'hydrogène. Sous l’impulsion de la CFE-CGC, l'association Apsiis entend préserver le savoir-faire délaissé.
« Le Territoire de Belfort a été de toutes les révolutions industrielles et ses filières se sont toujours reposées sur l'énergie, les chaudières et les locomotives, observe Christophe Grudler, député européen (Renew), membre de la Commission de l'industrie, de la recherche et de l'énergie, et ancien conseiller départemental du Territoire de Belfort. La filière énergie recense près de 1 000 entreprises. Elle représente 4 milliards d'euros de chiffre d'affaires et 7 700 emplois. »
« À Belfort, nous sommes des Global Players, poursuit Christophe Grudler. C'est-à-dire que nous jouons dans la cour des grands. Le plan de licenciement de General Electric dans son activité Turbines est ridicule. Il touche à la matière grise, avant de toucher à la production. Les ingénieurs qui font de l'intégration dans les centrales électriques savent aussi bien faire du charbon que du nucléaire ou de l'hydrogène. Il va y avoir un foisonnement d'initiatives dans l'hydrogène dans le nord de la Franche-Comté. C'est l'Eldorado de demain ! »
Mobilisation de la filière et des syndicats
Frappé par les plans sociaux de General Electric, le Territoire de Belfort craint pourtant de perdre son savoir-faire collectif. « Les sous-traitants dans les bureaux d'études sont déjà touchés par la stratégie de délocalisation dans des pays à bas coûts », juge Philippe Petitcolin (CFE-CGC), porte-parole de l'intersyndicale de General Electric à Belfort.
Dès lors, la filière s'est mobilisée. L'association Apsiis (Association de Préfiguration de Sociétés d'Intégration et Ingénierie Systèmes) a été créée en février 2021 avec le soutien de l'intersyndicale General Electric pour susciter la création d'entreprises sur le territoire et pour favoriser le développement de projets dans l'ingénierie de l'énergie. « Nous avons monté cette association pour conserver des compétences de conception et d'intégration dans le nord Franche-Comté, précise Philippe Petitcolin, qui a pris la présidence d'Apsiis. L'idée est de mettre en commun des ingénieurs experts et des investisseurs pour créer des emplois. Nous allons identifier les briques technologiques pour lesquelles des compétences existent en Franche-Comté. »
Quatre syndicats, l'agence de développement économique régionale et un ancien directeur de General Electric figurent parmi les membres fondateurs d'Apsiis. Deux universités (Université de Franche-Comté, Université de technologie de Belfort Montbéliard) accompagnent le projet.
« Belfort souffre, mais regarde vers l'hydrogène », acquiesce Pierre Lamard, professeur d'histoire industrielle à l'université de technologie de Belfort-Montbéliard. « Joe Biden a signé le retour des États-Unis dans les accords de Paris. L'hydrogène redevient un enjeu intéressant pour les Américains », rappelle l'universitaire.
Une filière complète est en phase d’élaboration sur le territoire, avec plusieurs acteurs privés. » (Philippe Petitcolin, CFE-CGC)
« Notre axe stratégique identifié, c'est l'hydrogène décarboné, avec plusieurs acteurs privés déjà engagés et une filière complète en élaboration sur le territoire », confirme Philippe Petitcolin.
« Faurecia va fabriquer des réservoirs d'hydrogène. Isthy, un institut issu de la PME Rougeot Energie, va les tester. L'entreprise Gaussin fabrique déjà des véhicules à hydrogène. McPhy vient d'annoncer son intention de produire des électrolyseurs dans le Territoire de Belfort. Le bureau d'étude EuroCFD et Altran vont concevoir une modélisation des process hydrogène, avec tous leurs principaux composants », détaille le coordinateur des huit sections CFE-CGC de General Electric à Belfort.
Quelle place pour l'association Apsiis dans cet écosystème ? « Les besoins en assistance à maître d'ouvrage ont déjà été identifiés. Nous avons des dizaines d'ingénieurs pour les accompagner », propose Philipe Petitcolin. Apsiis entend aussi engager une campagne de lobbying dans le nucléaire, afin d'assurer la promotion des petits réacteurs modulaires : les SMR (Small Modular Reactors). « La France a dix ans de retard sur la Russie et les États-Unis.
Nos outils sont utilisables dans les SMR. Si notre pays veut se positionner sur cette technologie, le seul endroit possible, c'est Belfort », promet Philippe Petitcolin.
Olivier Mirguet