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Publié le 17 - 10 - 2023

    Conférence sociale : la CFE-CGC a fait valoir ses revendications

    Salaires et pouvoir d’achat, temps partiel et contrats courts, égalité professionnelle, cotisations et prestations sociales… La délégation CFE-CGC a participé activement, lundi 16 octobre au CESE, à la conférence sociale organisée par le gouvernement.

    Trois jours après la journée nationale de mobilisation intersyndicale du 13 octobre contre l’austérité, pour les salaires et l’égalité femmes-hommes, les organisations syndicales et patronales ont pris part, lundi 16 octobre au siège du Conseil économique, social et environnemental (CESE), à la conférence sociale impulsée par le gouvernement. Dans son discours d’ouverture, la Première ministre Elisabeth Borne a fait part « de sa volonté que le travail paie mieux et de relancer la promotion sociale », soulignant « la nécessité d’améliorer le pouvoir d'achat par la négociation collective » et de travailler sur « les impacts des cotisations sociales et des allocations ».

    Urgent de faire l’audit de cette politique dispendieuse qui finance la déqualification et ouvre grand la trappe à bas salaires »

    À la tribune, François Hommeril a prononcé un discours en fin de matinée. « Comment un pays si riche peut-il compter autant de travailleurs pauvres ? », a posé en préambule le président de la CFE-CGC, dénonçant notamment « un effet talon, ce mécanisme à l’œuvre depuis 30 ans consistant à dévaluer les salaires intermédiaires en laissant affleurer les plus bas salaires au niveau du Smic, donc de l’inflation ». Rappelant que la France « s’apprête à battre des records en 2023, celui de la pauvreté, celui des faillites de petites entreprises et celui des dividendes et des rachats d’action dans les grandes entreprises du CAC 40 », François Hommeril a déploré « une captation de la valeur par le capital au détriment du travail », constatant que « la seule vague qui submerge le pouvoir d’achat est celle de l’explosion des profits dans les entreprises qui commandent aux marchés et écrasent la chaîne de valeur ». Pour la CFE-CGC, « il est donc urgent de faire l’audit de cette politique dispendieuse qui finance la déqualification et ouvre grand la trappe à bas salaires ».

    Sur le fond, les travaux de la journée ont pris la forme de 4 ateliers thématiques :
    - « Améliorer le pouvoir d’achat et les carrières par la négociation collective », avec la participation de Nicolas Blanc, secrétaire national CFE-CGC à la transition économique. 

    - « Améliorer les salaires en luttant contre les temps partiels subis et les contrats courts », avec la participation de Jean-François Foucard, secrétaire national aux parcours professionnels.

    - « Évaluer l’impact des cotisations et des prestations sociales sur les revenus », avec la participation de Christelle Thieffinne, secrétaire nationale CFE-CGC à la protection sociale.

    - « Renforcer l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes », avec la participation de Christelle Toillon, déléguée nationale à l’égalité professionnelle.

    Nous reproduisons ci-dessous un compte-rendu des analyses et des revendications portées par la CFE-CGC.

    AMÉLIORER LE POUVOIR D’ACHAT ET LES CARRIÈRES PAR LA NÉGOCIATION COLLECTIVE
    Trois questions au sommaire de cet atelier, selon le même principe que les autres : le dynamisme des branches professionnelles par les grilles salariales, le dynamisme des branches par les classifications et l’aspect conventionnel, autrement dit le sujet de la fusion des branches.

    Nicolas Blanc, secrétaire national CFE-CGC à la transition économique, a porté la parole confédérale en insistant sur la convergence des deux premiers points : « J’ai dit qu’ils étaient liés et qu’il fallait avoir un dynamisme croisé des classifications et des grilles salariales pour traiter de la rémunération et du pouvoir d’achat. Une dizaine de branches ont des minimas salariaux inférieurs au Smic et ce sont les mêmes qui n’ont pas renégocié leur classification depuis 10 ans. »

    En pratique, la CFE-CGC a préconisé de travailler à la fois au niveau des branches pour avoir des grilles de classification plus dynamiques, et au niveau des négociations annuelles obligatoires (NAO) dans les entreprises. « J’ai pris l’exemple de la convention collective de la Métallurgie renégociée en 2022 et qui me semble un bon axe de travail pour porter nos propositions, à la fois sur le dynamisme des grilles de salaires et de classification, expose Nicolas Blanc. Dans cette convention collective, la classification cadres est passée d’un seul à huit coefficients, ce qui permet entre autres à un jeune d’avoir des perspectives d’évolution de carrière. »

