Les « Jeudis noirs de la colère » n’auraient jamais dû se produire à Thales. Comment ce groupe florissant, où le dialogue social est en général correct, a-t-il pu en arriver au point où ses salariés se mobilisent chaque jeudi depuis la mi-janvier ? Jusqu’à être 900 (sur 42 000 en France) à manifester devant le siège social de La Défense (photo ci-contre) le jeudi 10 mars, et plus de 3 500 sur les autres sites hexagonaux. Jusqu’à bloquer les sites de production le jeudi 17 mars. Histoire d’une occasion ratée de la part du géant de l’avionique, alors qu’un partage des richesses s’imposait.
Conflit social chez Thales : la CFE-CGC durcit le ton
Confrontée à une direction jusqu’au-boutiste sur la question des salaires, la CFE-CGC s’associe à la mobilisation des salariés du géant de l’avionique.
Un manque de reconnaissance qui a mis le feu aux poudres » (Marc Cruciani, président de l’Inter Centres CFE-CGC de Thales)
Si la colère est montée, c’est parce que les sacrifices sont pour les uns, et les richesses apparemment pour les autres. « Les salariés n’ont pas compté leurs heures ni leurs efforts durant toute la pandémie, argumente Marc Cruciani, président de l’Inter Centres CFE-CGC de Thales. L’encadrement a dû gérer énormément de choses : management à distance, pression… Tout le monde a contribué aux résultats exceptionnels qui viennent d’être annoncés par le Groupe : chiffre d’affaires en hausse de 5,3 %, prises de commandes à un niveau historique, résultat net consolidé de 1,1 milliard d’euros… Pour tout partage, la direction s’arc-boute sur une proposition d’augmentation des salaires insuffisante. Ce manque de reconnaissance a mis le feu aux poudres. »
Autre constat qui choque les salariés : tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Les actionnaires ont reçu un plantureux dividende de 2,56 euros par action, en hausse de 45 %. « Thales verse ainsi 40 % de son résultat en dividende, soit plus de 500 millions d’euros », calcule Marc Cruciani. Par ailleurs, un programme exceptionnel de rachat de 7,5 millions d’actions, d’un coût d’environ 800 millions d’euros, va profiter essentiellement (en ayant pour effet mécanique de gonfler le cours des actions restantes) aux quelque 2 000 cadres dirigeants du Groupe dont une partie de la rémunération est payée en titres.
UNE INTERSYNDICALE AU DIAPASON ET SOUTENUE PAR LA BASE
La CFE-CGC pèse 24,8 % de représentativité globale au sein de Thales, un peu derrière la CFDT. Avec les deux autres syndicats représentatifs (CGT et CFTC), elle a constitué une intersyndicale dont la solidarité ne se dément pas depuis le 18 janvier dernier. « Nous sommes sur un front commun qui dure dans le temps, constate de son côté Daniel Fourmestraux, coordinateur adjoint de l’Inter Centres CFE-CGC. C’est une nouveauté pour la direction de Thales de se trouver en face d’une intersyndicale, mais nous sommes soutenus par la base et le ras-le-bol justifie cette action historique. »
Résultat : le jeudi 17 mars 2022, dès le milieu de la nuit parfois, les approvisionnements et les sorties de matières étaient bloqués par des salariés sur les sites Thales de Gennevilliers, Bordeaux-Mérignac, Élancourt, Vélizy, Limours et autres. « Nous avons conscience des risques que cela comporte, reconnaissent les deux élus CFE-CGC. Nous ne sommes pas dans le type d’actions traditionnelles de notre syndicat, mais on ne voit pas comment faire autrement que de toucher au portefeuille pour que le Groupe revoit sa copie. »
Nous demandons une répartition équilibrée de la richesse produite entre salariés, actionnaires et investissements R&D » (Daniel Fourmestraux, coordinateur adjoint de l’Inter Centres CFE-CGC)
La direction était partie sur une proposition de hausse de salaires de 3 % minimum à partir de juillet. Elle a un peu assoupli sa position en accordant 3,5 % maximum à partir d’avril. L’intersyndicale demande un budget de politique salariale au-dessus de 4 %, avec une rétroactivité au 1er janvier et une sélectivité limitée. « Ce sont des revendications très mesurées, estime Daniel Fourmestraux. Nous demandons juste une répartition équilibrée de la richesse produite entre salariés, actionnaires et investissements R&D. »
La DRH a décidé de stopper la période des négociations annuelles obligatoires (NAO) et d’appliquer de façon unilatérale la dernière note de cadrage présentant des éléments éloignés de ces revendications. Face à cette attitude, les « Jeudis noirs de la colère » continuent !
Gilles Lockhart