Depuis septembre 2017, lorsqu’un licenciement est jugé sans cause réelle ou sérieuse ou, plus communément, abusif, le conseil de prud’hommes (CPH) peut condamner l’employeur au paiement d’indemnités en fonction de l’ancienneté du salarié. C’est le fameux barème Macron qui fournit au juge une grille de sanctions face au comportement abusif de l’employeur et qui ne concerne pas les hypothèses de harcèlement, discrimination ou violation des libertés fondamentales.
Dès le départ, la CFE-CGC s’est prononcée contre ce barème au motif qu’il favorisait les employeurs au détriment des salariés. Six ans après, où en est-on de son appréciation par les instances françaises et européennes, et comment les Prud’hommes l’appliquent-ils ?
Barème Macron des indemnités prud'homales : où en est-on ?
Six ans après sa création, le barème de dommages et intérêts à appliquer par les conseils de prud’hommes (CPH) en cas de licenciement injustifié continue de faire couler beaucoup d’encre. Explications et témoignages terrain.
OPPOSITION DU COMITÉ EUROPÉEN DES DROITS SOCIAUX
Saisi par la CFE-CGC, le Comité européen des droits sociaux (CEDS), instance de contrôle du Conseil de l'Europe chargée d'examiner le respect de la Charte sociale européenne par les États, a estimé que les plafonds de ce barème ne sont pas suffisamment élevés pour réparer le préjudice subi par la victime et pour être dissuasifs pour l'employeur. Il déplore aussi que le juge dispose d'une marge de manœuvre trop étroite dans l'examen des circonstances individuelles de licenciements injustifiés.
RECOMMANDATIONS DU COMITÉ DES MINISTRES EUROPÉENS
En septembre 2023, le Comité des ministres du Conseil de l'Europe a recommandé à la France « de poursuivre ses efforts visant à garantir que le montant des dommages et intérêts accordés aux victimes de licenciement injustifié soit dissuasif pour l'employeur ; de réexaminer et modifier, le cas échéant, la législation ; et de rendre compte des décisions et mesures prises en ce sens dans un délai deux ans », résume Michel Miné, avocat et titulaire de la chaire droit du travail et droit des personnes au CNAM (Conservatoire national des arts et métiers).
TÉMOIGNAGE DU CONSEIL DES PRUD’HOMMES DE LYON
Sur le terrain, avec l’aide de Gérard Béhar, expert CFE-CGC auprès de Christine Lê, secrétaire nationale confédérale en charge du dialogue social, nous recueillons les témoignages de deux CPH en région. Celui de Lyon est particulièrement révélateur de l’évolution dans le temps. « Au départ, expose le président de la section Encadrement du conseil des prud’hommes de Lyon, compte-tenu de la jurisprudence de la Cour de cassation et surtout de la décision du CEDS, qui tous deux avaient considéré que le barème contrevenait aux dispositions de l’article 24 de la charte européenne signée par la France (OIT 158), nous nous étions accordés, à chaque fois que la question nous était posée et en fonction de l’opposition du collège employeur, de renvoyer en départage les dossiers. Néanmoins, avec l'évolution des positions de la Cour de cassation et en fonction des dossiers, de l’absence de préjudice démontré, un certain nombre de conseillers appliquaient le barème. »
DÉPASSEMENT DU BARÈME À CONDITION DE JUSTIFIER LE PRÉJUDICE
« Aujourd'hui, poursuit-il, face à la situation nouvelle créée par de nombreux arrêts de cour d’appel d’une application in concreto du préjudice véritablement subi par le salarié, nous appliquons le dépassement du barème, d'une part si cela est demandé - en encadrement, de moins en moins d'avocats nous le demandent - et surtout lorsque nous avons des éléments dans le dossier du salarié nous permettant d’aller au-delà des montants fixés par le barème. Cela suppose donc que les demandeurs salariés, par l’intermédiaire de leurs défenseurs, justifient leur préjudice, au-delà de leur seule ancienneté, dans le dossier remis aux conseillers. »
DANS LE GRAND EST, UNE APPLICATION STRICTE DU BARÈME
Le conseil des prud’hommes de Troyes, pour sa part, a été le premier en France, le 13 décembre 2018, à considérer que le barème Macron violait l’article 10 de la Convention n°158 de l'Organisation internationale du travail (OIT) et l’article n°24 de la Charte sociale européenne. Mais depuis, les choses ont évolué. « En septembre 2019, la Cour de cassation a précisé que la perte de droit à la retraite était réparée dans le cadre du barème, et a validé en mai 2022 la barémisation des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, indique le président de la section encadrement du CPH de Metz. Aussi actuellement, tous les CPH du Grand Est appliquent de façon stricte le barème Macron. »
RÉDUCTION DU NOMBRE DE CONTENTIEUX… ET DU MONTANT DES INDEMNITÉS !
« Le barème mis en application en septembre 2017 a réduit sensiblement le nombre de contentieux dans lesconseils de prud’hommes, observe-t-il. L’application de la grille a eu aussi pour conséquence une réduction importante des dommages et intérêts versés aux salariés licenciés sans cause réelle et sérieuse. C’est d’autant plus marquant qu’ils ont une faible ancienneté au sein de l’entreprise. Pour ces salariés, "on a légalisé le licenciement abusif", comme le disent souvent les conseillers. Quant aux salariés ayant une ancienneté importante, ils peuvent espérer la moitié des indemnités prévues par le barème. En effet, il est souvent constaté qu’il faut que l’employeur soit de très mauvaise foi pour que les juges accordent le maximum prévu par la grille. »
APPARITION DE DEMANDES COLLATÉRALES
Le président de la section messine note par ailleurs une explosion des litiges fondés sur un harcèlement moral ou sur des agissements discriminatoires qui visent à faire reconnaître des licenciements nuls afin d’échapper au barème Macron. « Des demandes supplémentaires apparaissent pour tenter de réparer des préjudices distincts de la simple perte d’emploi : pour violation du droit à la santé et à la sécurité, voire de la perte de chance de pouvoir bénéficier d’une retraite, pour circonstances vexatoires, pour atteinte à la dignité du salarié, pour manquement à l’obligation de formation, pour préjudice moral (préjudice d’anxiété). »
NÉCESSITÉ STRATÉGIQUE POUR LE DEMANDEUR
« L’invocation d’un préjudice distinct de celui de la rupture du contrat de travail est devenue une nécessité stratégique pour le demandeur, ajoute le président de la section encadrement du CPH de Metz. Cependant, la multiplication des chefs de demande nuit trop souvent à la qualité des requêtes des demandeurs et ne donne pas lieu à réparation si le salarié n’apporte pas la preuve de l’étendue de son préjudice. »
CAS PARTICULIER DES SALARIÉS EN FORFAIT-JOURS
« Le barème oblige à identifier toutes les problématiques qui ont pu exister dans le cadre de l’exécution ou la rupture du contrat de travail, complète Me François Legras, avocat au cabinet Arkello à Paris. Un salarié qui est soumis à une convention de forfait en jours irrégulière a tout intérêt à solliciter devant le conseil de prud’hommes sa privation d’effet ou sa nullité pour aller rechercher des rappels d’heures supplémentaires. Au global, il est toujours possible d’obtenir gain de cause devant la justice ou dans le cadre d’une solution amiable qui pourra être recherchée par l’avocat. En mettant de côté la question du montant, le fait d’obtenir gain de cause répare en partie le préjudice moral. Cela participe à la reconstruction personnelle et professionnelle. »
Gilles Lockhart