    « J’ai porté vraiment des propositions très opérationnelles en insistant sur le fait que la reclassification et la cotation des emplois avec des critères objectifs, comme l’ont fait les négociateurs de la Métallurgie pendant 3 ans, constitue la bonne méthode pour retrouver un dynamisme et renouer une discussion au niveau d’une branche. Avec ensuite une mise en œuvre qui passe d’abord par les grandes entreprises en tant que locomotives et qui se décline grâce à des accords de méthode au niveau des comités sociaux et économiques (CSE) dans les entreprises. »

    Autres points mis en avant par la CFE-CGC : le fait d’encourager les accords de branche qui instaurent un maintien ou une restauration des écarts de salaire, afin d’éviter le tassement des salaires. « C’est un sujet sur lequel nous portons une proposition importante, explique Nicolas Blanc, à savoir le fameux "minima cadres et professions intermédiaires" qui permettrait d’avoir un seuil de rémunération pour ces catégories. Ce seuil pourrait ainsi être revalorisé au niveau de la branche quand elle procède à des augmentations des salaires minimas. »

    L’élu confédéral a également rappelé l’article 3 du récent accord national interprofessionnel (ANI) sur le partage de la valeur qui stipule que les conventions collectives qui n’ont pas renégocié leur classification depuis 5 ans ont l’obligation d’ouvrir cette négociation d’ici à la fin de l’année.

    Concernant l’aspect conventionnel, l’atelier a permis d’acter un consensus entre les organisations syndicales et patronales sur le fait qu’il ne faut pas faire de rapprochement de branches de façon sauvage. « Il faut que ce soit basé sur le volontariat et sur des constats partagés car autrement, il y a un risque que cela soit contreproductif et que cela crée des situations de blocage et de moins-disant social », conclut Nicolas Blanc.

    AMÉLIORER LES SALAIRES EN LUTTANT CONTRE LES TEMPS PARTIELS SUBIS ET LES CONTRATS COURTS 
    « Aujourd’hui, le recours au temps partiel par les entreprises leur permet une flexibilité qui a un coût, à la fois pour les personnes et les collectivités. Cette flexibilité doit désormais avoir un prix pour les employeurs », résume Jean-François Foucard, secrétaire national CFE-CGC aux parcours professionnels.

    Pour inciter davantage les branches et les entreprises des secteurs les plus concernés à prendre des mesures concrètes pour allonger le temps de travail de leurs salariés ou faciliter la réalisation d’horaires réguliers et le cumul des emplois, la CFE-CGC propose, entre autres, un taux majoré minimum de 1,2 par week-end et journée fractionnée, et une suppression des exonérations pour tout contrat de moins d’un mois.

    Pour accompagner davantage les salariés souhaitant compléter leur temps de travail, la CFE-CGC propose de faciliter la création de groupements d’employeurs dans chaque zone d’emploi par grand type d’activité sur un secteur donné. Dans chaque branche, des dispositions spécifiques doivent être mises en place sur les groupements (comme pour le portage salarial). Par ailleurs, une enveloppe dédiée de mutualisation devrait être prévue pour le financement de la formation dans les opérateurs de compétences (OPCO) afin de favoriser l’évolution professionnelle des personnes appartenant à groupement d’employeur.

    Afin de faciliter l’accès à la formation et la qualification, et d’accéder plus facilement à des emplois à temps plein, la CFE-CGC préconise la création d’une cotisation dédiée (formation précaire) mutualisée sur l’ensemble des employeurs.

    S’agissant de la régulation des contrats courts, la CFE-CGC a d’abord fait valoir que tout ce qui concerne les accidents du travail est un angle mort des analyses fournies par le gouvernement. La CFE-CGC propose d’interdire tout contrat court de moins d’une semaine hors cadre de l’intérim (c’est-à-dire 50 % des CDD). Par exemple pour le nettoyage, tout déplacement entre deux sites devrait être considéré comme du temps de travail. Sur le bonus-malus, consistant à moduler le taux de contribution d'assurance chômage, la CFE-CGC a rappelé qu’elle ne croyait pas en l’efficacité du dispositif car les règles ne vont pas modifier le comportement des entreprises.

    « Au final, nous restons sur notre faim, déplore Jean-François Foucard. Le pouvoir exécutif ne propose dans l’ensemble que des mesures cosmétiques - à l’image du projet de Haut conseil des rémunérations - en inadéquation avec le message d’urgence que veut faire passer le gouvernement. Ce dernier, dans son vocabulaire, a tendance à vouloir sensibiliser les entreprises. Or, pour la CFE-CGC, on ne peut pas sensibiliser une personne morale. Les entreprises n’adapteront leurs pratiques que sous l’effet de normes, règles et contraintes. »

    En termes d’agenda social, il a été acté que les partenaires sociaux seront prochainement sollicités pour une négociation nationale interprofessionnelle sur le temps partiel. Concernant le nouvel index de l’égalité professionnelle femmes-hommes, la réforme du congé parental et la composition du futur Haut conseil des rémunérations, les travaux prendront la forme de concertations.

    ÉVALUER L’IMPACT DES COTISATIONS ET DES PRESTATIONS SOCIALES SUR LES REVENUS
    « Nous avons pris part, avec François Hommeril, à l’atelier sur les allègements de cotisations, explique Christelle Thieffinne, secrétaire nationale confédérale à la protection sociale. Nous avons mis en lumière la problématique des trappes à bas salaires et des effets de palier qu’il faut neutraliser durablement. Pour la CFE-CGC, les exonérations de cotisations sociales concentrées sur les bas salaires incitent les entreprises à créer ou préserver des emplois peu qualifiés. Cela freine les progressions salariales des salariés qui perçoivent des rémunérations proches du Smic, chaque augmentation de salaire se traduisant par une forte augmentation du taux de charges pour l’employeur ».

    « Cette logique d’allègement du coût du travail basée sur la compétitivité prix à court terme est contre-productive et n’est pas soutenable. Pour la CFE-CGC, il est urgent d’orienter les politiques publiques vers l’emploi qualifié et de favoriser, par exemple, les aides pour l’emploi des jeunes, l’embauche de cadres, d’ingénieurs et de seniors. »

    « Qui plus est, les exonérations de cotisations sociales contribuent à modifier et à fragiliser le financement de la protection sociale. Elles ont pour effet d’étendre considérablement la part des prestations financées par l’impôt, alors que le financement par les cotisations sociales garantit la pérennité du système. Pour la CFE-CGC, ces exonérations, lorsqu’elles existent, doivent être intégralement compensées par des recettes pérennes. Derrière cette politique d’exonérations se pose aussi la question de la soutenabilité pour les finances publiques. Dans un contexte de réduction constante des recettes fiscales issues de l’imposition des entreprises (baisse du taux de l’impôt sur les sociétés et suppression progressive des impôts sur la production), le poids d’une telle politique ne peut reposer que sur un accroissement de la charge de l’impôt sur les ménages - et plus particulièrement les personnels d’encadrement -, et/ou sur la réduction de droits sociaux, comme observée avec les récentes réformes de l’assurance chômage et des retraites. »

    « Pour la CFE-CGC, les seuls dispositifs d’exonérations qui peuvent être déployés doivent être de nature exceptionnelle et temporaire.
    Par ailleurs et pour s’assurer que ces dispositifs s’inscrivent dans une démarche vertueuse, il faut les conditionner à des critères sociaux et environnementaux. Pour inciter les branches à conclure des accords salariaux pour l’ensemble des minimas, nous proposons par exemple de suspendre le bénéfice des allégements généraux de cotisations patronales en cas d’absence de revalorisation de ces minimas, ou de suspendre les exonérations de cotisations patronales sur les bas salaires dans les entreprises de plus de 50 salariés qui ne proposent pas de forfaits mobilités durables. »

    « Enfin, nous avons rappelé la nécessité de contrôler l’utilisation des fonds publics attribués aux entreprises qui bénéficient d’exonérations conditionnées. Nous proposons la création d’une commission de contrôle de l’utilisation des fonds publics attribués aux entreprises. Au cœur de l’entreprise, le comité social et économique (CSE) pourrait également occuper une place centrale dans le contrôle de l’utilisation de ces fonds publics, afin de garantir que l’entreprise respecte bien les objectifs fixés. »

    RENFORCER L’ÉGALITÉ PROFESSIONNELLE ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES
    Implanté in extremis au menu de la conférence sociale, l’atelier sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes est peut-être celui dont il pourrait sortir le plus de concret. Notamment eu égard à la proposition de la Première ministre, en clôture de la conférence, de refondre l'index de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes pour qu’il soit « plus ambitieux, plus transparent et plus fiable » et qu’il intègre la directive européenne 2023/970 du 10 mai 2023 visant à renforcer l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les femmes et les hommes.

    Les partenaires sociaux vont travailler dès maintenant sur ce sujet avec un délai imparti de 18 mois. Une avancée aux yeux de Christelle Toillon, déléguée nationale CFE-CGC et membre du conseil pour la mixité dans l’industrie, mais une avancée relative : « De toute façon, le gouvernement aurait été obligé d’intégrer la directive européenne à un moment donné. Il fait d’une pierre deux coups en procédant à un petit nettoyage par rapport à nos doléances et pour masquer le fait que sa grande mission sur l’égalité n’a pas donné de résultats… »

    Concernant les thèmes qu’elle a portés durant l’atelier, le premier a eu trait au bilan de l’index de l’égalité professionnelle mis en place en 2019. « J’ai redit que cet index est perfectible et que, s’il a permis d’améliorer certaines situations d’inégalité, il n’a pas fait évoluer totalement les choses dans le bon sens. J’en veux pour preuve qu’en 2023, la note moyenne est de 88 points sur 100, ce qui veut dire qu’on devrait voir beaucoup moins d’inégalité femmes-hommes dans les entreprises... Or ce n’est pas le cas : donc l’index n’est pas bon ! »

    Sur la question de savoir comment réduire les inégalités de rémunération entre les femmes et les hommes, Christelle Toillon a insisté sur la nécessité de rendre transparente la méthode de calcul de cet écart « parce que les entreprises ne le communiquent pas obligatoirement et que nos élus du personnel ne savent donc pas toujours comment il est calculé ». Elle a pointé aussi comme « très important de rendre obligatoire la mise en place d’une enveloppe dédiée pour le rattrapage salarial. » La proposition a d’ailleurs été reprise dans la synthèse finale du groupe de travail.

    Enfin, en réponse à la question « Comment garantir aux femmes des progressions équivalentes à celles des hommes ? », la CFE-CGC a prôné d’améliorer l’index en s’intéressant aux parcours professionnels. « Les comparaisons faites sur les salaires et les taux de promotion ne permettent pas de juger de l’égalité de chance qu’a une femme de progresser par rapport aux hommes, analyse Christelle Toillon. Afin de s’assurer de l’égalité lors des parcours professionnels, la CFE-CGC propose de comparer les courbes d’évolution professionnelle des femmes par rapport aux hommes, d’avoir une vision dynamique et non statique. »

    Pour l’élue confédérale, il faudrait aussi « ajouter un indicateur sur l’écart du taux de promotion entre les femmes et les hommes, et ceci par niveau ». Et travailler « sur la mixité des métiers dans les secteurs où ils sont dits genrés, en cassant les stéréotypes dès l’enfance, avec un changement des modes de pensée des parents et des intervenants, de l’école maternelle jusqu’aux études supérieures ».

    AGENDA SOCIAL : QUELQUES ANNONCES À RETENIR
    Au terme d’une journée de travaux au sein de la troisième assemblée de la République, Elisabeth Borne, dans son intervention de clôture, a synthétisé les pistes de travail lancées pour la suite en associant les partenaires sociaux. Avec notamment :

    • La création d'un Haut conseil pour les rémunérations : création de la valeur, suivi des grilles de classification versus échelle des salaires, égalité femmes-hommes, etc.
       
    • Les négociations salariales dans les branches professionnelles pour celles qui ont des minima durablement inférieurs au Smic.
       
    • Le lancement de la deuxième phase de la restructuration des branches.
       
    • La refonte de l’index de l’égalité professionnelle femmes-hommes.
       
    • La réforme du congé parental.
       
    • Une négociation nationale interprofessionnelle sur les temps partiels.

    Mathieu Bahuet et Gilles Lockhart